Analyses
Sarko et les fantômes de mai 68
Diana Johnstone
Photo CSP
15 juin 2007
Bernard Kouchner :
Toubib médiatique de "l’intervention humanitaire"
Dans le dernier grand discours de sa campagne présidentielle,
Nicolas Sarkozy lança une étrange attaque contre Mai 1968.
"Mai 68 nous avait imposé le relativisme
intellectuel et moral," déclara-t-il. Les héritiers de
Mai 1968 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il
n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le
mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. "L’héritage
de mai 1968 a introduit le cynisme dans la société et dans la
politique.”
Sarkozy a même tenu l’héritage de Mai 68
responsable de l’affaiblissement de la morale du capitalisme, du
"culte de l’argent roi, du profit à court
terme, de la spéculation", des "dérives
du capitalisme financier" … et finalement du "capitalisme
sans scrupule des parachutes en or, des retraites chapeaux, des
patrons voyous".
Cela signifie-t-il que le nouveau président se prépare
à ramener la France à sa bonne vieille morale d’avant Mai 68 ?
Certainement pas. Nicolas Sarkozy, qui en mai 68 était un
adolescent apolitique accro à la télé dans un milieu bourgeois
épouvanté par le désordre dans la rue, est lui-même un héritier
exemplaire de ce Mai 68 ambigu qu’il fustigea dans sa diatribe
électorale.
Mai 1968 fut une explosion sociale qui finit par
entraîner la France dans sa version à elle de la phase
contemporaine du développement de l’Occident. Quelles
qu’aient été les intentions ou les illusions des acteurs de
ces événements, l’aspect le plus extraordinaire de Mai 68 fut
l’impact à travers les média. L’enseignement le plus fertile
fut la découverte du pouvoir extraordinaire des images médiatiques.
Personne n’a plus profité de cette leçon que Nicolas Sarkozy.
Parmi toutes les contradictions qui traversaient
le soulèvement du Mai 68 français, la plus fondamentale fut
celle qui opposa le Parti Communiste discipliné aux étudiants
radicaux. La découverte par les étudiants de leur capacité à
faire trembler les structures mêmes de l’état créa
l’illusion largement répandue d’une révolution imminente.
Alors que sept millions de travailleurs faisaient grève, le Parti
Communiste usa de son influence pour orienter la grève vers un
compromis avec le gouvernement paniqué de De Gaulle. Que leur révolution
ait été ou non une illusion, la génération de Mai 68 accusa le
Parti Communiste de l’avoir trahie en échange de simples
augmentations de salaires et quelques avantages sociaux. Ainsi
l’anticommunisme constitue une partie significative de l’héritage
idéologique de la génération de Mai 68.
Une tendance ouvriériste des soixante-huitards
tenta de porter la révolution dans les usines. Une autre tendance
se tourna vers les média, avec plus de succès. Le centre de
gravité de la "révolution" se déplaça de la classe
ouvrière et de la libération du tiers-monde vers des combats
plus personnels qui concernaient les classes moyennes et une
"nouvelle gauche" centrée sur la libération sexuelle,
l’affirmation identitaire, l’écologie et les droits de
l’homme.
La nouvelle Droite s’empare
de l’ancienne Nouvelle Gauche
Au cours des premiers jours de son mandat présidentiel,
Nicolas Sarkozy a démontré que les valeurs de la nouvelle gauche
étaient parfaitement compatibles avec la Droite moderne. Sarkozy
s’est saisi de ces "valeurs" et les a confisquées.
la
parité hommes/femmes. Sarkozy a composé un gouvernement
où siègent huit hommes et sept femmes. Des femmes occupent deux
postes importants du domaine de la sécurité, ceux de la Justice
et de l’Intérieur. En Occident, la droite et la gauche
s’accordent sur l’égalité des femmes.
L’écologie.
