|
L'EXPRESSIONDZ.COM
LE SOUDAN DESSOUDÉ
Les pays arabes attendent
patiemment leur tour
Chems Eddine
Chitour
Lundi 17 janvier 2011
«Les batailles que nous perdons sont
celles que nous n’engageons pas»
A. Belkaïd
Une information anodine nous apprend que le
Soudan dans sa structure actuelle va disparaître amputé de près
de 600.000 km² au profit d’un nouvel Etat. Diviser un pays en 2
n’est pas chose fréquente, mais cela mérite un petit
commentaire. Le futur pays regroupe des Chrétiens et des
animistes et, possède du pétrole. Le Soudan est un pays de l’est
de l’Afrique. Bordé par 9 pays et la mer Rouge, c’est le pays le
plus étendu du continent africain devant l’Algérie avec
2.505.813 km² dont 589.745 km² pour le Sud-Soudan, 42 millions
d’habitants. Son nom vient de l’arabe Balad as-sûdaan, «Pays des
noirs». Pour l’histoire récente, en1989 le général el-Bechir
s’empare du pouvoir. En 2003: la guerre civile éclate au
Darfour. En 2005: signature à Nairobi d’un accord de paix entre
le gouvernement de Khartoum et l’Apls. Cet accord prévoit pour
une période de six ans, une large autonomie pour le Sud qui
disposera de son propre gouvernement et d’une armée autonome; à
l’issue de cette période, un référendum d’autodétermination sera
organisé le 9 janvier 2011. En 2009: la Cour pénale
internationale (CPI) lance un mandat d’arrêt contre Omar el-Bechir.
Pétrole
Comment un aussi grand pays chargé d’histoire puisse-t-il être
dépecé sous le regard impuissant des Arabes qui regardent
ailleurs et sous le regard ravi des Occidentaux et d’Israël?
Deux raisons importantes: d’abord, le besoin de plus en plus de
matières premières et la boulimie pétrolière des grands
(Etats-Unis, Europe, et Chine), mais aussi, des questions
stratégiques et là c’est Israël qui mène la danse. On peut
penser à juste titre quelle est l’inspiratrice du Grand
Moyen-Orient par néo- conservateurs interposés aux Etats-Unis.
Enfin l’éclatement de l’Union soviétique a permis d’ouvrir la
boite de Pandore, les nations faibles comme celles des Arabes
n’ont plus le parapluie soviétique, c’est alors le
sauve-qui-peut pour les potentats arabes qui, chacun développent
une stratégie de survie non pas de leur pays, mais de leur
fauteuil présidentiel ou royal. Dans une contribution pertinente
nous lisons: «Avec le temps, l’Empire ne s’est plus contenté de
rêver. Il s’est, par contre, activé pour disloquer cet immense
pays africain plusieurs fois millénaire. Ce Soudan trop grand
pour passer inaperçu et trop stratégique pour que l’on laisse sa
population y vivre en paix. (...) Ce Soudan, enfin, qui, par son
seul emplacement, permet l’encerclement de tout le Moyen-Orient,
l’Égypte en premier, l’amputant de sa profondeur géostratégique
ainsi que de sa seule fenêtre ouverte sur les pays du Nil et ses
eaux de plus en plus rares et qui sont pour l’Égypte, comme le
sang dans les veines, d’une nécessité vitale. Et la découverte
du pétrole n’a pas arrangé les choses. Pis, elle a eu pour effet
immédiat d’accélérer une vieille approche américano-israélienne
datant des années cinquante. Et c’est ainsi qu’un banal conflit
entre pasteurs et agriculteurs, bousculés chacun dans son mode
de vie par la sécheresse et les changements climatiques, y est
érigé en choc des civilisations: Arabes contre Africains, nous
dit-on souvent, ou, du reste, Musulmans contre Chrétiens. (...)
Cela dit, grisé par cet exploit et fidèle à ses vicieuses
habitudes, l’Empire ne se contente plus, désormais, du Soudan.
En effet, la politique d’encerclement du monde arabe que Ben
Gourion résuma par sa célèbre phrase ´´l’emprise sur les
extrêmes´´ place le Maghreb, aussi, dans ses agendas maléfiques.
