Opinion
Dix ans après
l'invasion illégale :
Que reste-t-il de l'Irak ?
Chems
Eddine Chitour
Jeudi 21 mars 2013
«Je pense que l'on
ne peut mettre en doute les faits qui
nous ont conduits à ce vote fatal.
Saddam Hussein est un tyran qui a
torturé et tué son peuple... Les
rapports des services d'intelligence
prouvent que Saddam Hussein a
reconstruit son stock d'armes chimiques
et biologiques, ainsi que sa capacité de
lancement de missiles et son programme
nucléaire. Il a aussi offert aide,
protection et refuge aux terroristes et
à ceux d'al-Qaîda.»
(Sénatrice
Hillary Clinton, 10/10/02).
Voilà un exemple de positions politiques
qui ont légitimé l'invasion de l'Irak de
2003. La deuxième guerre d'Irak, parfois
connue sous le nom de troisième guerre
du Golfe, a commencé le 20 mars 2003
avec l'invasion de l'Irak (dite
«opération Iraqi Freedom») par la
coalition menée par les États-Unis
contre le parti Baas de Saddam Hussein
et s'est terminée le18 décembre 2011
avec le retrait des dernières troupes
américaines. L'invasion a conduit à la
défaite rapide de l'armée irakienne, à
la capture et l'exécution de Saddam
Hussein et à la mise en place d'un
nouveau gouvernement. Le conflit ne
s'est donc achevé de manière effective
que le 18 décembre 2011 avec le retrait
du dernier soldat américain du pays mais
la violence continue. Cette guerre aura
duré 3207 jours, soit huit ans et neuf
mois.(1)
Il ne faut pas penser que tout le monde
était d'accord pour l'invasion
programmée bien avant l'attaque des
twins towers. «Ce 2 octobre 2002, écrit
Denis Kucinich membre du Parti
démocrate, l'un des rares opposants à
l'aventure irakienne de Bush le jour où
la loi sur l'Irak fut introduite,
j'avais envoyé et distribué
personnellement un mémo à mes collègues
du Congrès réfutant, point par point,
les allégations fournies par
l'administration Bush pour aller en
guerre. Le lendemain, j'ai organisé une
conférence de presse avec 25 membres du
Congrès, réfutant à nouveau les
mensonges sur les causes de cette
guerre. Il était prouvé, à cette époque
déjà, que l'Irak ne possédait pas
d'armes de destruction massive, qu'il
n'avait aucun lien avec le 11 septembre
et qu'il n'était pas non plus une menace
pour les Etats-Unis. Quiconque s'y
intéressait pouvait obtenir les mêmes
informations que celles que j'avais.»
(2)
«Il y a dix ans, poursuit Denis Kucinich,
le Congrès a voté pour entrer en guerre
contre un pays qui ne nous avait pas
attaqués. Cette décision a fragilisé
notre sécurité nationale et financière.
Des milliers d'Américains et peut-être
un million d'Irakiens ont été sacrifiés
pour ces mensonges. La guerre en
Afghanistan se poursuit et de nouvelles
guerres se sont répandues au Pakistan,
au Yémen et en Somalie selon le concept
indéfini de «guerre contre le
terrorisme.» Cet état d'esprit nous
entraîne sur le bord d'une guerre avec
l'Iran. Dix ans plus tard, alors que des
milliards de milliards de dollars se
sont envolés, le peuple américain dans
son ensemble ignore toujours ce qui
s'est passé. Il est temps d'ouvrir une
ère de vérité et de réconciliation.» (2)
Le bilan à 2013
d'un pays en miettes
En janvier 2012, Iraq Body Count, qui
fonde son analyse sur des données
publiées dans les médias estime que 105
052 à 114.731 civils irakiens sont morts
dans les violences, constituées
essentiellement d'attentats, et au moins
250.000 civils irakiens auraient été
blessés auxquels il faut ajouter 4488
morts et 32.230 blessés dans les rangs
américains (4 806 morts pour l'ensemble
des troupes de la coalition et plus de
36.000 blessés), les morts des sociétés
militaires privées et parmi les
combattants irakiens (armée irakienne et
insurgés). Toutefois, la limite de cette
méthode de comptabilisation réside dans
le fait que les journalistes ne peuvent
raisonnablement pas observer, ni
recouper entre eux, la totalité des
morts durant une guerre aussi longue et
se déroulant sur un grand territoire.
