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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE PAPE ET L’APPEL À LA CROISADE
Les chrétiens arabes ne sont pas
d'accord
Chems Eddine Chitour
Jeudi 10 juin 2010 «Ce qui n’est pas
utile à l’essaim n’est pas non plus utile à l’abeille.»
Marc Aurèle
Le voyage du pape à Chypre a été l’occasion
pour le pape de lancer un appel solennel au secours des
chrétiens du Moyen-Orient qui seraient persécutés C’est un fait
que les manœuvres occidentales n’ont jamais cessé.
Souvenons-nous des intrigues de la France et de l’Angleterre qui
ont commencé vers le milieu du XVIIIe siècle, quand ces deux
pays imposèrent à l’Empire Ottoman un Moutassarif des chrétiens,
une sorte de gouverneur spécifique des chrétiens). Cela fut fait
après les événements fomentés par ces puissances pour provoquer
une révolte contre les chrétiens de Syrie. C’est lors de ces
événements que l’Emir Abdelkader, à la tête de ses cavaliers,
s’est interposé entre les manifestants et a pu sauver des
centaines de chrétiens qu’il a ramenés dans sa maison, sabre au
clair, les a soignés, les a nourris et hébergés jusqu’à la fin
des émeutes. Les manoeuvres continuent et une loi non écrite
veut que l’Europe et, notamment la France, accueillent
discrètement des chrétiens du Moyen-Orient. Le pape prend à son
tour son bâton de pèlerin pour prêcher, contrairement au Christ,
la division. De passage à Chypre, il déclare: La «disparition
des chrétiens» constituerait une perte pour ce pluralisme
qui a caractérisé depuis toujours les pays du Moyen-Orient.
Benoît XVI a également indiqué «prier» pour que les
travaux de cette assemblée aident «à centrer l’attention de
la communauté internationale sur la situation des chrétiens du
Moyen-Orient qui souffrent pour leur foi, afin que des solutions
justes et durables soient trouvées pour les conflits qui causent
tant d’épreuves». Pourtant, si l’on se réfère aux
recensements effectués en 1924 sous le mandat français, la Syrie
et le Liban était habités par 500 000 chrétiens environ. Le
nombre des chrétiens en Syrie est aujourd’hui de l’ordre de 2
millions environ, et la seule église maronite revendique au
Liban 930.000 fidèles. En vingt ans, le nombre de chrétiens non
catholiques a diminué de 10% aux Etats-Unis, et l’église
catholique n’y maintient ses effectifs que grâce à l’immigration
mexicaine. Dans son document «L’instrument de travail du
Synode», le 6 juin, le pape Benoît XVI attire l’attention de
la communauté internationale sur la situation des chrétiens du
Moyen-Orient, il demande le respect des droits des chrétiens et
la solidarité de l’Eglise universelle. Le document fait un appel
aux vocations (...) Il rappelle aussi que les chrétiens font
partie des principales victimes de la guerre en Irak, qu’au
Liban, «les chrétiens sont divisés au plan politique et
confessionnel», qu’en Egypte, «la montée de l’Islam
politique d’une part et le désengagement, en partie forcé, des
chrétiens par rapport à la société civile, rendent leur vie
sujette à de sérieuses difficultés». Mais le document
n’ignore pas que «dans d’autres pays, l’autoritarisme, voire
la dictature, poussent la population, y compris les chrétiens, à
supporter en silence, pour sauver l’essentiel» et qu’en
Turquie, «le concept actuel de laïcité pose encore des
problèmes à la pleine liberté religieuse du pays».(2)
«.(...)L’histoire a fait que nous sommes devenus un "petit
reste". (...) Sans la voix chrétienne, les sociétés
moyen-orientales seraient appauvries.» (...) La montée de
l’Islam politique, à partir des années 1970, est un phénomène
saillant qui affecte la région et la situation des chrétiens
dans le Monde arabe. (...) La solution est donc le retour à
l’Islam des origines. D’où le slogan: l’Islam est la solution
(...) Les rapports religieux n’étaient pas des meilleurs, mais
le système des «millet» (communautés ethnicoreligieuses)
a assuré une certaine protection aux chrétiens au sein de leurs
communautés, ce qui n’empêchait pas toujours les conflits de
caractère religieux et tribal à la fois. (...)(2)
Cette proposition de laïcité positive ou ouverte semble être une
découverte pour le pape qui, certainement n’a pas lu le Coran et
ses sourates concernant «Ahl el Kitab» Les gens du Livre!
