Opinion
Kadhafi condamné à mort par Washington
et Paris
Claude Angeli
Vendredi 28 octobre
2011
(revue de presse :
Le Canard Enchaîné – 26/10/11)
Mercredi, 19 octobre en fin
d’après-midi, un colonel du Pentagone
téléphone à l’un de ses correspondants
au sein du service secret français.
Chargé du dossier « Kadhafi »,
l’une des priorités actuelles des
généraux de l’équipe Obama, l’Américain
annonce que le chef libyen, suivi à la
trace par des drones Predator
US, est pris au piège dans un quartier
de Syrte et qu’il est désormais
impossible de le « manquer ».
Puis il ajoute que laisser ce type en
vie le transformerait en « véritable
bombe atomique ». Son interlocuteur
comprend ainsi que la maison Blanche a
rendu son verdict, et qu’il faut éviter
de fournir à Kadhafi la tribune
internationale que représenterait son
éventuel procès.
Depuis quelques jours d’ailleurs, des
commandos des forces spéciales
américaines et françaises participaient
ensemble à cette chasse au Kadhafi. À
Paris, au Centre de planification et de
conduite des opérations (CPCO), à la
Direction du renseignement militaire
(DRM) et au service action de la DGSE,
plusieurs officiers évaluaient à une
cinquantaine de membres du COS
(Commandement des opérations spéciales)
les militaires présents à Syrte.
Leur mission : porter assistance aux
unités du CNT qui investissaient la
ville, quartier par quartier, et, selon
le jargon maison utilisé par un officier
du CPCO, «´´traiter´´ le guide
libyen et les membres de sa famille ».
Une formule codée en cours à la DGSE :
« livrer le colis à Renard »,
et agir en sorte que Kadhafi n’échappe
pas à ses poursuivants (une unité du CNT
baptisé « Renard ?».
Hypocrisie internationale
À l’Élysée, on savait depuis la
mi-octobre que Kadhafi et l’un de ses
fils s’étaient réfugié à Syrte, avec
gardes corps et mercenaires. Et Sarko
avait chargé le général Benoît Puga, son
chef d’état-major particulier, de
superviser la chasse à l’ancien
dictateur. Ce qu’il a fait en relation
avec la « Cuve », le bunker
souterrain où des officiers du CPCO sont
en contact permanent avec tous les
militaires engagés à l’étranger et les
services barbouzards. À la DGSE comme à
la DRM on ne se gêne pas d’ailleurs pour
évoquer l’ «élimination physique»
du chef libyen, à la différence des
formules bien plus convenables employées
par l’Élysée, s’il faut en croire un
conseiller du Président.
« La peine de mort n’était pas
prévue dans les résolutions de l’ONU qui
ont permis à l’OTAN d’intervenir,
ironise un diplomate français. Mais il
ne faut pas jouer les hypocrites. À
plusieurs reprises, des avions français
et britanniques avaient déjà tenté de
liquider Kadhafi en bombardant certains
de ses repaires, à Tripoli ou en
détruisant notamment un de ses bureaux.
» Et le même de signaler que, lors
d’un procès devant la Cours pénale
internationale, « ce nouvel ami de
l’Occident aurait pu rappeler ses
excellentes relations avec la CIA ou les
services français, l’aide qu’il
apportait aux amis africains de la
France, et les contrats qu’il offrait
aux uns et aux autres. Voire plus grave,
sait-on jamais ? ».
Le 20 octobre à 8h 30 du matin,
l’objectif allait être atteint. Trois
avions de l’OTAN s’approchent de Syrte.
Rien à voir avec une mission de
reconnaissance effectuée par hasard :
une colonne de 75 véhicules fuit la
ville à vive allure. Un drone américain
Predator tire des roquettes. Un
mirage F1CR français de reconnaissance
suit un Mirage 200-D qui large deux
bombesGBU-12 de 225 kilos guidées au
laser. Bilan : 21 véhicules détruits et
Kadhafi seulement blessé.
Soupirs de satisfaction
Des forces spéciales françaises sont
alors présentes sur les lieux.
L’histoire ne dit pas à quelle distance
de ce qui va survenir, et que raconte
avec abondance de détails un officier
des services militaires de
renseignements : « Il est capturé
vivant par des combattants surexcités.
La foule scande Allah Akbar » à pleine
poumons, le menace de ses armes et se
met à le tabasser pendant que d’autres
combattants qui peinent à prendre le
dessus, crient de le maintenir en vie ».
On connaît la suite, quelques images
de ce lynchage suivi d’une exécution par
balles sont apparues sur les écrans de
télévision et dans la presse écrite.
Mais la disparition de Kadhafi n’est pas
la fin de l’histoire car, en croire une
analyse barbouzarde, « la Libye est
entrée dans un no man’s land politique,
une zone de turbulences imprévisibles.»
Voilà qui devrait inquiéter ceux qui,
dans plusieurs capitales occidentales et
arabes, ont poussé des soupirs de
satisfaction que Kadhafi ne serait
jamais la vedette d’un procès
international.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 29 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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