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A QUOI SERVENT LES RELIGIONS
Peut-on vivre sans Dieu ?
Chems Eddine Chitour
La mosquée bleue
Jeudi 12 août 2010
«L’existence est une mer sans cesse agitée
par les vagues. De cette mer, les gens ordinaires ne perçoivent
que les vagues. (...) tandis que la mer reste cachée sous les
vagues.» Jâmî (mystique iranien)
En ce début du mois de Ramadhan, il nous
plait de contribuer modestement par une série de contributions
au débat spirituel. Il est connu que l’inquiétude, voire
l’angoisse par rapport au monde de l’invisible, a toujours été
une constante de l’humain. L’homme de la préhistoire était hanté
par le surnaturel et avait la préoccupation de communiquer avec
ce monde inconnu. Sur de nombreux sites, les scientifiques ont
découvert des pierres dressées vers le ciel, pouvant être un
culte, une façon de communiquer avec les dieux en liant ciel et
terre, un lieu de sépulture. Il a marqué un fort attachement à
ses origines, ses morts, ses ancêtres. Ces expressions sont
l’image d’une révolution mentale, psychique de l’homme! Pour
Rémy Chauvin: «L’homme est le seul animal qui allume le feu
et enterre ses morts.» En 1968, Ralph Solecki découvre un
squelette néandertalien abondamment entouré de pollen fossile.
Rituel funéraire, geste symbolique destiné à provoquer la
guérison du malade, ou à le ressusciter? Il y a donc au moins
30.000 ans, l’homme commençait à prendre conscience de la
finitude de son espèce. Il essaie alors de se concilier les
éléments naturels en adorant tout ce qu’il ne pouvait pas
comprendre. On explique ainsi, les cultes dédiés au soleil. Au
fur et à mesure de sa connaissance de la nature, il perfectionne
son rapport à l’au-delà.
Pour comprendre d’où nous venons et que représentons-nous à
l’échelle de l’univers. Cette réflexion élégante du mystère de
l’harmonie de l’univers nous est donnée par une série
d’entretiens du philosophe Jean Guitton avec les deux
astrophysiciens biens connus Igor et Grichka Bogdanov
Ecoutons-les: «À l’échelle macroscopique pense Igor
Bogdanov,, la présence de structures ordonnées caractérisant
l’univers reste, en dépit de nos connaissances, un mystère.
Prenons la question de l’homogénéité des galaxies: l’uniformité
et l’isotropie de la distribution de la matière sont
stupéfiantes; rappelons-nous que la taille de l’univers
observable est de l’ordre de 1028 centimètres; à cette échelle,
la matière a une densité uniforme que l’on peut mesurer avec
précision de l’ordre de 10-5. Toutefois, à des échelles
inférieures, l’univers cesse d’être homogène: il est constitué
d’amas de galaxies contenant des galaxies qui, elles-mêmes, sont
composées d’étoiles, etc. Or, comment l’inhomogénéité régnant à
petite échelle a-t-elle pu engendrer un ordre si élevé à grande
échelle?»(1)
Aux origines de la
spiritualité
Ce à qui amène Jean Guitton à poser la
question fondamentale sur le «moteur» de cette mécanique
céleste: «Si un ordre sous-jacent gouverne l’évolution du
réel, il devient impossible de soutenir, d’un point de vue
scientifique, que la vie et l’intelligence sont apparues dans
l’univers à la suite d’une série d’accidents, d’événements
aléatoires dont toute finalité serait absente. En observant la
nature et les lois qui s’en dégagent, il me semble, au
contraire, que l’univers tout entier tend vers la conscience.»