Les questions d’environnement ont passé d’un ministère
alibi, au maigre budget, au nouveau Ministère de l’Ecologie et
du Développement Durable, sous la direction de l’ancien premier
ministre Alain Juppé. Ceci risque de porter le coup de grâce au
parti des Verts, déjà en crise après ses résultats médiocres
à l’élection présidentielle. La reconnaissance générale du
phénomène de réchauffement climatique et de ses dangers, loin
d’avoir renforcé les Verts, leur a tiré le tapis sous les
pieds, du moins pour le moment. Le nouveau gouvernement va adopter
des mesures fiscales en faveur de l’environnement dans
l’espoir de relancer l’économie, par contraste avec les
projets restrictifs prônés par les Verts, souvent rébarbatifs
car perçus comme impliquant une réduction de la consommation et
de la croissance, et donc une baisse du niveau de vie.
L’égalité
ethnique et raciale. Sarkozy a nommé Rachida Dati, 41
ans, fille d’immigrés maghrébins, comme ministre de la
justice. Ce choix s’accorde avec sa volonté d’introduire une
politique de "discrimination positive" en faveur des
minorités ethniques, sur le modèle nord-américain de
“l’action affirmative”. Le père marocain de Mme Dati
travaillait en usine et sa mère est algérienne. Cette dame
photogénique est chargée de mettre en oeuvre le programme de
Sarkozy pour durcir la répression de la criminalité, surtout
parmi les jeunes dans les banlieues dont elle est originaire.
Droits
de l’Homme. Cette dernière est de loin la plus
dangereusement ambiguë des "valeurs" récupérées par
Sarkozy à la nouvelle gauche. En choisissant Bernard Kouchner
comme Ministre des Affaires Etrangères, Sarkozy a abandonné le
"réalisme" pour le remplacer par "l’intervention
humanitaire" comme socle de la politique étrangère de la
France.
La bonne nouvelle est que le monde a tellement
changé que même la droite se réclame de telles causes
progressistes.
La mauvaise nouvelle est que les valeurs
universellement acceptées, de par leur nature même, peuvent être
employées dans toutes sortes de buts, et même comme prétextes
pour opprimer ou faire la guerre.
Kouchner : de la médecine
aux medias
Présenter la nomination de Kouchner comme une généreuse
"ouverture à gauche" constitue la farce la plus amère
que Sarkozy ait jouée au Parti Socialiste. Si le Parti Socialiste
Français se retrouve dans l’embarras, il ne peut que s’en
prendre à lui-même. A cause de la popularité médiatique de
Kouchner, les Socialistes l’ont laissé utiliser le parti pour
sa promotion personnelle, même si son "socialisme" à
lui a consisté à leur conseiller de laisser tomber complètement
le socialisme. Une fois élu au Parlement Européen sur une liste
Socialiste, il s’en alla rejoindre un autre groupe
parlementaire, les Radicaux de Gauche. Kouchner n’est pas
"passé à droite" : il y est déjà depuis trente
ans mais le Parti Socialiste était trop opportuniste pour y prêter
attention. Mai 68 fut probablement la dernière fois où Kouchner
était réellement de gauche, mais depuis il a toujours vécu sur
cette réputation en tant que membre à part entière de l’élite
médiatique connue sous le nom de "gauche caviar".
En Mai 68, Kouchner se jeta dans la mêlée
politique en tant que dirigeant de grève à la faculté de médecine
de l’Université de Paris. Son opposition au système fut de
courte durée. Quatre mois plus tard, il rejoignit une équipe médicale
organisée par le gouvernement français pour apporter une aide
humanitaire à l’éphémère république sécessionniste du
Biafra. La mission médicale était le côté humanitaire d’une
opération clandestine de la France qui apportait en même temps
une aide militaire aux rebelles du Biafra. Ces derniers réclamaient
l’indépendance de cette région du sud-est du Nigeria qui se
trouve être aussi la région des vastes réserves de pétrole du
pays.
En mai 1967, suite à une escalade du conflit
entre des officiers de l’armée Nigérienne appartenant au
groupe ethnique chrétien Igbo (ou Ibo) et les Hausas musulmans,
les dirigeants Igbo proclamèrent l’indépendance de la République
du Biafra. Une guerre civile sanglante s’ensuivit. Le Biafra reçut
l’aide et le soutien militaire clandestin de la France, de l’Afrique
du Sud, du Portugal et d’Israel. L’armée nigérienne, armée
par la Grande Bretagne et l’Union Soviétique, réussit à
imposer un blocus économique et à affamer le Biafra jusqu’à
sa soumission. Au mois de janvier 1970, la résistance Igbo
s’effondra et la région riche en pétrole fût réintégrée au
Nigeria.
