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L'EXPRESSIONDZ.COM
MOSSADEGH, AHMADINEJAD
50 ans après, l'histoire se
répète
Chems Eddine Chitour

Samedi 12 juin 2010
«La dissimulation est aux affaires
ce que l’alliage est à la monnaie: un peu est nécessaire, trop
la discrédite» Proverbe iranien.
Il y a près de 60 ans, le 19 août 1953 Mossadegh était sacrifié
par le Shah d’Iran pour s’être opposé aux multinationales
anglaises et américaines. Les Britanniques lui reprochent
d’avoir nationalisé les gisements pétroliers d’Iran.
Nationaliste farouche, il rejette une offre de l’Anglo-Iranian
Oil Company de partager par moitié les profits et, dès le 1er
mai 1951, fait voter la nationalisation. Le Royaume-Uni menace
en représailles de saisir les «bateaux pirates» transportant du
«pétrole rouge». Les marchés occidentaux se ferment au pétrole
iranien, occasionnant une grave crise dans le pays et un conflit
aigu entre le Premier ministre et le souverain, Réza Pahlévi. En
août 1953, Mossadegh dissout le Majlis. Mais le 16 août 1953,
Mohammed Réza shah envoie ses gardes au domicile de son Premier
ministre pour l’arrêter. Surprise! les gardes de Mossadegh
désarment ceux du roi... et ce dernier doit fuir son pays pour
l’Italie dans la précipitation. Dans les deux jours qui suivent,
les habitants de Téhéran manifestent bruyamment leur joie et
déboulonnent les statues du shah. Le shah déchu peut
heureusement faire confiance aux services secrets occidentaux.
La CIA américaine et le MI6 britannique apportent leur soutien
au général Fazlollah Zahedi qui organise le 19 août un coup
d’État dans les règles. La résidence de Mossadegh est bombardée
et le Premier ministre ne doit son salut qu’à une fuite par une
échelle. Le shah peut bientôt revenir et faire juger Mossadegh.
Celui-ci est condamné à mort. Les compagnies pétrolières
retrouvent leurs biens et tout rentre dans l’ordre! Un détail:
l’Anglo-Iranian Oil Company devient la British Petroleum (BP).
L’éviction de Mossadegh consacre l’échec de la première
tentative d’un pays du tiers monde d’acquérir la maîtrise de ses
richesses naturelles.(1)
Le remake
Près de 60 ans plus tard, toujours pour
l’énergie, Ahmadinejad est en train de subir une déstabilisation
programmée qui risque de l’emporter au profit d’un gouvernement
plus «ouvert», plus conciliant bref qui fait ce que l’Occident
exige de faire, à commencer par arrêter son programme nucléaire.
Mercredi 9 juin, ce même Occident a réussi à faire passer une
quatrième résolution imposant des sanctions encore plus
drastiques contre l’Iran. Comment les membres du Conseil de
sécurité ont voté tout en rappelant qu’il faut 9 votes pour
valider une résolution, les voix des cinq membres comprises (pas
de véto). Effectivement, 12 pays ont voté pour, une abstention,
le Liban, deux pays ont voté contre la résolution, il s’agit des
parrains de l’accord de Téhéran arraché à l’Iran et qui reprend
dans ses grandes lignes les conditions américaines. Les autres
pays ont tous voté pour y compris le président du Conseil de
sécurité, en l’occurrence, l’ambassadeur du Mexique. Cette
résolution est passée parce que deux pays, en l’occurrence la
Chine et la Russie ont «lâché» l’Iran. D’abord, la Chine, ce
revers dans la position est à première vue incompréhensible, la
Chine a besoin de beaucoup de pétrole et de gaz de la part de
l’Iran. De plus, le commerce entre les deux pays est florissant:
7 milliards de dollars en 2005, 30 milliards de dollars en 2009
et une prévision de 50 milliards de dollars prochainement. Une
