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Cirepal
Le
camp de Nahr el-Bared: entre colère et amertume (½)
Le camp de Nahr el-Bared
25 décembre 2007 « Nous
sommes sortis du camp, lors de son bombardement par l’armée
parce que nous avions confiance dans l’armée libanaise. Mais
maintenant, après avoir vu les destructions, nous le regrettons.
Nous ne devions pas sortir. Si nous étions restés, ils
n’auraient pas détruit le camp. »
C’est par
cette phrase pleine d’amertume qu’Umm Nabil commence à
expliquer la situation dans le camp de Nahr el-Bared, plus de
trois mois après la fin des combats, alors que le dossier de sa
reconstruction est toujours mis en sourdine, que tout piétine
dans l’attente d’un règlement politique au Liban, qui lui,
attend un règlement régional et international. C’est dire la
complexité de la situation.
1 –
S’accrocher malgré tout
Le camp de
Nahr el-Bared était le camp le plus peuplé, le plus vaste et le
plus riche parmi les camps palestiniens au Liban. Ses habitants,
environ 45.000 personnes, viennent de plusieurs villages de la
Galilée du Nord, notamment des villages de Sa’sa’ et de
Saffouri (qui ont des quartiers dans le camp). Avant sa
destruction par l’armée libanaise, dans une euphorie ou un
silence officiels et populaires, le camp de Nahr el-Bared faisait
office de place commerciale la plus importante dans le nord du
Liban. Une partie non négligeable de ses habitants, devenus
commerçants, fournissait en marchandises les plus diverses tout
le nord, de Tripoli aux villages de Akkar, jusqu’à la frontière
syrienne. Dans la partie nord du camp, celle qui a été moins détruite
que le reste, les familles avaient construit des maisons plus ou
moins aisées, s’étendant au fur et à mesure que la population
augmentait, mais aussi au fur et à mesure que les villageois
libanais y arrivaient, poussés par la misère dans laquelle les
avaient abandonnés l’Etat libanais, étant donné qu’ils
vivent aux lisières de l’Etat, le nord, le sud et la Bekaa, ces
régions que l’Etat central n’aime pas.
Après la fin
des combats, l’armée libanaise permet à un millier de familles
de retourner, dans cette partie nord. Elles sont retournées, mais
dans quelles conditions ! Selon une responsable de
l’association Najdeh, il y a actuellement entre 1200 et 1600
familles qui sont retournées. Les statistiques existent, mais la
différence s’explique par les familles qui viennent le matin
pour retourner à leur lieu de vie provisoire le soir. Car ces
murs dans lesquelles elles doivent vivre sont loin d’être des
maisons : des immeubles éventrés, des étages sans murs extérieurs
et dans les meilleurs des cas, des maisons sans fenêtres et sans
portes, où seule la moitié d’un appartement peut encore
servir, mais en tout cas, et d’une manière générale, entièrement
vides. Ni meubles, ni vêtements, ni stock alimentaire, ni rien.
Il n’y a plus rien dans ce qui ressemble à des appartements ou
même dans les magasins situés en dessous. Car, avant que les
familles reviennent, l’esprit de vengeance ou l’appât du gain
qui ont animé certaines populations libanaises ont tout raflé,
ou tout détruit. Des magasins de meubles, d’appareils ménagers,
des centres sociaux (comme le centre des scouts) n’avaient pas
été détruits par les bombardements, mais ont été saccagés et
volés après la fin des combats. Les différences sont claires,
pour les habitants du camp : les traces des obus sont différentes
des incendies volontaires dans les garages et les appartements.
Parmi ces
familles revenues vivre dans le camp, celle de Umm Suhayl :
son mari distribuait les bonbonnes de gaz, entre autres. Il n’en
reste aucune, dans le dépôt bien gardé qu’ils avaient. Le
coffre, de la taille d’une porte, a été défoncé et pillé.
Aucune trace de bombardements sur le magasin. Son mari, son fils,
ses deux gendres ont été emmenés par l’armée libanaise,
parce que la famille n’avait pas quitté le camp lors du grand
exode. Ils avaient attendu, espérant que cela se règlerait. Le
mari est depuis revenu, avec un des gendres, mais son fils et
l’autre gendre sont toujours dans la prison de Roumiyyé, la célèbre
prison libanaise où meurent des détenus, surtout s’ils ne sont
pas libanais. Aujourd’hui, Umm Suhayl, tient le magasin, elle a
rassemblé quelques oies et poules qu’elle a enfermées dans un
enclos de fortune, donnant de la vie à ce quartier qui se
repeuple peu à peu.