Kouchner passa rapidement de la médecine à la
propagande. De retour à Paris en 1969, il coopéra avec les
services secrets français pour fonder un Comité contre le
"génocide au Biafra". Les civils du Biafra ont
certainement souffert d’une famine terrible, mais l’emploi du
terme de "génocide" sert un objectif politique en présentant
un conflit territorial comme une agression unilatérale destinée
à exterminer une population.
L’utilisation des missions humanitaires pour
provoquer une sympathie internationale en faveur d’une des
parties en conflit marqua une rupture avec la tradition de la
Croix Rouge Internationale qui consiste à maintenir une neutralité
stricte dans les conflits afin de pouvoir intervenir dans les
zones de combat. Au mois de décembre 1971, treize médecins qui
avaient travaillé au Biafra quittèrent la Croix Rouge pour
fonder Médecins Sans Frontières (MSF). Kouchner fût celui des
cofondateurs qui, à partir de là, se dédia le plus assidûment
au travail de publicité.
A l’origine, devant l’impact des comparaisons
faites avec le génocide nazi de la Deuxième Guerre Mondiale,
cette nouvelle approche fut bien accueillie et perçue comme plus
morale que l’ancienne méthode discrète appliquée par la Croix
Rouge. Le problème est que tout cela repose sur deux présomptions
douteuses. La première est la présomption que dans chaque
conflit il y a des "bons" qui sont les victimes et des
"méchants" qui veulent les exterminer. La deuxième est
qu’une intervention de l’Occident, agitée par les média,
peut résoudre ces problèmes par la force. Petit à petit, l’école
de pensée "réaliste" qui émettait des réserves sur
ces présomptions fut discréditée et qualifiée d’immorale.
La tragédie du Biafra fixa les règles du scénario.
Une ou plusieurs puissances occidentales soutiennent une sécession
minoritaire. Le régime en place réprime brutalement les
rebelles, d’autant plus qu’il soupçonne les occidentaux de
vouloir exploiter la situation pour contrôler un territoire ou
s’emparer des ressources. Les ONG sonnent l’alarme et les
photographes envoient aux médias occidentaux des images
insoutenables sur les souffrances humaines. Les humanitaires
occidentaux qualifient la tragédie de "génocide" et
appellent à une intervention militaire. Que l’intervention ait
lieu ou non, les populations concernées continuent d’être les
victimes de haines réciproques qui ne sont qu’exacerbées par
la dramatisation médiatique.
Tout au long des années 70, une décennie pendant
laquelle toute une série de groupuscules d’extrême gauche s’épuisèrent,
préparant le terrain à une offensive anticommuniste globale menée
par les "nouveaux philosophes", Kouchner découvrait
l’utilité politique du journalisme de catastrophe. Le sommet
fut atteint en 1979 lorsqu’il se joignit aux nouveaux
philosophes dans un geste humanitaire ostentatoire appelé
"un bateau pour le Vietnam". En attirant l’attention
des média sur les "boat people" vietnamiens qui
fuyaient la misère économique d’un pays ravagé par une
guerre, les humanitaires français ne firent pas grand chose pour
soulager la souffrance des Vietnamiens. Mais ils avaient trouvé
un moyen acceptable pour dénoncer ce qu’ils appelaient "le
goulag vietnamien", écartant ainsi toute sympathie pour le
mouvement de libération du Vietnam qui avait gagné
l’admiration du monde entier par sa résistance à la guerre menée
par les Etats-Unis. En ignorant le facteur des difficultés économiques
provoquées par des années de bombardements US, cette action fut
une étape importante dans la redéfinition de la
"gauche", uniquement préoccupée et activement engagée
dans la défense des "droits de l’homme", en dehors de
tout contexte. Ce n’est pas vraiment un hasard si tout cela a coïncidé
avec la campagne des "droits de l’homme" menée par le
Président Carter et Zbigniew Brzezinski et destinée à rasseoir
l’autorité morale des Etats-Unis après le désastre du
Vietnam.