explication est donnée. Si on sait que la Chine a pesé le pour
et le contre, elle tient au commerce avec l’Iran, mais elle
tient encore plus à ses relations avec les Etats-Unis. Peut-être
même que la Chine a reçu des assurances qu’en cas de conflit,
l’Arabie Saoudite sera là pour ravitailler sur instruction des
Etats-Unis. «L’Iran doit accorder la plus grande attention à la
décision du Conseil de sécurité», écrit le quotidien officiel
d’informations internationales Huanqiu Shibao,(..) C’est là où
le rôle de la Chine en tant que «facteur d’équilibre» est
particulièrement important.(...) Sur la question nucléaire
iranienne, la position chinoise n’a pas changé. «La Chine
continue de s’opposer à la prolifération nucléaire, tout en
incitant toutes les parties à ne pas quitter la table des
négociations. Alors qu’elle ne pouvait faire autrement que
d’accepter les sanctions. (...) La Chine ne se défausse pas et
ne renie pas ses principes, mais c’est en grand pays politique
qu’elle fait face à une situation de crise.» (2)
S’agissant de la Russie, sa solidarité avec l’Iran n’a jamais
été totale. Certes, la Russie construit la centrale nucléaire de
Bouchehr depuis dix ans. Certes, la Russie arme l’Iran, mais il
ne faut pas oublier l’histoire au début du XXe siècle le
mouvement des «réformateurs perses», qui voulait propulser dans
la modernité, a été contrecarré dans son action par les
puissances occidentales et la Russie tsariste! C’est alors que
les convoitises suscitées par le pétrole allaient se faire jour,
en particulier dès la fin de la Première Guerre mondiale, lors
des grands bouleversements territoriaux qui allaient en
découler. La désagrégation de l’Empire ottoman fut
incontestablement l’élément majeur des grandes transformations
de la géopolitique du Proche et du Moyen-Orient. Le protectorat
britannique fut imposé en 1919. Il n’empêche que jamais l’Iran
ne fut autant convoité et manipulé par les puissances
occidentales et les Soviétiques, tout à la fois à cause de son
pétrole et de sa situation géostratégique.
Pour revenir aux deux pays qui ont voté contre pour la première
fois, le Brésil et la Turquie, qui ont oeuvré à une médiation
dans ce contentieux, par l’accord le 17 mai 2010 à Téhéran,
accord qui stipule en gros, l’acceptation de l’Iran des
exigences des Américains et de leurs alliés, les réactions de
ces deux pays sont différentes. Pourtant, au Brésil, des voix
s’élèvent contre la gestion de cette «affaire». «En votant le 9
juin à l’ONU contre les sanctions imposées à l’Iran, le Brésil a
commis une erreur lourde de conséquences pour son avenir,
affirme l’expert brésilien des relations internationales Heni
Ozi Cukier. La position du Brésil est étrange, à contre-courant
de ce qui se passe dans le monde. Même les pays alliés de l’Iran
ont pris position pour les sanctions. Le Brésil et la Turquie
sont entrés dans la discussion sans en comprendre véritablement
les enjeux. Il est bien clair désormais que l’accord brésilien
[signé avec l’Iran] n’a aucune valeur et que le Brésil s’est
trompé. (...) Les deux pays ont voulu être leaders sur une
question sans en avoir la capacité. Je dirais que le Brésil a
amoindri ses chances d’obtenir un siège permanent au Conseil de
sécurité de l’ONU. Autrement dit, en soutenant l’Iran, le Brésil
va à contre-courant de tout ce qu’il est par essence et de ce
qu’il essaie d’obtenir politiquement, c’est-à-dire le siège de
membre permanent.»(3)
En clair, c’est le sauve-qui-peut! Le Brésil officiel se tait.