«Nous touchons, répond Grichka Bogdanov là au grand mystère:
Rappelons-nous que la réalité tout entière repose sur un petit
nombre de constantes cosmolo-giques: moins de quinze. Il s’agit
de la constante de gravitation, de la vitesse de la lumière, du
zéro absolu, de la constante de Planck, etc. Nous connaissons la
valeur de chacune de ces constantes avec une remarquable
précision. Or, si une seule de ces constantes avait été un tant
soit peu modifiée, alors l’univers - du moins tel que nous le
connaissons -, n’aurait pas pu apparaître. Un exemple frappant
est donné par la densité initiale de l’univers:si cette densité
s’était écartée un tant soit peu de la valeur critique qui était
la sienne dès 10-35 seconde après le big bang, l’univers
n’aurait pas pu se constituer. Aujourd’hui, le rapport entre la
densité critique de l’univers et la densité critique originelle
est de l’ordre de 0,1; or il a été incroyablement près de 1 au
départ, jusqu’à laquelle nous remontons. L’écart avec le seuil
critique a été extraordinairement faible (de l’ordre de 10-40)
un instant après le big bang de sorte que l’univers a donc été
"équilibré" juste après sa naissance. Ceci a permis le
déclenchement de toutes les phases qui ont suivi. Un autre
exemple de ce fantastique réglage: si nous augmentions de un
pour cent à peine l’intensité de la force nucléaire qui contrôle
la cohésion du noyau atomique, nous supprimerions toute
possibilité aux noyaux d’hydrogène de rester libres, ils se
combineraient à d’autres protons et neutrons pour former des
noyaux lourds. Dès lors, l’hydrogène n’existant plus, il ne
pourrait plus se combiner aux atomes d’oxygène pour produire
l’eau indispensable à la naissance de la vie. Au contraire, si
nous diminuons légèrement cette force nucléaire, c’est la fusion
des noyaux d’hydrogène qui devient impossible. Sans fusion
nucléaire, non plus de soleils, non plus de sources d’énergie,
non plus de vie. (...)»(1) Jean Guitton pose alors la
question du hasard: «(...) Ni les galaxies et leurs milliards
d’étoiles, ni les planètes et les formes de vie qu’elles
contiennent ne sont un accident ou une simple "fluctuation du
hasard." Nous ne sommes pas apparus "comme ça", un beau jour
plutôt qu’un autre, parce qu’une paire de dés cosmiques a roulé
du bon côté. Laissons cela à ceux qui ne veulent pas affronter
la vérité des chiffres.» «Il est vrai, conclut Igor
Bogdanov, que le calcul des probabilités plaide en faveur d’un
univers ordonné, minutieusement réglé, dont l’existence ne peut
être engendrée par le hasard. Certes, les mathématiciens ne nous
ont pas encore raconté toute l’histoire du hasard: ils ignorent
même ce que c’est. Mais ils ont pu procéder à certaines
expériences grâce à des ordinateurs générateurs de nombres
aléatoires. A partir d’une règle dérivée de solutions numériques
aux équations algébriques, on a programmé des machines à
produire du hasard. Ici, les lois de probabilité indiquent que
ces ordinateurs devraient calculer pendant des milliards de
milliards d’années, c’est-à-dire pendant une durée quasiment
infinie, avant qu’une combinaison de nombres comparable à ceux
qui ont permis l’éclosion de l’univers et de la vie puisse
apparaître. Autrement dit, la probabilité mathématique que
l’univers ait été engendré par le hasard est pratiquement
nulle.(...)»(1)
Nous sommes donc en présence du mystère de la création de
l’Univers, de la vie sous toutes ses formes et de l’avènement de
l’homme ce tard venu dans l’échelle du temps et qui se prend
pour le nombril du monde et n’a de cesse comme le montre
l’anomie actuelle de perfectionner des armes pour détruire son
espèce et détruire la nature par un mode de vie scandaleux. Nous
allons aborder maintenant le deuxième questionnement et la
nécessité d’un arbitre transcendant Pourquoi a-t-on besoin de
croire en un Dieu? Pour trois raisons extrêmement puissantes,
trois questions plus exactement, dont la résolution est donnée
par les religions: a) d’où je viens? b) pourquoi suis-je sur
Terre? c) où irai-je après ma mort? Ces interrogations sont
totalement insupportables à tout un chacun, quel que soit son
niveau humain (c’est-à-dire de réflexion, d’appréhension de
l’univers). Les religions, car il ne saurait y avoir Dieu sans
religion répondent à ces trois interrogations: a) je viens de la
création du Seigneur qui a désiré ma venue. b) je suis sur Terre
pour servir Dieu et préparer. c) ma vie éternelle après ma mort.