Entre temps, l’exploitation par Kouchner de son
rôle de cofondateur de Médecins Sans Frontières et du filon
humanitaire au service de sa propagande provoqua une importante
scission au sein de l’organisation. Kouchner quitta MSF pour créer
une organisation rivale, Médecins du Monde, qui poursuivit la
ligne de Kouchner en prônant "l’intervention
humanitaire", y compris les interventions militaires.
En janvier et février 1993, Médecins du Monde dépensa
quelques deux millions de dollars dans une campagne publicitaire,
dont 300.000 affiches et des spots télévisés avec Jane Birkin
et Michel Piccoli, avec l’objectif d’assimiler le président
serbe Slobodan Milosevic à Hitler et les camps de prisonniers
tenus par les Serbes en Bosnie aux camps d’extermination nazis.
Cette campagne de publicité était truffée de
mensonges. Mais à l’évidence, sur l’échelle de valeurs
Kouchnerienne, le zèle moralisateur prime sur la vérité.
C’est le dirigeant des musulmans bosniaques, Alija Izetbegovic,
qui eut en premier l’idée d’assimiler les camps de
prisonniers serbes en Bosnie à des camps d’extermination nazis.
En 2003, Kouchner rendit visite à Izetbegovic sur son lit de
mort. L’échange suivant eut lieu, (racontée par Kouchner dans
son livre "Les Guerriers de la Paix",
Paris, Grasset, 2004, pages 373-374), en présence de Richard
Holbrooke :
Kouchner : "Vous
souvenez-vous de la visite du président Mitterrand ? Au
cours de l’entretien vous avez évoqué l’existence en Bosnie
de ‘camps d’extermination’. Vous l’avez répété devant
les journalistes. Cela a provoqué un émoi considérable à
travers le monde. François Mitterrand m’a envoyé à Omarska et
nous avons ouvert d’autres prisons. C’étaient d’horribles
lieux, mais on n’y exterminait pas systématiquement. Le
saviez-vous ?"
Izetbegovic : "Oui. Je
pensais que mes révélations pourraient précipiter les
bombardements. J’ai vu la réaction des Français et des
autres... je m’étais trompé. Oui, j’ai essayé, mais
l’affirmation était fausse. Il n’y avait pas de camps
d’extermination, quelle que fût l’horreur des lieux."
Kouchner conclut : "La
conversation était magnifique, cet homme au bord de la mort ne
nous cachait rien de son rôle historique. Richard et moi lui
avons exprimé notre immense admiration... ."
Aux yeux de Kouchner, le fait qu’un "rôle
historique" soit basé sur un mensonge ne provoque
qu’admiration. Les guerres de désintégration de la Yougoslavie
furent l’occasion idéale pour mettre en pratique ce qui était
désormais devenu sa marque de fabrique, sa doctrine
"d’intervention humanitaire". Cela coïncidait à
merveille avec la nécessité qu’avaient les Etats-Unis de
fournir à l’OTAN une nouvelle doctrine post-guerre froide afin
que l’alliance militaire puisse survivre et s’étendre. La
doctrine entra en pleine application au mois de mars 1999, lorsque
l’OTAN déclencha une campagne de bombardements sur la
Yougoslavie qui dura deux mois et demi. En guise de récompense,
Kouchner fut nommé haut commissaire des Nations Unies en charge
de l’administration civile du Kosovo occupé (United Nations
Mission in Kosovo,UNMIK ; en français MINUK). Dictateur
virtuel du Kosovo entre le 2 juillet 1999 et janvier 2001,
Kouchner démontra la nature de son "humanitarisme" :
un favoritisme outrancier en faveur des "victimes" désignées
par l’OTAN, c’est à dire la majorité albanaise, accompagné
d’efforts sporadiques pour user de son charme et se concilier
les représentants des Serbes assiégés. Le résultat fut désastreux.
Au lieu de promouvoir la réconciliation et l’entente mutuelle,
il laissa la province glisser encore plus sous le contrôle de
groupes armés et de gangsters qui, depuis, terrorisent les
non-albanais en toute impunité.