En l’espace de 10 jours, la Turquie vient de subir deux revers,
d’abord, l’abordage de son bateau, le meurtre de ses 9
ressortissants dans l’impunité la plus totale et, le fait que sa
coproposition pour le règlement de la crise iranienne n’est même
pas examinée. Nul doute que la Turquie devra réévaluer ses
relations avec l’Iran, la cause palestinienne si elle veut
encore s’accrocher au wagon de l’Occident
Le président Mahmoud Ahmadinejad a jugé la nouvelle résolution
de l’ONU «sans valeur», ajoutant qu‘«elle pouvait être mise à la
poubelle». Alors qu’une partie de la presse officielle iranienne
a choisi de passer les sanctions sous silence, d’autres journaux
s’en prennent violemment aux Occidentaux. «Il nous semblait
écrit Hamid Amidi, que les pays occidentaux se donneraient le
mal d’étudier sérieusement l’accord sur le nucléaire conclu
entre l’Iran, le Brésil et la Turquie Mais ils n’ont fait que
donner une réponse à la va-vite, quelques heures avant de voter
une nouvelle résolution contre la République islamique aux
Nations unies. Cela montre aussi le peu de valeur de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (Aiea) et son absence de
poids face au Conseil de sécurité.»(4)
Pour rappel, la résolution très coercitive, prévoit, notamment
des mesures contre des banques iraniennes à l’étranger qui
pourraient être soupçonnées de liens avec des programmes
nucléaires ou militaires. Elle appelle également à une vigilance
accrue à l’égard de toutes les banques iraniennes, y compris la
banque centrale d’Iran. Elle prolonge l’embargo de l’ONU sur les
ventes d’armes à Téhéran et établit une liste noire
d’entreprises et d’individus visés par les sanctions.
Des intérêts
divergents
Dans la «question iranienne», écrivent
Manlio Dinucci et Tommasco Di Franscesco, sont ainsi en jeu des
intérêts divers et opposés. Il y a la Turquie, laquelle, avec sa
position géostratégique entre Moyen-Orient et Europe, ne veut
plus être un simple homme de troupe des Etats-Unis mais aspire à
un rôle autonome de plus grand poids. Faisant référence aux
Etats-Unis, le président turc Erdogan a déclaré: «Nous en sommes
au moment où il s’agit de discuter si nous croyons à la
supériorité de la loi ou à la loi des supérieurs. S’ils ont
encore des armes nucléaires, quelle crédibilité ont-ils pour
demander à d’autres de ne pas en avoir?.» La Russie est en train
de faire de même: Gazprom a signé en mars dernier un gros
contrat avec la société iranienne Nioc. S’insère dans ce cadre
la «guerre des oléoducs et des gazoducs» qui décidera, à travers
quels corridors énergétiques le pétrole et le gaz de la
Caspienne doivent être transportés vers les pays consommateurs.»
(5)
Pour rappel, le 12 juin marque l’anniversaire de la «révolution
verte» téléguidée par l’Occident. Les réformateurs représentés
par M.Moussavi et M.Karoubi sont toujours restés fidèles à une
évolution dans le cadre du régime islamique et ne souhaitent pas
renverser le régime. Avec du recul, on peut penser que l’Iran
s’oriente à petits pas vers l’après-Ahmadinejad.(6) On l’aura
compris, même si Ahmadinejad tombe, les suivants continueraient
sur la ligne théocratique et aucun ne se permettrait de remettre
en cause le programme nucléaire qui fait l’objet d’un large
consensus de la société. Pour Thomas Erdbrink, du Washington
Post, «avec le scrutin du 12 juin 2009, l’Iran a connu un
véritable séisme. (...) Le peuple iranien lutte depuis un siècle
pour mettre en place une forme de gouvernement représentatif. La
moindre des choses que les Occidentaux peuvent faire pour le
soutenir, c’est de ne pas succomber à leurs impulsions
punitives. (...) Ni la pacification de l’Irak, ni l’apaisement
de l’Afghanistan, ni le rapprochement entre Israéliens et
Palestiniens ne pourront se faire sans une intervention de
l’Iran. Depuis les années 1930, si ce n’est plus, l’Iran avance
en zigzaguant entre une occidentalisation à marche forcée et une
théocratisation imposée d’une main de fer, interdisant le port
du voile, puis le rendant obligatoire, mettant en place un
pluralisme avant de l’écraser, ouvrant la société avant de la
fermer à double tour. Il est temps pour les Etats-Unis d’aider
l’Iran à sortir de son isolement. Mais ce ne seront pas des
sanctions vides de sens qui pourront le faire, encore moins des
bombes.»(7)
Même approche du journal The Boston Globe. «Un Iran nucléarisé
virtuellement, à l’instar des grandes puissances (Allemagne,
Japon), pourrait satisfaire les dirigeants iraniens. De plus en
plus nombreux sont ceux qui, à Washington, se résignent à l’idée
de voir Téhéran capable de fabriquer une bombe atomique. Et
envisagent une politique intégrant un tel développement. Tôt ou
tard, l’Iran disposera des moyens nécessaires à la fabrication
d’armes nucléaires. Pour les Etats-Unis et leurs alliés, le défi
est aujourd’hui de composer avec cette réalité, aussi
déplaisante soit-elle. Fin avril, The New York Times a rendu
publique une note de service confidentielle dans laquelle le
ministre de la Défense, Robert Gates, expliquait en substance
que les Etats-Unis n’avaient pas de stratégie efficace à long
terme pour contrer les ambitions nucléaires de Téhéran.