(...) Tribuns communautaires, racistes et revanchards et qui,
sous d’autres cieux, se festoient allègrement avec ces mêmes
fossoyeurs du Soudan comme Save Darfour et ses ramifications
sionistes européennes. Tantôt défendant les Noirs de la
Mauritanie, ou les Amazighs du Maroc et tantôt les Kabyles
d’Algérie ou les Berbères de la Libye, ils constituent, en
réalité, une cinquième colonne que l’Empire tâchera bien d’en
faire, le moment venu, bon usage. Tâchera bien, en effet, de
leur promettre les miettes dans son festin des vautours.»(1)
Dans le même sens et pour bien comprendre la stratégie
israélienne, nous lisons une contribution reprise dans le Réseau
Voltaire des extraits d’un article de la revue Kivounim
(Orientation), publié par l’«Organisation sioniste mondiale» à
Jérusalem (n°14, février 1982). Ils présentent un plan de
démembrement des États arabes, qui constitue la référence du
projet de «remodelage du Proche-Orient» de l’administration
Bush. «La reconquête du Sinaï, avec ses ressources actuelles,
est un objectif prioritaire que les accords de Camp David et les
accords de paix empêchaient jusqu’ici d’atteindre (...)La
situation économique de l’Égypte, la nature de son régime, et sa
politique panarabe, vont déboucher sur une conjoncture telle
qu’Israël devra intervenir...Sa division en provinces
géographiques distinctes doit être notre objectif politique pour
les années 1990, sur le front occidental. Une fois l’Égypte
ainsi disloquée et privée de pouvoir central, des pays comme la
Libye, le Soudan, et d’autres plus éloignés, connaîtront la même
dissolution. La formation d’un État copte en Haute-Égypte, et
celle de petites entités régionales de faible importance, est la
clef d’un développement historique actuellement retardé par
l’accord de paix, mais inéluctable à long terme. La partition du
Liban en cinq provinces (...) préfigure ce qui se passera dans
l’ensemble du Monde arabe. L’éclatement de la Syrie et de l’Irak
en régions déterminées sur la base de critères ethniques ou
religieux, doit être, à long terme, un but prioritaire pour
Israël, la première étape étant la destruction de la puissance
militaire de ces États. C’est un objectif qui est déjà à notre
portée. Riche en pétrole, et en proie à des luttes intestines,
l’Irak est dans la ligne de mire israélienne. (...) La Péninsule
arabique tout entière est vouée à une dissolution du même genre,
sous des pressions internes. C’est le cas en particulier de
l’Arabie Saoudite: l’aggravation des conflits intérieurs et la
chute du régime sont dans la logique de ses structures
politiques actuelles. (...)»(2)
Cinquième colonne
On le voit, la stratégie pour diviser et accaparer des richesses
n’est pas seulement l’apanage des grands Etats-Unis, Europe, et
Chine, Israël se sent concerné à plus d’un titre avec son savoir
elle arrive à exporter des armes. Vente d’armes, soutien
logistique, formation...L’intérêt de l’État hébreu pour les pays
au sud du Sahara ne se dément pas. «En Afrique, là où il y a de
l’argent, il y a des armes israéliennes», clame-t-il. «Les
Israéliens sont derrière tous les conflits en Afrique»,
s’écriait en août 2009 le colonel El Guedaffi.