Plusieurs études donnent des fourchettes
beaucoup plus élevées. Parmi elles, la
revue scientifique The Lancet a, dans
une seconde étude publiée le 11 octobre
2006, estimé que le nombre de morts liés
à la guerre était situé entre 426.369 et
793.663, tandis que l'institut
britannique indépendant ORB a estimé
dans une publication du 28 janvier 2008
sur la base d'une étude épidémiologique,
que le nombre de morts était compris
entre 733.158 et 1.446.063. La guerre a
provoqué l'exode d'au moins deux
millions d'Irakiens, réfugiés à
l'étranger depuis 2003 (principalement
en Syrie et en Jordanie, mais également
en Europe et aux États-Unis).
L'organisation National Priorities
Project estime à plus de 810 milliards
de dollars le coût de la guerre (1)
Les informations sont contradictoires et
dépendent de la source. Ainsi selon une
dépêche de l'AFP de janvier 2012,
environ 162.000 personnes,
essentiellement des civils, ont péri de
mort violente en Irak depuis l'invasion
américaine de mars 2003, et le pays
reste pris dans un ´´conflit de basse
intensité´´ qui va continuer à faire de
nombreuses victimes, estime une ONG. Ce
bilan, publié deux semaines après la fin
du retrait de l'armée américaine d'Irak
par Iraq Body Count (IBC), une ONG basée
en Grande-Bretagne, fait également état
de plus de 4000 morts civils pour la
seule année 2011. De mars 2003, date de
l'invasion américaine en Irak au départ
fin 2011 des derniers GI's, 162.000
personnes ont été tuées dans le pays
selon un bilan établi par IBC en
croisant ses propres statistiques
(consacrées aux civils) avec celles des
autorités irakiennes, les pertes
américaines ainsi que des données
révélées par le site WikiLeaks (Iraq War
Logs). IBC indique que WikiLeaks a ainsi
révélé l'existence de milliers de décès
de civils dont elle n'avait pas eu
connaissance au moment des faits. Sur
les 162.000 tués recensés, ´´79% étaient
des civils´´.
Ce que
nous retiendrons de la démocratie
aéroportée
Quelques faits d'armes: l'horreur de
Abou Ghraib passée pour perte et profit
et l'alignement servil des médias aux
ordres comme montré dans l'affaire
Jessica Lynch. Cette soldate noire
soit-disant «délivrée» par les GIs selon
un scénario à «la chute du Faucon noir»,
était blessée par des tirs amis et
recueillie par un chirurgien irakien qui
a sauvé la vie de cette soldate en
remuant ciel et terre pour lui trouver
du sang «O» mettant à contribution un
parent à lui qui avait le même groupe.
Ainsi, la libération de la militaire
Jessica Lynch d'un hôpital irakien, a
été présentée comme une opération de
sauvetage à haut risque. Dans une
entrevue au magazine Time, Jessica
elle-même reconnaît que toute
l'opération menée contre l'hôpital avait
été une mise en scène.
Quelques faits ont aussi retenu notre
attention. La pendaison en direct de
Saddam Hussein qui a donné au monde une
leçon de courage jusqu'à ces derniers
instants. Un deuxième fait est celui du
journaliste irakien qui a jeté sa
chaussure à la face de Bush. Ce fut un
petit pas pour l'homme mais un grand pas
pour la dignité humaine.
L'Irak
actuel
Cette guerre est à ce jour l'unique mise
en oeuvre du concept de guerre
préventive développé par
l'administration Bush pour parer à la
menace des armes de destruction massive
dont cette dernière affirmait à tort
détenir la preuve dans un rapport
présenté au Conseil de sécurité de l'ONU
le 12 septembre 2002. Formation de facto
d'un État indépendant au Kurdistan car
depuis, bien longtemps, les Kurdes
d'Irak, tout comme ceux de Turquie, de
Syrie et d'Iran, veulent créer un État
kurde unifié et indépendant, et ont
engagé des luttes armées pour y
parvenir, luttes qui ont été en
particulier durement réprimées par la
Turquie et par le régime de Saddam
Hussein.
