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L'EXPRESSIONDZ.COM
CONFUCIUS CONTRE NOBEL
La déconstruction d'un mythe
fondateur occidental
Chems Eddine
Chitour
Liu Xiaobo
Lundi 20 décembre 2010
«Dès que nous perdons la base morale,
écrit Gandhi, nous cessons d’être religieux.» «Les paroles de
Mahomet sont un trésor de sagesse, pas seulement pour les
musulmans mais pour l’humanité entière.»
«Je suis hindouiste, je
suis aussi un chrétien, un musulman, un bouddhiste et un juif.»
Mahatma Gandhi
Il y a quelques jours était décerné avec un
vacarme assourdissant le prix Nobel de la paix à un
universitaire chinois de 54 ans qui purge une peine de 11 ans
dans son pays pour avoir perturbé l’ordre public, selon le
gouvernement chinois, et pour s’être battu pour les droits de
l’homme, selon la doxa occidentale. Une mise en scène pitoyable
a été retransmise à des millions de téléspectateurs, on voit le
président du comité Nobel déposer sur une chaise vide la
médaille et le diplôme attribué à Liu Xiaobo. Il était à la fois
le héros et le grand absent de la cérémonie: le prix Nobel de la
paix a été remis symboliquement, vendredi 10 décembre à Oslo, au
dissident chinois Liu Xiaobo, qui le dédie aux «âmes perdues»
dans la répression de la révolte de la place
Tian anmen en 1989, selon le président du comité Nobel. La
réaction hostile de la Chine prouve que ce choix était
«nécessaire et opportun», a estimé le président du comité,
Thorbjörn Jagland. «Si le pays est capable de développer une
économie sociale de marché, tout en garantissant les droits de
l’homme, cela aura un impact favorable énorme sur le monde.
Sinon, il y aura le danger d’une crise sociale et économique
[...] avec des conséquences pour tous.»(1)
Voilà ce que pense la presse. Naturellement, cette mise en scène
n’est pas innocente, elle fait partie d’une stratégie qui
demeure le fondement de l’idéologie capitaliste, impérialiste,
colonialiste, bref, le rouleau compresseur du capital qui broie
tous ceux qui s’opposent à cette civilisation du chaos pour les
plus faibles. D’ailleurs, même ces messes basses quant à
l’attribution du prix Nobel sont connues. On se souvient que
l’apôtre de la non-violence, Gandhi, n’a jamais eu le prix, car
il ne rentrait pas dans le cadre occidentalo-centriste tracé par
l’Empire britannique et repris par l’Empire américain. Par
contre, on dit qu’Hitler, Mussolini ont été nominés. Bref, le
prix Nobel à de rares exceptions, doit servir l’idéologie
dominante. On se souvient que l’empire soviétique a été démoli
grâce notamment à plusieurs prix Nobel: Boris Pasternak[pour un
manuscrit exfiltré par la CIA...] qui ne fit pas le déplacement,
Soljenitsyne, Vaclav Havel, et Lech Walesa, et même Gorbatchev
pour, dit-on, services rendus..(2)
Le chantage
Si la Chine a réagi négativement, il en fut de même de
l’Occident qui lui aussi menace, admoneste, se souvient.
L’Occident, qui accuse la Chine de faire pression sur certains
pays pour ne pas aller à la cérémonie, est bien mal placé pour
le faire. On apprend par exemple que l’Union européenne a fait
pression sur tous ceux qui aspirent à être dans ses bons
papiers. D’abord, la Serbie, pays candidat à l’UE, l’Ukraine,
l’Egypte, la Tunisie et le Maroc, ont «déçu» la Commission
européenne Ces pays ont cédé à la pression exercée par la Chine.
«Nous sommes évidemment très déçus d’entendre cette décision [de
la Serbie]», a dit Angela Filote, porte-parole du commissaire en
charge de l’Elargissement, Stefan Füle. Elle a indiqué que ce
mouvement n’était pas conforme à la récente décision de l’UE sur
l’ouverture des discussions d’adhésion avec Belgrade.