Dans ce contexte, si la stratégie des sanctions échoue, il n’y a
plus que deux options: soit lancer une opération militaire, soit
se faire à l’idée que l’Iran possède la bombe atomique. La
plupart des experts s’accordent à dire qu’une opération
militaire ne ferait, au mieux, que retarder de quelques années
tout au plus l’acquisition de la bombe par Téhéran. (...) Par
ailleurs, ouvrir un nouveau front contre un pays musulman serait
la dernière chose que les Etats-Unis peuvent se permettre, tant
sur le plan politique qu’économique, ce dont Robert Gates est
parfaitement conscient. (...) La seconde possibilité consiste
donc à apprendre à vivre avec un Iran disposant de l’arme
nucléaire. La secrétaire d’Etat, Hillary Clinton a, par exemple,
laissé échapper, il y a quelque temps, que les Etats-Unis
pourraient étendre leur bouclier nucléaire au-dessus de nos
alliés du Moyen-Orient, comme nous l’avons déjà fait avec le
Japon, afin de les dissuader de fabriquer leur propre bombe. Les
Iraniens ne sont pas suicidaires. Ils savent qu’Israël possède
des centaines d’armes nucléaires. L’Iran peut être contenu,
comme l’a été l’Union soviétique. (...) En réalité, la meilleure
chose que nous puissions faire est de chercher à convaincre
l’Iran d’opter pour un statut de puissance nucléaire
«virtuelle»: cela signifie que le pays disposerait de la
capacité nucléaire, mais ne fabriquerait pas de bombe. Cette
solution serait satisfaisante pour l’orgueil national - un
paramètre dont l’importance est trop souvent sous-estimée - et
la volonté iranienne de se doter d’un moyen de dissuasion face à
de nouvelles menaces.» (8)
En fait, nous pensons que l’Iran d’Ahmadinejad, continuera à se
battre pour ce qu’elle pense être son bon droit, d’autant que
l’Occident est très mal placé pour dicter la norme. Quand il
s’agit de punir les faibles, l’Occident se légitime en
convoquant la communauté internationale. Quand il s’agit
d’Israël, la communauté internationale est priée de se taire.
Pour la boucherie contre des humanitaires, pas de vote du
Conseil de sécurité! Israël sort indemne, aucune sanction contre
elle. Mieux encore si on doutait de son impunité, d’après le
Times du 1er juin, dans l’illégalité la plus totale, Israël
pré-positionne des submersibles équipés d’armes nucléaires
offerts par l’Allemagne au large des côtes iraniennes au cas
où... Plus jamais il ne faut traiter comme quantité négligeable
des petits pays par la population mais puissants par leur
savoir. «Koumcha nhal khir man chouair dhabbane»!! dit un
proverbe du terroir algérien. Le Monde arabe et musulman
l’apprend à ses dépens.
1.René Castillon. L’enjeu pétrolier
www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19530819
2.» La Chine a agi en «grand pays responsable»: Huanqiu Shibao
10.06.2010
3.Maria Carolina Abe: «Le Brésil s’est tiré une balle dans le
pied» Folha de São Paulo 10.06.2010
4.Hamid Amidi: Les Occidentaux ne veulent pas discuter,
Kayhan10.06.2010
5.Manlio Dinucci et Tommaso Di Francesco: Nucléaire et pétrole
dans le grand jeu iranien Mondialisation.ca. 31 mai 2010
6. Sharareh Omidvar. Le Monde Diplomatique Vers un Iran post-Ahmadinejad
10 juin 2010
7. Thomas Erdbrink, Colum Lynch. La stratégie de Téhéran. The
Washington Post 09.06.2010
8. H.D.S. Greenway: Il faut s’habituer à un Iran nucléarisé. The
Boston Globe 29.04.2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 12 juin 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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