Ce qu’elle
pense de l’armée libanaise ? Pour elle, il y a les soldats
et les officiers qui sont corrects, et les autres, qui ne le sont
pas. Que ce soit aux barrages à l’entrée du camp, dans le
camp, ou dans la prison, où elle va rendre visite à son fils et
son gendre, elle rencontre des soldats ou officiers bienveillants
ou racistes et haineux. Ainsi en est-il de cette armée qui fut
entraînée à bombarder et détruire le camp palestinien le plus
important au Liban, pour servir la politique du gouvernement
anticonstitutionnel libanais.
Retourner
et voir
Dans ce
qu’on appelle le vieux camp, soit la partie qui a été
construite et qui a été habitée dès le début des années 50
par les réfugiés nouvellement arrivés de Palestine, il n’y a
plus rien. Tout est détruit. Il est d’ailleurs interdit d’y
entrer, et l’armée y veille bien. Mais à la fin des combats,
des responsables du camp y sont entrés et ont tout vu. Des
enfants s’y aventurent, parfois. Ils reçoivent une raclée et
sont chassés. L’un des enfants s’y est faufilé, dans
l’espoir de retrouver la boîte de ses économies, mais en vain.
La plupart des habitants de cette partie du camp attendent, dans
le camp Baddawi ou ailleurs. Ils ne savent toujours pas ce qu’il
en sera, de leur quartier.
Mais certaines
femmes ont réussi à entrer, des grands-mères qui ont connu la
Palestine, qui avaient déjà tout perdu et qui revivent la Nakba,
dans tous ses souvenirs renouvelés. Rien, plus rien ne pourra
leur redonner le sourire. Elles avaient réussi à surmonter la
Nakba, en enfantant, en éduquant, en travaillant dur pour former
des générations responsables qui prendraient le chemin du retour
vers la Palestine. De nouveau, elles sont sans rien. Elles ont
tout quitté, et elles l’ont fait volontairement, parce
qu’elles ont considéré que les combats contre Fateh al-Islam
ne les concernait pas, qu’elles reviendraient dans le camp,
bombardé certes, mais pas entièrement détruit. Aujourd’hui,
elles n’ont plus ni papiers, ni souvenirs, ni argent, ni
meubles, ni vêtements. Obligées, comme en 1948, de compter sur
la charité internationale et sur la bonne volonté des « pays
donateurs », qui doivent statuer sur leur avenir. Une de ces
mères courageuses continue à se faufiler, de temps en temps,
vers le camp de Nahr el-Bared, « rien que pour vivre
quelques instants dans le camp ». Elle revient, tous les
soirs, à Baddawi. Parfois, elle emmène avec elle des enfants,
les siens ou ceux des voisins. La plupart du temps, elle ne passe
pas par les barrages de l’armée. Elle se sent chez elle et
trouve humiliant de devoir y passer, surtout qu’elle ne sait pas
face à qui elle aura affaire, le bon ou le mauvais soldat.
Plans de
reconstruction
Le camp de
Nahr el-Bared comprend une proportion non négligeable de jeunes
diplômés. Les médecins d’abord. Rien que dans les deux camps
du nord, Nahr el-bared et Baddawî, il y a 86 médecins ; il
y a aussi de nombreux architectes et ingénieurs. C’est ce qui a
permis à un comité de se mettre en place, composé des
architectes palestiniens du camp, pour travailler à une
proposition de reconstruction. Plusieurs projets ont été faits,
la plupart ayant été refusés par la population et ses représentants.
Celui des architectes palestiniens semble le plus adapté et le
plus apprécié, vu les réactions de certaines familles. Ce
projet consiste à reconstruire des maisons sur cette partie, après
déblayage, en respectant d’une part, l’ancienne disposition
des maisons, tout en les espaçant, de façon à laisser pénétrer
le soleil et le vent, l’ancienne disposition concernant la préservation
de l’intimité familiale : les étrangers à la famille ne
pourront pas habiter dans les étages supérieurs. Le seul problème
qui se pose à ce projet, d’après un responsable du comité,
est que l’espace ne pourra pas inclure toutes les familles qui
s’y trouvaient, une dizaine de familles devront vivre aux
alentours ou dans d’autres quartiers. L’UNRWA, agence
responsable des camps de réfugiés palestiniens, ne semble pas être
entièrement hostile au projet, d’après certains.
Les enfants
palestiniens non scolarisés
Il y a trois
mois, ce fut la rentrée scolaire au Liban, comme ailleurs. Mais
cette année, les enfants palestiniens de Nahr el-Bared et par
ricochet, ceux de l’autre camp du nord-Liban, Baddawi, vivent
sans écoles. Là aussi, il semble que les choses traînent,
attendant on ne sait pas trop quoi, très probablement une
solution politique à la crise libanaise, comme si ces enfants,
parce qu’ils sont palestiniens, devaient payer le prix, par leur
scolarité, d’une crise insurmontable, où les chefs d’Etats
du monde interviennent, sans parler de leurs envoyés qui ne décollent
plus du pays.