Mme Filote explique qu’un pays aspirant à rejoindre l’Union
européenne, un pays candidat, doit pleinement partager les
valeurs de l’UE, et que la protection des droits de l’homme
représente l’une de ces valeurs fondamentales. Mme Filote a
déclaré que la Commission avait noté avec regret que l’Ukraine,
l’Egypte, la Tunisie et le Maroc, qui sont des membres de
l’initiative Union of the Mediterranean, ont également refusé de
participer.»(3)
En réaction, la Chine a mis en place le prix Confucius.
Confucius a consacré sa vie entière à l’éducation avant de
quitter ce monde en 479 av. J.-C. Le confucianisme insiste sur
l’harmonie et l’équilibre. «Qui écrit le journal Le Monde, du
lauréat Confucius ou Nobel incarnera la paix en 2010? La
compétition entre la vision pacifique du philosophe chinois et
celle du comité norvégien est officiellement ouverte avec
l’organisation, jeudi 9 décembre à Pékin, du ´´prix de la paix
Confucius´´ à la veille de la cérémonie de remise du prix Nobel
de la paix, attribué en octobre au dissident chinois Liu Xiaobo.
Une distinction inédite, qui sera décernée à l’ancien
vice-président taïwanais Lien Chan, un haut responsable
politique qui a «construit un pont de paix entre Taïwan et le
continent [chinois], apportant joie et chance aux peuples des
deux rives du détroit de Taïwan». L’idée d’un prix Confucius de
la paix a été lancée le 17 novembre dernier dans une tribune du
Global Times. «C’est une espèce de réponse pacifique au prix
Nobel de la paix 2010 (...) qui exprime la vision de paix du
peuple chinois´´, ont déclaré, dans un communiqué diffusé
mercredi, les organisateurs. «La Chine est une grande nation qui
a été influencée par le concept de paix depuis très longtemps»,
a affirmé Tan Changliu. «Nous voulons promouvoir la paix dans le
monde dans une perspective orientale», a-t-il ajouté, soulignant
que ´´l’Europe est emplie de petits pays qui se sont combattus
pendant des siècles». «Nous ne voulons pas voir des gens qui ne
comprennent pas la paix en saper le concept», a conclu M.Tan.(4)
Le secrétaire exécutif du comité Nobel, Geir Lundestad, a pour
sa part souligné qu’en cent neuf ans d’histoire du Nobel de la
paix, ce ne sera que la deuxième fois que la récompense ne
pourra être remise au lauréat ou à un de ses représentants. Le
seul exemple comparable remonte à 1936, au temps de l’Allemagne
nazie, lorsque le pacifiste Carl von Ossietzky, lauréat a
posteriori du Nobel 1935, n’avait pu recevoir sa récompense.
Justement à la même période et dans un silence assourdissant de
la majorité des médias occidentaux, était délivré le prix Carl
von Ossietzky à Mordechaï Vanunu, un pacifiste israélien en
résidence surveillée après avoir passé dix huit-ans de prison
pour avoir dénoncé le programme nucléaire israélien. Nous lisons
dans une contribution à ce sujet: «La presse française est une
des pires qui soient si on la compare à celle qu’on trouve dans
des pays comparables. La presse espagnole par exemple, est bien
meilleure que la presse française avec ses journaux soi-disant
de qualité. Ce n’est en effet pas par la presse française, en
dehors de la presse internet militante et d’une brève sur Rue
89, que vous pourrez savoir que Mordechai Vanunu devait recevoir
un prix pour la paix à Berlin, le prix Carl von Ossietzky, mais
qu’il n’a pas pu être présent car il est toujours sous étroite
surveillance dans l’entité sioniste après avoir purgé une longue
peine de prison. Il y a eu de fait un black-out des journaux
français sur cette information et on peut se demander pourquoi.
Le journal espagnol La Vanguardia en parle cependant et pas sous
la forme d’une brève puisqu’il nous gratifie d’une belle
interview de Gideon Spiro, un militant antinucléaire de l’entité
sioniste et qui anime un comité de soutien à Mordechai Vanunu.
Je dois dire que le discours de Gideon Spiro, d’une grande
qualité et d’une grande lucidité, mérite d’être porté à la
connaissance des lecteurs francophones. C’est donc chose faite.