Selon la chaîne Al-Alam, Adnan Abou-Amer a écrit que les
services d’espionnage du régime sioniste, en soutenant, ces
dernières années, la lutte armée, équipant les mouvements
séparatistes du Sud Soudan des armes les plus sophistiquées et
formant des dizaines de pilotes d’avions légers pour attaquer
les centres gouvernementaux au Sud, ont joué un rôle destructeur
contre le gouvernement central. La stratégie du régime sioniste
au Sud-Soudan, notamment après la séparation, ne se limiterait
pas uniquement aux intérêts économiques, et ce régime tente de
désintégrer d’autres pays arabes dont l’Egypte, pour empêcher
que ces derniers ne deviennent des dangers pour la stabilité et
la sécurité d’Israël. (..)Le gouvernement américain, étant sous
pression du lobby sioniste au Congrès, a dressé un plan nommé
«le projet du nouveau Soudan» dont l’objectif est de détruire
l’identité islamique du Soudan. Le Sud-Soudan détient 85% des
ressources énergétiques. Les mines de magnésium et du cuivre, et
le contrôle du Nil comme source vitale du Soudan et de 9 autres
pays africains, ont fait que le régime sioniste et les
Etats-Unis y portent une attention toute particulière.»(3)
Sur un autre plan, la Cour pénale internationale et derrière
elle, Washington et les grands pays européens qui prêchaient
jour et nuit pour juger le président soudanais Omar el Bechir
pour génocide et crimes de guerre, ont changé de cap, et
soudainement, les grandes puissances ne sont plus intéressées de
traduire en justice «le responsable de la mort des millions de
personnes au cours de la guerre civile qui a ravagé le pays»,
comme le prétendaient-elles. En échange de l’acceptation (ou la
résignation) d’el Bechir de la partition du Soudan, révèlent des
rapports américains, la communauté internationale renoncera à sa
poursuite judiciaire, et plus encore, elle diminuera, et
peut-être annulera, les dettes de ce pays! Voilà comment le jeu
politique international se joue contre les pays du tiers-monde:
pétrole contre nourriture comme ce fut le cas en Irak, Terre
contre Paix comme en Palestine occupée, et aujourd’hui nous
assistons à la nouvelle équation au Soudan: partition contre
Présidence ou Partition contre acquittement de dettes! (..)»(4)
Ahmed Halli parlant de l’apathie arabe écrit: «J’observe avec un
certain étonnement que le Monde arabe semble résigné à voir le
Soudan divisé en deux Etats, dès le début de la nouvelle année.
Prévu pour le 9 janvier 2011, le référendum d’autodétermination
organisé dans le sud du pays consacrera vraisemblablement la
scission du pays en deux. Le «machin» arabe, ou Ligue des chefs
d’Etat, publiera sans doute un communiqué exprimant des regrets,
après avoir passé des décennies à ne rien faire, sauf à soutenir
les tyrans du Nord et à attiser le feu. El-Bechir a, en effet,
révélé ses plans d’après scission du Sud. Il a enterré
définitivement le Soudan fédéral en annonçant que l’Etat du Nord
ferait un nouveau bon dans l’application de la Charia. Le
malheur du Soudan, c’est qu’il va perdre le Sud, et conserver
des dirigeants corrompus et assoiffés de pouvoir. (...) Le
rédacteur en chef du quotidien saoudien Alhayat, Ghassan
Charbel, se dit surpris et attristé par les propos de Omar el
Bechir, en tant que Libanais qui s’inquiète pour le devenir de
son pays. Il s’étonne d’abord que les dirigeants soudanais
puissent considérer comme inéluctable la scission du Sud, et
qu’ils s’en réjouissent même par avance. «Est-il normal,
relève-t-il, que la disparition de la diversité soit source de
liesse, alors que l’on assiste au déchirement de la carte
géographique du pays? Et qui dit que la tentation du divorce se
limitera à la partie sud du pays seulement? Les pays arabes
devraient s’inquiéter de ce qui va se passer au Sud Soudan, et
de ce qui se passe au Kurdistan irakien, car ces évènements sont
les prémices de la saison des séparations et de la partition des
pays et des Etats», avertit Ghassan Charbel. (...) L’Islam qui
se résume, aux yeux d’Omar el Bechir, à la flagellation, à
l’amputation des membres et à la peine de mort. On peut
légitimement penser que ce sont ces idées rétrogrades sur
l’Islam qui séduisent le plus les dirigeants arabes, peu enclins
à la sévérité envers le président actuel du Soudan.»(5)
Omar el Bechir n’a pas su être le président de Tous les
Soudanais. Pour garder le pouvoir pendant plus de 20 ans, il a
joué de toutes les divisions attisant les haines et en
définitive créant par son comportement les conditions d’une
partition qui était inéluctable. Ce sera le sort de tous les
pays dont les frontières ont été tracées par les colonisations.