Kouchner est un humanitaire sélectif. Les
victimes qui provoquent son indignation sont toujours, comme par
hasard, celles qui sont les préférées des intérêts impérialistes
français ou étasuniens : les Biafrais, les Vietnamiens
non-communistes, les Albanais du Kosovo. Il ne s’est jamais agité
sur le sort des Nicaraguayens victimes dans les années 80 des
assassinats et des actes de sabotage de la Contra - appuyée par
les Etats-Unis, ni sur les Serbes et les Roms au Kosovo après sa
prise de fonctions, encore moins sur les Palestiniens victimes du
nettoyage ethnique pratiqué par Israel.
Les victimes du régime militaire brutal de la
Birmanie ne l’inspirent pas non plus, du moins pas en 2003
lorsqu’il reçut 25.000 euros de Total pour rédiger un rapport
sur les activités de cette société dans le pays. Le rapport de
19 pages, rédigé après une courte visite guidée des
installations de Total, prenait la défense de Total dans
l’affaire de construction d’un gazoduc en Birmanie. Total y était
accusée de profiter de l’utilisation par le gouvernement
militaire d’une main-d’oeuvre d’esclaves. Il se peut que
Total était aussi innocente que Kouchner l’a affirmé, mais ce
qui est certain, c’est que Total n’a pas choisi Kouchner pour
ses qualités d’enquêteur, mais pour sa réputation
"d’humanitaire".
Il n’est donc pas surprenant qu’après sa
nomination au poste de ministre des affaires étrangères, Médecins
Sans Frontières a publiquement demandé à Kouchner de cesser
d’utiliser le nom de l’organisation pour asseoir sa réputation
d’humanitaire. En réalité, cela fait déjà longtemps que
Kouchner n’est qu’un publicitaire pour des interventions sélectives.
Un axe du bien franco-américain ?
L’idée de voir ce poseur superficiel occuper le
poste de Ministre des Affaires Etrangères de la France est à la
fois effrayante et comique. Il est difficile de décider s’il
faut en rire ou en pleurer.
Si vous avez besoin de justifier une intervention
militaire, Kouchner est votre homme. S’il avait été à la tête
du Quai d’Orsay au mois de mars 2003, sa contribution au débâcle
irakien aurait été de conseiller à Bush de laisser tomber ce
truc sur les "armes de destruction massive" et de mener
plutôt une guerre au nom des "droits de l’homme",
afin de se "débarrasser du dictateur, Saddam Hussein".
C’est du moins ce qu’il n’a cessé de répéter depuis cette
l’époque. Kouchner trouve qu’il est dommage que G.W. Bush ait
utilisé un mauvais prétexte pour détruire l’Irak. Il a même
accusé la France d’avoir "forcé" les Etats-Unis à
précipiter leur invasion, en brandissant la menace d’un veto au
Conseil de Sécurité de l’ONU. Il ne lui viendrait pas à
l’esprit que la bande de Cheney-Wolfowitz pouvait juger qu’il
était plus efficace de faire peur aux Américains plutôt que de
leur demander de faire la guerre par altruisme. De toute façon,
l’Irak est en ruines, ce qui n’a pas l’air de troubler le
plus célèbre humanitaire professionnel de France.
Rien n’indique jusqu’à présent que Sarkozy
ait l’intention d’entraîner la France dans une guerre. Alors
à quoi peut bien servir Kouchner ? A l’évidence, son passé
à la tête de la mission des Nations Unies au Kosovo confirme
qu’il est plus doué pour l’autopromotion que pour
l’administration. C’est aussi le principal trait de son
nouveau patron, qui n’est pas de ceux à se laisser voler la
vedette. A part aider le parti de Sarkozy à remporter une large
victoire aux prochaines élections législatives, l’utilité de
Kouchner ne paraît pas claire, ni sa durée à ce poste.
Il a commencé dans son style habituel, avec des déclarations
à l’emporte pièce destinées aux média. Selon Kouchner, la création
d’un tribunal spécial international pour juger les assassins
(non identifiés) de l’ancien premier ministre libanais Rafik
Hariri, "démontre la volonté de la communauté
internationale de renforcer la stabilité au Liban,". En réalité,
la politisation internationale de l’affaire déstabilisera
encore plus le pays.
Kouchner a poursuivi en affirmant que la création
du tribunal spécial obéissait "à la volonté
du peuple Libanais, de tous bords et de toutes croyances".