Les raffineries de pétrole sont sous le
contrôle des forces spéciales et des
armées américaines et britanniques. Les
dommages aux infrastructures civiles
sont énormes et mettront du temps à être
résorbés: les services de santé ont été
pillés, les équipements détruits. C'est
le cas aussi ders routes, des centrales
électriques. Les hôpitaux sont
surchargés et les médecins manquent
cruellement. C'est véritablement l'âge
de pierre promis par George Bush père.
De nombreux centres historiques ont été
détruits par les bombardements
américains, les combats et les pillages.
Le Musée national d'Irak a été pillé au
moment de l'entrée des troupes
américaines dans Baghdad. Tout ce qui
représente Saddam ou son régime a été
saccagé par les populations chiites et
kurdes. C'est la fin de la paix
religieuse permise par le régime laïc du
parti Baas de Saddam Hussein. La
résurgence des anciens conflits
religieux entre chiites et sunnites pour
la prise du pouvoir et l'installation
d'un régime religieux, après la chute de
Saddam.
Par ailleurs, il y a une augmentation de
l'insécurité générale (pillages,
incendies et prises d'otages), à la
suite de la désorganisation totale des
différents services publics. Les
assassinats de nombreux chefs religieux
chiites sont nombreux, il en est de même
des assassinats de chrétiens autrefois
protégés par le régime laïc de Saddam
Hussein. Enfin, l'exode vers l'étranger
de centaines de milliers d'Irakiens vide
de sa substance culturelle scientifique
et technique ce pays.
Pour rappel, l'Irak avait un système
éducatif et de recherche performant. Le
niveau de développement était de loin le
plus important du Monde arabe. Les
infrastructures étaient développées et
un célèbre dicton permet de situer le
niveau intellectuel héritier de «Dar El
Hikma» «La Maison de la Sagesse». « Les
livres étaient rédigés en Egypte,
imprimés à Beyrouth et lus en Irak», le
taux d'analphabétisme en Irak était le
plus bas du Monde arabe, ce pays
constituait un danger pour le «monde
libre et civilisé».
La première guerre du Golfe fut
alimentée on le sait, par l'Occident en
armements à Saddam, notamment français
et américains, et financièrement ce sont
les roitelets du Golfe qui furent mis à
contribution. Huit ans plus tard, fin
des combats pour rien. L'empire
soviétique s'effondrait, grâce aux coups
de boutoir des moudjahidine commandés
par le meilleur allié de l'Occident,
Oussama Ben Laden. Lors de la deuxième
guerre du Golfe de 1991, qui,
rappelons-le, s'est faite sur un
malentendu, Saddam Hussein avait reçu
l'ambassadrice Glapsie et l'avait
informée des problèmes qu'il avait avec
le Koweït -19e province de l'Irak avant
la Première Guerre mondiale. Celle-ci
lui aurait dit que les Etats-Unis ne se
sentent pas concernés par ce problème.
Ce fut une erreur tragique de Saddam
Hussein - en envahissant le Koweït le 2
août 1990, il a donné le feu vert à la
première invasion de l'Irak. Douze ans
après son père, George Bush envahit
l'Irak en mars 2003, sans résolution des
Nations unies.
Résultat des courses: après la guerre il
y eut 12 ans d'embargo et dans le
programme «Pétrole contre nourriture»,
beaucoup d'hommes politiques en ont
profité. Cet embargo s'est soldé par la
mort de 500.000 enfants irakiens des
suites de la maladie et de la
malnutrition: «Ce n'est pas cher si
c'est le prix à payer pour faire partir
Saddam», disait Madeleine Albright
secrétaire d'Etat de Bill Clinton. Les
dommages aux infrastructures civiles
sont immenses: les services de santé son
pillés. Il y a eu une détérioration des
canalisations d'eau et la dégradation
des bassins hydrographiques du Tigre et
de l'Euphrate. Il y a de plus,
augmentation de l'insécurité générale
(pillages, incendies et prises d'otage),
suite à la désorganisation totale des
différents services publics. De nombreux
centres historiques ont été détruits par
les bombardements américains, les
combats et les pillages. Le Musée
national d'Irak a été pillé.