Les écoles du
camp Baddawi sont occupées par les familles palestiniennes de
Nahr el-Bared. D’autres écoles libanaises étaient également
occupées, mais les familles ont dû évacuer rapidement, au début
de la rentrée scolaire, pour permettre aux élèves libanais
d’accéder à leurs écoles. Ces familles sont actuellement dans
des baraquements, rapidement installés par l’UNRWA, dans le
camp de Nahr-el-Bared. Mais aucune solution n’a été trouvée
pour les familles installées dans les écoles de Baddawi. La
première mesure qui fut prise, dès la rentrée scolaire, ce fut
d’assurer la scolarité des enfants des camps qui doivent passer
des examens officiels : brevet et bac. Pour les autres, aucun
intérêt. Les enfants sont donc dans les maisons, dans les rues,
mais aussi, dans les centres sociaux et éducatifs, de Baddawi
surtout mais aussi, tout récemment, de Nahr-el-Bared, où
l’association Najdeh a ouvert un centre qui accueille les
jeunes, tous les jours. Dans ce centre, les volontaires bénévoles,
étudiants ou à la recherche de travail, commencent à préparer
sérieusement cours scolaires et activités para-scolaires, pour
encadrer les enfants. Compter sur leurs propres forces et ne pas
attendre les politiques, essayer de mettre à profit le temps pour
rassembler, mobiliser, créer. Dans le centre de Najdeh, des
adolescents chantent le retour et l’amour du camp de Nahr
el-Bared, dans un défi lancé au monde entier.
Dans le camp
de Baddawî, plusieurs centres rassemblent les enfants, dans le même
état d’esprit : éviter que les enfants, déjà traumatisés,
n’aillent à la dérive. Activités multiples sont menées pour
les mobiliser, leur redonner force et courage et leur faire éviter
de plonger dans l’attentisme et l’inaction. Ce qui est intéressant,
c’est de voir des jeunes privés de leurs écoles assumer des
fonctions d’animateurs dans ces centres, pour les plus petits.
Il est extrêmement rare de voir un peuple s’assumer avec cet
entrain.
Récemment,
l’UNRWA a installé deux écoles, une pour les enfants de
Baddawi (où se trouvent également les réfugiés de Nahr
el-Bared), et l’autre pour les enfants des familles retournées
à Nahr el-Bared. Mais pour les familles de Baddawî, l’école
ne convient pas du tout. D’abord, son lieu : elle est assez
éloignée du camp, les enfants devant y aller soit en voitures,
soit à pied, sur des chemins non asphaltés, qui deviennent
boueux lorsqu’il pleut. Or, c’est la première fois que les
enfants du camp sortent de leur environnement, où ils se sentent
en sécurité, surtout que l’école, en préfabriqué, est éloignée
de tout, et surtout froide. En hiver, les enfants rentrent alors
qu’il fait nuit, surtout que le système établi fait rentrer
certains enfants à huit heures du soir, ce qu’aucune école
libanaise ne pratique. De plus, le préfabriqué n’a pas l’air
de rassurer ni enfants, ni parents, les uns et les autres parlent
de fissures, les uns et les autres sont paniqués à l’idée de
retrouver deux cent élèves dans ce genre de bâtiments. Deux
semaines après l’ouverture, les parents décident de faire la
grève et n’envoient plus leurs enfants à l’école. Des
pourparlers s’engagent avec l’UNRWA, les parents considèrent
que la solution serait de trouver un bâtiment en dur, proche du
camp, ou bien, de reloger les familles présentes dans les écoles
de Baddawi dans leur camp, à Nahr el-Bared, comme cela s’est
fait pour les écoles libanaises évacuées.
Du côté de
Nahr el-Bared, quelques problèmes aussi. Les parents font la grève
quelques jours car l’école lointaine n’est pas facilement
accessible à toutes les familles. La solution d’un car de
ramassage a été trouvé, et les cours ont repris.
Il est
certain, cependant, que ces deux écoles ne peuvent suffire à
tous les élèves des camps. De plus en plus, les familles considèrent
que leurs enfants vont perdre une année scolaire, catastrophe qui
s’ajoute à tous les malheurs subis depuis le début des événements
de Nahr el-Bared.
Le camp de Nahr el-Bared:
entre colère et amertume (2)
Centre d'Information sur
la Résistance en Palestine
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