La Ligue Internationale des Droits de l’Homme, une organisation
des plus vénérables, a tenu hier à Berlin la cérémonie annuelle
de remise de prix, une tradition vieille d’un demi-siècle,
décerné cette année au pacifiste et dissident israélien
Mordechai Vanunu. A l’instar du dissident et prix Nobel de la
paix chinois Liu Xiaobo, Vanunu n’a pas été en mesure de
recevoir à Berlin son prix qui porte le nom de Carl von
Ossietzky, un journaliste pacifiste allemand des années 1930.
Von Ossietzky fut condamné pour «trahison» pour avoir divulgué
en 1931 dans la revue Die Weltbuhne, le réarmement secret de
l’Allemagne. En 1936, il se vit décerner le prix Nobel de la
paix, mais les nazis ne permirent pas à Ossietzky d’aller le
chercher. De même, Mordechai Vanunu a été condamné en 1986 à 18
ans de prison pour trahison et «espionnage». Son crime fit de
révéler que les Israéliens disposaient secrètement de l’arme
nucléaire. Libéré en 2004, il reste interdit de tout contact
avec la presse et n’est pas libre de ses mouvements. A la
cérémonie berlinoise, où le nom de Julian Assange, autre
divulgateur de secrets, était sur toutes les lèvres, était
présente Mairead Corrigan-Maguire, prix Nobel de la paix 1976,
qui a qualifié de «honte» l’absence imposée à Vanunu. Corrigan-Maguire
et cinq autres prix Nobel, dont l’Allemand Gunter Grass, avaient
demandé que Vanunu soit autorisé à venir à Berlin, sans obtenir
aucune réponse. En son absence, des pacifistes israéliens
proches de Vanunu ont participé à la cérémonie, dont le
journaliste Gideon Spiro, fondateur du comité de soutien à
Vanunu.(5)»
Les nouveaux missionnaires
Pourquoi en définitive, cet acharnement dont on connaît les
fondements largement impérialistes, pour tenter d’empêcher
l’éveil paisible de la Chine? Dominico Losurdo nous donne une
explication. Nous l’écoutons: «Transmis en direct par toutes les
plus importantes chaînes de télévision du monde, le discours
prononcé par le président du Comité Nobel à l’occasion de la
remise du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo se présente comme
un véritable manifeste de guerre. Le concept fondamental est
aussi clair que grossier et manichéen: les démocraties ne se
sont jamais fait la guerre et ne se font pas la guerre entre
elles; et donc pour faire triompher une fois pour toutes la
cause de la paix, il faut diffuser la démocratie à l’échelle
planétaire. Celui qui parle ainsi ignore l’histoire, il ignore
par exemple la guerre qui, de 1812 à 1815, se développe entre la
Grande-Bretagne et les USA. Ce sont deux pays «démocratiques» et
qui, de plus, font partie tous les deux de la «pragmatique» et
«pacifique» souche anglo-saxonne. Et pourtant, la fureur de la
guerre est telle que Thomas Jefferson compare le gouvernement de
Londres à «Satan», et va jusqu’à déclarer que la Grande-Bretagne
et les USA sont engagés dans une «guerre éternelle» (eternal war),
laquelle est destinée à se conclure par l’ «extermination»
(extermination) de l’une ou l’autre partie.» «En identifiant
cause de la paix et cause de la démocratie, le président du
Comité Nobel embellit l’histoire du colonialisme, qui a souvent
vu des pays «démocratiques» promouvoir l’expansionnisme, en
ayant recours à la guerre, à la violence la plus brutale et
jusqu’à des pratiques génocides. Mais il ne s’agit pas seulement
du passé. Par son discours, le président du Comité Nobel a
légitimé a posteriori la première guerre du Golfe, la guerre de
Yougoslavie et la seconde guerre du Golfe, toutes conduites par
de grandes «démocraties» et au nom de la «démocratie».