Sans foi l’athée, a d’autres réponses: je viens de la création
qui s’est faite par hasard; je suis là pour vivre ma vie, avec
la signification que je lui donnerai; après ma mort, je vais
pour l’éternité dans le néant.(2) Peut-on décider qu’un
événement est bon ou mal si Dieu n’existe pas? «Si Dieu
n’existe pas, qui est en droit de décider de manière absolue de
ce qui est bien ou mal?» Personne. Et c’est vrai! Comme le
dit bien Dostoïevski dans Les Frères Karamazov: «Mais alors,
que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité? Tout est
permis, par conséquent, tout est licite?» Personne n’a rien
à nous dire sur notre manière de vivre. En effet, s’il n’y a pas
de Dieu, alors il n’y pas de règles objectives qui dictent ce
qui est bon ou mauvais. Par conséquent, dans un monde sans Dieu,
qui est en droit de dire ce qui est bien ou mal? Qui a le droit
de juger que ce qu’a fait Hitler est inférieur à ce qu’a fait
l’abbé Pierre? Dire que ceci est bon, ceci est mauvais perd
toute signification dans un univers sans Dieu. Car, dire que
quelque chose est mauvais parce que c’est interdit par Dieu est
parfaitement compréhensible à quelqu’un qui croit en un
Législateur divin.(3)
Le concept d’une obligation morale, qui existerait en dehors de
l’individu, est parfaitement incompréhensible sans l’idée de
Dieu. Dans un monde sans Dieu, il n’y a pas de loi objective qui
dicte ce qui est absolument mauvais et ce qui est absolument
bon, il n’existe que des jugements personnels ou culturels
relatifs. Bien sûr on dit que la philosophie cet «art de
vivre» qui n’est pas à la portée du citoyen lambda est un
garde-fou mais a-t-elle le même pouvoir dissuasif qu’un pouvoir
omnipotent de référence et dont le rôle est justement de «peser»
nos actions. Il n’y a rien dans un univers clos qui puisse
dicter à l’homme ce qui est bien ou mal. Personne ne peut dire à
personne: «C’est vraiment mal ce que vous faites.»
La science et la
foi
Dans un sondage réalisé en France, il y a
quelques années, 49% des personnes interrogées constatent
effectivement que «plus les connaissances scientifiques
progressent, plus il est difficile de croire en Dieu». «La
moitié des chercheurs du CNRS. déclaraient aujourd’hui avoir la
foi ou quelque chose qui s’en approche» et «70% d’entre
eux s’accordent à penser que la science ne peut à ce jour
exclure ou réhabiliter l’idée de Dieu». Ainsi, même si «on
a longtemps pensé que la science allait chasser la fonction
religieuse, c’était une erreur», comme le souligne
l’astrophysicien Hubert Reeves. Cependant, il faut bien être
conscient que science et religion n’abordent pas les mêmes
questions: la science décrit les phénomènes, les mécanismes, le
comment ça marche les principes auxquels nous sommes soumis.
Cependant, «notre soif de signification et d’espérance n’est
pas prise en compte par la science car on ne sait pas
l’introduire dans les équations!» dixit Pierre Karli de
l’Académie des Sciences. La foi, de son côté, s’intéresse aux
questions existentielles concernant le sens de notre vie ici-bas
et dans l’au-delà, l’existence de Dieu, notre relation avec Lui,
en un mot le pourquoi ça marche et le but de notre existence.
Osons donc les vraies questions: Dieu existe-t-il? S’il m’a
créé, qu’attend-t-il de moi? Qu’y a-t-il après la mort?
Questions essentielles, déterminantes même dans une société
moderne...qui donne des signes de déclin du sens? Si nous sommes
issus du hasard, comme l’écrit Jacques Monod, ou d’une soupe
cosmique bien impersonnelle, nous n’aurons de compte à rendre à
personne, et nous resterons les petits maîtres de notre vie,
comme l’exprimait Sartre: «11 n’y a rien au ciel, ni bien, ni
mal ni personne pour me donner d’ordres, car je suis un homme,
Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin!» Si par
contre, nous sommes créés par Dieu, quelles seront les
implications dans nos vies? La relation entre science et
religions s’est traduite parfois par un engouement autour du
créationnisme-concordisme, du dessein intelligent -Intelligent
Design- dans les milieux du protestantisme américain. En Islam
c’est la thématique des miracles scientifiques du Coran.
