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Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire
La “Sarkofrance” prise à partie par des ONG françaises
D. Bouatta
Des soldats français à
Abidjan - Photo: AFP
Jeudi 7 avril 2011
Les Bérets rouges en action à Abidjan ont démenti, s’il
y avait lieu de le faire, la nouvelle ligne de la France
sur un continent dont le président Nicolas Sarkozy prônait une
“relation décomplexée”, assurant que Paris ne serait
plus le gendarme du continent.
Sarkozy est pris à partie par des ONG qui réclament le contrôle
des armes vendues à l'étranger par la France. Au moment où les
députés français entamaient l’examen d’un projet de loi sur le
contrôle des exportations et importations d'armes
conventionnelles (qui devrait être voté le 12 avril),
Amnesty International France, le CCFD-Terre Solidaire et Oxfam
France exigent, à la lumière du Printemps arabe, des
dispositions contraignantes pour éviter que des armes françaises
ne soient vendues lorsqu'il y a un risque qu'elles participent à
des violations des droits humains, du droit international
humanitaire, ou entravent le développement économique et social
des populations. Paris devrait ainsi s’aligner sur Londres où le
marché des armes est cadré et transparent avec la publication
des licences d’exportations accordées et refusées. En France, on
ne sait plus quoi penser de la situation libyenne. Ainsi, pour
connaître dans le détail des ventes d’armes, il faut attendre un
scandale comme celui qui a éclaté autour de l’ex-ministre des
AE, Alliot-Marie, pincée pour ses accointances avec le dictateur
de Tunis. Au détour de ses affaires dans cette Tunisie de Ben
Ali, on a appris que la France pourvoyait ce pays en
lacrymogènes et autres panoplies antiémeutes. Et il a fallu
l’accident collatéral du 2 avril près de Brega pour que la
presse française commence à s’interroger sur le jeu de Nicolas
Sarkozy en Libye. Un avion de l’Otan a tué 9 insurgés et 4
civils libyens, après avoir pris des tirs de joie pour une
attaque ! Depuis ce mardi, la situation militaire s’est comme
figée. Les forces de Kadhafi ont repoussé l’offensive des
insurgés.
La presse américaine a commencé à s’interroger sur le forcing de
la France, établissant un lien entre le bellicisme du président
français et les élections présidentielles françaises de 2012.
Pour les médias américains, les frappes contre Kadhafi sont une
occasion rêvée pour Sarkozy dont les sondages sont au plus bas.
Pour la Turquie, c’est le pétrole qui fait courir la France. Et
à Ankara de ruer dans les brancards pour disqualifier la France
en faveur de l’Otan qui doit agir en stricte conformité avec les
objectifs de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Un point de vue partagé par l’Allemagne qui a entraîné derrière
elle les pays de l’Europe centrale et de l’est. L’effet libyen
n’ayant pas eu l’écho escompté, le président français a rebondi
en Afrique de l’Ouest en engageant son pays dans les combats en
Côte d'Ivoire. L'ex-puissance coloniale qui avait réduit ces
dernières années sa présence militaire dans ce pays, tout en
tentant d'y préserver ses intérêts économiques, avait cherché
jusqu'à présent à rester à l'écart des combats entre le
président sortant Gbagbo et Ouattara proclamé par la communauté
internationale vainqueur des élections de novembre 2010. Et
voilà que Sarkozy ouvre pour son armée un autre front, en un peu
plus de deux semaines, après l'intervention en Libye. Ici aussi,
la France invoque l’ONU. Sans crier gare, vendredi soir,
Sarkozy organisait une réunion de crise sur la Côte d’Ivoire à
l’Élysée.
Il s’ensuivit un joli communiqué où la France appelle Gbagbo,
conformément à la résolution 1975 du Conseil de sécurité, à se
retirer immédiatement, à faire cesser les violences et à céder
le pouvoir pacifiquement au Président Ouattara. “Gbagbo vit ses
derniers jours de chef d’Etat” a commenté Alain Juppé, le
ministre français des AE et les forces françaises dites de
la Licorne, stationnées à Abidjan, sont passé à l’attaque, comme
en pays sous occupation ou en tutelle. Le président français a
gardé dans son esprit la Françafrique qu’il veut non pas effacer
comme il l’avait promis maintes fois, mais lui donner son propre
cachet, la supplantant, en quelque sorte, par le concept de
Sarkofrance. Là aussi, l’intervention de Paris semble avoir été
dictée par le rendez-vous de 2012. Les cantonales ont encore
fait chuter d’un cran l’indice de popularité de Sarkozy, et son
débat national sur la laïcité a également tourné court, les
Français et la classe politique ayant refusé de se joindre à sa
campagne islamophobique.
Quant aux Français de l’extrême droite, ils préfèrent
l’originale Marine Le Pen à la copie sarkozyste. Il se dit
aujourd’hui que la subite offensive militaire d’Ouattara a été
encouragée par Nicolas Sarkozy, alors que les sanctions
onusiennes, africaines et de la Cédéao contre Gbagbo
commençaient à donner leurs fruits. Mais, il lui fallait cette
guerre à Sarkozy. Reste que son intervention militaire marque un
nouvel épisode dans l'histoire passionnelle et conflictuelle
entre Paris et le continent africain.
Notamment ses anciennes colonies. Lors du sommet Afrique-France
de juin 2010 à Nice ou plus récemment lors de ses vœux aux
forces armées françaises le 4 janvier, le président français a
assuré que les soldats de la France n'avaient pas vocation à
s'ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire !
Aujourd’hui le gendarme français se cache derrière l’ONU. C'est
la Sarkofrance.
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Publié le 7 avril 2011 avec l'aimable autorisation de
Liberté.
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