Maintenant, le plus grand obstacle à la diffusion universelle de
la démocratie est représenté par la Chine, qui constitue donc en
même temps le foyer de guerre le plus périlleux; lutter par tous
les moyens pour qu’un «régime change» à Pékin est une noble
entreprise au service de la paix: voilà le message qui a été
transmis depuis Oslo et bombardé dans le monde entier, et il a
été transmis et bombardé tandis que la flotte militaire
états-unienne ne cesse de «s’entraîner» à faible distance des
côtes chinoises. En son temps, un illustre philosophe démocrate
et occidental, John Stuart Mill, a défendu les guerres de
l’opium contre la Chine comme une contribution à la cause de la
liberté: liberté de l’ «acquéreur» avant même celle «du
producteur ou du vendeur». C’est dans le sillage de cette
funeste tradition colonialiste que se sont placés les seigneurs
de la guerre d’Oslo. Le manifeste lancé par le président du
Comité Nobel doit retentir comme une sonnette d’alarme pour tous
ceux qui ont réellement à coeur la cause de la paix.»(6)
Il y a quelques siècles, les missionnaires chrétiens disaient
que ceux qui ne se convertissaient pas au christianisme iront en
enfer. Les nouveaux missionnaires des droits de l’homme disaient
la même chose. Sans la démocratie, c’est l’enfer! L’Histoire
nous dira qui a raison. Cet argumentaire selon lequel il n’y
aurait en Chine qu’une alternative: la dictature (on n’ose plus
dire du prolétariat: même le cynisme a ses limites) ou le chaos,
s’inscrit dans l’ensemble plus vaste de l’idéologie relativiste,
qui soutient qu’il n’y a pas de droit universel, que donc les
droits de l’homme sont une fiction hypocrite de l’impérialisme,
etc. Cette idéologie qui prétend faire de la Chine (et de
l’Afrique!) une terre de non-droit, doit être combattue sans
faiblesse. A lire certains commentaires, on constate sans
surprise que les régimes forts auront toujours leurs
thuriféraires - avec les meilleures intentions du monde, mais
justement on dit que l’enfer en est pavé. L’argument selon
lequel une Chine démocratique serait livrée au chaos pour le
plus grand bénéfice de l’Impérialisme a déjà beaucoup servi,
surtout en Chine. Obama, qui ordonne qu’on relâche sans délai
Liu Xiaobo, oublie le vrai danger pour la stabilité du monde: le
conflit palestinien, sur lequel il a tout pouvoir d’imposer une
solution juste et humaine. Malgré son Nobel à lui, il préfère
préserver les intérêts d’une poignée de colons... Le Nobel d’Obama
a débouché sur l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires pour
une paix des cimetières au quotidien pour les Afghans harassés
par tant de malheurs. A tout prendre, le prix Confucius de la
paix contre celui du Nobel dont on sait qu’il a un fondement
explosif, est peut-être un premier pas vers un affranchissement
de cet Occident qui dicte la norme et qui est loin d’être une
référence. La déconstruction de ce mythe, travail de longue
haleine, ne suffit pas, il faut progressivement répondre à
l’instar de la Chine, par un travail scientifique continu qui ne
laisse pas de place à la démagogie.
1.Le Prix Nobel a été symboliquement remis à Liu Xiaobo, grand
absent à Oslo LeMonde.fr avec AFP et Reuters 10.12.10
2.Chems Edidine Chitour: L’Expression 10 ocotbre 2010
3.Réseau EurActiv Nobel de la paix: L’UE critique le boycott de
la cérémonie 09.12.2010
4.Prix Confucius: Le contre-prix Nobel chinois LeMonde.fr avec
AFP 09.12.10
5.Rafael Poch, La Vanguardia 12.12.2010 Entretien avec Gideon
Spiro, fondateur du Comité israélien de soutien à Mordechai
Vanunu..traduction Monadhil Djazairi 17 décembre 2010.
http://www.legrandsoir.info/Black-out-de-la-presse-francaise-sur-le-prix-Carl-von-Ossietzky-decerne-a-Mordechai-Vanunu.html
6.Domenico Losurdo: Un manifeste de guerre Sur le prix Nobel à
Liu Xiaobo Mondialisation.ca 10.12.2010 Traduit de l’italien par
Marie-Ange Patrizio.
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 20 décembre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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