Pourquoi créationnisme fixiste, dessein intelligent et miracles
scientifiques ont-ils eu un tel écho auprès d’un large public? A
quoi est dû cet engouement doublé d’une ignorance de la nature
du fait scientifique et de sa distinction du phénomène
religieux? Comment répondre de manière appropriée et faire
entendre la voix des savants? Deux grands types de réflexion
nous interpellent; d’une part celle autour du principe
anthropique et de ses implications philosophiques et
théologiques ensuite celle autour de la façon dont les causes
finales nous échappent à travers l’emboîtement successif des
théories astrophysiques. Dieu horloger, Dieu ordinateur, Dieu
qui joue ou ne joue pas aux dés... Pourquoi les scientifiques
posent la question du créateur? Dans quels termes
l’énoncent-ils? De quel Dieu est-il question? Sur le chapitre
spirituel, la représentation de l’univers et son rapport avec
l’incommensurabilité de Dieu interpelle aussi les religions. Les
conceptions du monde, issues du progrès des connaissances
scientifiques, peuvent elles entrer en résonance avec les
intuitions de certaines traditions spirituelles? Sans y voir en
aucune façon des preuves, le scientifique peut-il voir des «signes»
que le monde n’est pas un pur chaos, mais semble correspondre à
un processus ayant une signification? Devant les conquêtes de la
science, les savants enivrés par leur désir de puissance sur la
matière et aveuglés par les victoires éphémères de la science
pensent que tout est démontrable et que tout peut-être mis en
équation. A côté de ce manque d’humilité, d’autres pensent au
contraire qu’il y a quelque chose qui gouverne à la fois les
lois physiques de la nature et celles plus complexes de l’esprit
humain. On rapporte l’angoisse d’Einstein qui n’hésitait pas à
écrire que «la science s’arrête aux pieds de l’échelle de
Jacob». Si Einstein est respecté et écouté, il n’en est pas
moins, à la fin de sa vie, en butte avec la jeune génération de
physiciens comme Heisenberg, Pauli et surtout Bohr. En effet,
Einstein a posé les fondations d’une nouvelle théorie, la
théorie quantique, qu’il n’accepte pas. Cette théorie interdit
toute représentation réelle des objets physiques élémentaires
comme les électrons, les protons, etc. Ils ne peuvent être
décrits qu’en termes de probabilité: probabilité qu’ils suivent
une certaine trajectoire, qu’ils aient une certaine position,
une certaine vitesse. Or, Einstein n’adhère pas à cette vision
probabiliste de la réalité. Pour lui, Dieu ne joue pas aux dés.
Il refuse que le résultat d’une expérience ne puisse être unique
et prédit avec certitude. Pour lui, la mécanique quantique est
sinon inexacte, du moins incomplète. Pourquoi y a-t-il quelque
chose plutôt que rien? Est-ce que le temps est né avec la
création de l’univers? Ainsi «pour expliquer la fabuleuse
précision du réglage, il faut postuler l’existence d’un principe
créateur et organisateur.» Telle est la conclusion de
l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Il compare même la
probabilité que notre univers soit issu du hasard à celle d’un
archer réussissant à planter sa flèche au milieu d’une cible
carrée de 1 cm de côté et située à l’autre bout de l’univers.
Autant dire que cette probabilité est quasi nulle. De plus, «l’origine
de la vie, déclare Francis Crick, prix Nobel de Biologie, paraît
actuellement tenir du miracle, tant il y a de conditions à
réunir pour la mettre en oeuvre». A ce stade, nous
atteignons les limites de la science. L’étape suivante n’est pas
de son ressort, mais de celui de la foi et c’est là que les
religions apportent un certain secours aux croyants.(4)
1.Jean Guitton, Igor et Grichka Bogdanov.
Dieu et la science, Entretiens Ed Grasset 1991.
2.http: //comprendre-la-vie. blogspot.com/2006/11/
3.
http://www.questionsuivante.fr/philosophies_et_spiritualite-139.html
4. Chems E. Chitour. Science, foi et désenchantement du monde.
Rééditions. OPU 2006
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 12 août 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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