Y aura-t-il
d'autres Irak?
On peut s'interroger si après le
désastre irakien, les Américains seront
tentés par une autre aventure que celle
de formater le monde. Pour le Christian
Science Monitor qui rapporte le nouveau
format des guerres américaines, on parle
de nouvelles guerres: «On les appelle
les interventions militaires
«transhorizon» ou à distance: l'usage de
drones ou de missiles lancés à partir de
bâtiments de combat en vue d'éliminer
des cibles humaines dans un pays
étranger sans avoir à envoyer de soldats
sur le terrain. (3)
Avec élégance, Badia Bendjelloun résume
le drame du Proche-Orient. «On peut,
écrit -elle, verser parmi les autres
bienfaits du remodelage du Proche et
Moyen-Orient, les enfants nés avec des
malformations congénitales avec une
fréquence anormalement élevée lorsque
leurs parents ont été exposés à
l'uranium appauvri, Cette guerre, ses
effets rémanents adverses, en
particulier un million de veuves (de
guerre) vivent dans le plus grand
dénuement avec toute une génération
montante d'enfants orphelins, sont
actuellement hors champ médiatique.
La séquelle peut-être la plus
douloureuse pour la nation irakienne est
cette Constitution rédigée par des
avocats de New York qui consacre le
principe de l'éclatement du pays en
trois zones ethniques et
confessionnelles avec autonomie
politique et économique, singulièrement
sur les ressources énergétiques. (...)
Pas un jour ne se déroule sans qu'un
attentat - d'origine sectaire ou non,
rappelant étrangement les années noires
qu'a vécues l'Algérie juste après 1991
dans une coïncidence chronologique
curieuse - ne fasse plusieurs dizaines
de morts ».(4)
« (..) Dès les premiers mois de
l'occupation de l'Irak, la menace sur la
Syrie s'est exprimée d'abord sous la
forme de la résolution 1559 négociée
entre la France par la voix de son
ambassadeur Jean-David Lévite et les
US(a) avec son homologue pour le
Moyen-Orient Elliot Abrams. (...) À
l'automne 2003, de nouvelles sanctions
américaines sont prises à l'encontre de
la Syrie au titre du «Syrian
Accountability Act». (4)
«Les Us(a), conclut l'auteure, utilisent
leurs laquais, le Qatar et les Séoudiens
pour l'argent frais, la France et le
Royaume-Uni pour la logistique des
conflits qu'ils se contentent d'arbitrer
de loin. La destruction de la Syrie va
être lente, mais elle est sûre. La
fragmentation des Nations ne concerne
pas seulement la nation arabe ou les
pays musulmans ou africains quoique ces
derniers paient en ce moment un lourd
tribu à cette dilacération soutenue.
Soudan, Sahara occidental, Somalie et
Irak. L'effacement de la question
palestinienne est en cours, le
personnage affublé du titre de Président
(à vie?) de l'Autorité palestinienne est
là pour percevoir son salaire de l'UE
qui finance la judéisation inexorable de
la Cisjordanie. Ghaza redeviendra sans
doute une petite province de
l'Égypte.»(4)
L'Irak une des plus brillantes
civilisations que l'humanité ait connues
sombre dans un chaos qui, à moins d'un
miracle, semble être parti pour
longtemps. Tout ceci pour une mainmise
sur des matières premières et imposer
Israël comme «rempart contre la
barbarie». selon la prophétie formulée
par Théodore Herzl. Ainsi va le monde.
1. La guerre en
Irak : Encyclopédie Wikipédia
2.http://
www.huffingtonpost.com/rep-dennis-kucinich/iraq-ten-years-a-million_b_1932280.html
3. C.E. Chitour
http://www.legrandsoir.info/retrait-des-americains-d-irak-le-chaos-en-cadeau-d-adieu.html
4.Badia Benjelloun
http://www.dedefensa.org/article
Cela_fait_dix_ans_19_03_2013.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 22 mars 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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