Il est à craindre que les pays arabes, voire les pays africains,
vont être redécoupés selon la technique qui a démarré il y a un
siècle par Sikes Picot puis après l’explosion de l’Union
soviétique suivie de la disparition de la RDA et de
l’atomisation de la Yougoslavie. Curieusement, les Européens à
27 découvrent ce désir d’être ensemble selon le mot de Renan. On
parle d’inscrire dans le marbre les valeurs chrétiennes de
l’Europe. Les dirigeants arabes savent que la théorie des
dominos est en marche, ils sont résignés à la curée occidentale
pourvu qu’ils gardent leur fauteuil. L’Occident, mais aussi les
autres grandes nations, n’auront de cesse de vouloir accaparer
des richesses des pays du Sud. Les pays arabes principalement
seront de plus en plus les victimes expiatoires. Pour avoir
brisé les espérances de leurs peuples, ils ont une
responsabilité historique devant ce délitement qui fait qu’il
n’y a plus d’unité. On avait cru un certain temps que la Oumma
pouvait servir au nom des idéaux de l’Islam de ceinture de
sécurité, il n’en n’est rien. Ce qui restera de plus en plus ce
seront les ethnies; les populations se redécouperont par
nouvelle affinité culturelle en attendant de tenter de survivre
ou de se satelliser autour des futurs nouveaux seigneurs: ceux
qui détiennent la technologie. Quant à la Ligue arabe ou plus
exactement la ligue égyptienne, on se demande quand est-ce qu’on
annoncera enfin son acte de décès.
Il est à craindre qu’à l’instar du Soudan le monde, dit arabe,
se disloquera, ce que les sionistes ont prévu, ils tenteront de
le faire avec les Etats-Unis mais pas seulement, il faut y
ajouter les autres: l’Europe en perte de vitesse et qui
s’accroche d’une façon pathétique à une vision du passé, celle
du Commonwealth et sa version française celle de l’AOF, AEF.
Lobby sioniste
«On ne s’impose qu’en s’opposant» dit le proverbe; la reddition
honteuse d’el Bechir lui permettra de sauver sa tête mais pas le
Soudan. Les Arabes seront de plus ne plus balkanisés, et le
découpage du Grand Moyen-Orient conçu par les néoconservateurs
n’est qu’une pâle copie des desseins d’Israël. A cette cadence
de délitement, le Monde arabe connaîtra un découpage qui
favorisera les ethnies même les plus insignifiantes pourvu
qu’elles soient détentrices de minerais divers et d’énergie.
L’Arabie Saoudite sera réduite à un émirat religieux autour de
La Mecque, le reste «appartiendra» aux futurs seigneurs de la
science et à ce titre, Israël est très bien placé.
Il faut savoir que l’Algérie deviendra, après l’indépendance
imminente du Sud-Soudan, le plus grand Etat africain et le
dixième à l’échelle du Monde. En Algérie l’aura de la Révolution
a été malmenée, salie, instrumentalisée au gré des connivences
et combines en tout genre. Il n’y a pas à mon sens d’hommes
politiques capables de développer une vision sur les vingt
prochaines années. Tout au plus, c’est une gestion du quotidien
qui permet de voir passer les jours sans aucune stratégie. Pour
avoir des chances de durer, sans que cela ne soit garanti, il
est nécessaire de réconcilier ce peuple avec son histoire. Sans
vouloir renier l’apport fécond de la culture et de la langue
arabes, il est important de réhabiliter l’identité première
amazighe, c’est à n’en point douter un ciment. Nous devons de
plus en plus revenir à nos fondamentaux. L’identité amazighe
transcende les frontières algériennes, elle est maghrébine, elle
peut d’une certaine façon fédérer et c’est une chance, avec
l’identité cultuelle que représente l’Islam les énergies et
tenter de résister à cette mondialisation qui lamine les plus
faibles. Cela ne suffira pas. Des dirigeants fascinés par
l’avenir auront à coeur de permettre à chacune et à chacun de
s’exprimer, et d’être des acteurs de leurs destins et non des
moutons. Cela ne suffira pas. Avec le parler vrai, il faudra,
toute affaire cessante, revoir de fond en comble le système
éducatif qui est responsable à des degrés divers de cette
débâcle. Seul le savoir sauvera l’Algérie qui doit
impérativement tourner le dos à des réflexes et à une langue de
bois qui n’ont plus cours.
1.http://www.alterinfo.net/Le-Soudan-et-le-festin-des vautours
9.12.2010
2.http://www.voltairenet.org/article9888.html
3. Plan néfaste des Sionistes pour le Soudan
http://french.irib.ir Mardi 11 Janvier 2011
4.Nada Raad http://www.almanar.com.lb La partition du Soudan,
10.01.2011
5.Ahmed Halli Le Soudan garde le Nord et El-Bechir. Le soir
d’Algérie 27.12.2010
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 17 janvier 2011 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
Le dossier
Monde
Les dernières mises à
jour
|