Ceci est, encore une fois, tout simplement faux. La moitié des
Libanais, ou même plus, craignent qu’un tribunal international
initié par les puissances occidentales ne devienne un instrument
d’accusation contre la Syrie, le prétexte d’une guerre et de
l’incrimination du Hezbollah, constamment décrit comme
"l’allié de la Syrie". Un tel tribunal ne prendra
certainement pas en compte l’opinion très répandue selon
laquelle Israël, ou les ennemis de droite de Hariri, ou les deux,
sont bien plus impliqués dans la récente vague de d’attentats
que la Syrie, qui est la principale perdante dans l’affaire
Hariri.
Ensuite, Kouchner a abordé la question du Darfour
en proposant que les forces armées françaises basées au Tchad
créent un "corridor humanitaire" pour protéger les
victimes du conflit au Soudan voisin. Les mêmes organisations qui
ont fourni initialement les fondements moraux pour la doctrine
interventionniste de Kouchner ont immédiatement réagi en déclarant
que sa proposition est inappropriée.
Denis Lemasson de Médecins sans Frontières, qui
a actuellement 2000 travailleurs au Darfour, a qualifié les
propositions de Kouchner de "dangereuses" à cause de la
confusion qui régnerait entre les opérations humanitaires et
militaires. Toute intervention militaire obligerait la plupart des
ONG à évacuer, ce qui empirerait la situation, souligna-t-il.
Toutes les ONG françaises, MSF, Action Contre la
Faim, Solidarités et même Médecins du Monde, s’accordent pour
dire que la seule manière de mettre un terme à la guerre civile
entre l’armée soudanaise et les milices Janajaweed et différents
groupes rebelles serait d’arriver à un accord politique, et non
pas une intervention militaire. Pierre Micheletti, président de Médecins
du Monde, a souligné que les populations sont éparpillées
"comme des tâches de léopard", sur une superficie
large comme la France et dans des enclaves contrôlées par un
camp ou un autre, sans ligne de front.
Lemasson remarque que les expériences passées
"d’ingérence humanitaire" confirment leurs craintes.
Le "militarisme humanitaire" des Etats-Unis en Somalie
en 1992, les "zones de sécurité" en Bosnie, ont crée
des illusions qui aboutirent à des catastrophes. Et, ajoute Alain
Boinet, dirigeant de Solidarités, l’échec en Irak montre que
la paix ne peut pas être imposée.
Ainsi, Kouchner est arrivé trop tard. Trop tard
pour se joindre à Bush pour une virée dans l’enfer Irakien. Il
est déjà totalement discrédité aux yeux de tous ceux qui
savent ce que signifie réellement une "intervention
humanitaire", et qui reviennent à la vieille position de
neutralité adoptée par la Croix Rouge afin de pouvoir accéder
aux victimes. Il garde une côte de popularité auprès du grand
public uniquement parce que son image médiatique soigneusement
cultivée n’a pas été publiquement confrontée à la réalité.
Kouchner pourrait être une figure comique, mais
sa comédie recèle deux tragédies. L’une est celle de
l’espoir d’un véritable changement qui surgit en Mai 68. Un
espoir foulé aux pieds, quarante ans plus tard, par une alliance
entre un Sarkozy - qui le rejette - et un Kouchner - qui en est la
parodie. L’autre est la tragédie de la politique internationale
de la France, de ce qu’elle aurait pu et dû être. Nous en
avons eu un bref aperçu lors du discours mémorable prononcé par
Dominique de Villepin, le 14 février 2003, devant le Conseil de Sécurité
des Nations Unies. Ce jour-là, contrairement aux us et coutumes
des lieux, l’assemblée explosa dans un tonnerre
d’applaudissements. Pendant un instant, il apparaissait que la
France pouvait être la voix de la raison, du réalisme, de la
paix et d’un monde meilleur.
Le monde avait, et a encore, désespérément
besoin d’une telle France. Mais à la place, nous n’avons
qu’un caniche de plus.
Diana Johnstone est l’auteur de
La Croisade des fous, Le temps des cerises, Paris, et peut être
jointe à dianajohnstone@compuserve.com
version originale : http://www.counterpunch.org/johnstone06042007.html
Traduction par Cuba Solidarity
Project Diffusion autorisée et même encouragée Merci de
mentionner les sources.
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