Par contre, on se souvient que dans la foulée du discours de
Ratisbonne, le pape continue de développer un discours guerrier
contre l’Islam, aux antipodes de certaines déclarations
doucereuses. Ainsi, le 28 mars 2008, un groupe de militants du
dialogue islamo-chrétien a écrit au pape Benoît XVI après le
baptême solennel d’un musulman converti, se disant «douloureusement
surpris et profondément heurtés» par cet événement. Qu’en
est-il de la position du pape envers le Judaïsme et surtout
envers Israël? Ce discours, à l’occasion de la réception des
lettres de créances de l’ambassadeur d’Israël au Vatican, est
très éloquent et instructif: «(...) J’offre de nouveau mes
meilleurs vœux à l’occasion de la célébration des 60 ans de
l’Etat. Le Saint-Siège se joint à vous pour remercier le
Seigneur d’avoir réalisé les aspirations du peuple juif d’avoir
un lieu dans la terre de ses Pères (...)Comme vous le
souligniez, l’héritage judéo-chrétien peut nous inspirer pour
orienter de nombreuses formes d’actions sociales et humanitaires
à travers le monde, (...) Le Saint-Siège reconnaît les besoins
légitimes de sécurité et de défense d’Israël, et condamne
sévèrement toute forme d’antisémitisme.»(3)
La terreur des
enfants
Pas un mot du calvaire des Palestiniens,
ces autres humains. Au contraire, il justifie a contrario la
politique agressive israélienne pour des raisons de sécurité.
Nous allons donner la parole à trois Arabes chrétiens qui ne se
reconnaissent pas dans le discours du pape dans son
rapprochement pour une judéo-chrétienté et pour désigner le vrai
persécuteur en l’occurrence, Israël. Ecoutons d’abord le Père
Manuel Musallam, curé de Ghaza depuis 1995, témoin des Intifadas
et héros, qui a survécu à l’opération israélienne «Plomb
Durci». Il est, à 72 ans, un résistant sans arme. «Ghaza
est toujours sous la pression d’un crime contre l’humanité.
C’est un crime de guerre qui dure depuis des années», dit-il
d’emblée en évoquant la politique israélienne à l’égard de Ghaza
avec les bouclages et les opérations militaires.(4).
«Il évoque avec beaucoup d’émotion la terreur vécue par les
enfants. (...) On en arrive à se poser la question suivante:
faut-il devenir esclave d’Israël ou mourir? Je n’accepte pas
d’être esclave. Ce conflit israélo-palestinien est une question
de libération d’un peuple. (...) Alors la guerre était-elle
contre le Hamas?», ironise-t-il. «Parmi les 1500
personnes tuées, seules 40 appartenaient au Hamas.» Depuis
2001, 24.000 roquettes Qassam ont été lancées contre Israël. Ces
armes, qui sont artisanales, ont tué 13 Israéliens et 50
Palestiniens. En effet, beaucoup de Qassam sont tombés à
l’intérieur de Ghaza. Puis il ajoute ces mots qui reflètent ce
que pensent généralement les Palestiniens:
«Israël est responsable d’un terrorisme d’Etat. Nous avons
besoin d’être protégés. Voilà la réalité.» «D’Israël, on
connaissait les colons à Ghaza. Ils ne se mêlaient pas avec
nous. Maintenant, nous n’avons de relations qu’avec les soldats
israéliens qui nous humilient. Ce ne sont pas des amis, ni même
des amis possibles.» «Nous, les chrétiens, sommes d’abord
Palestiniens. Nous ne voulons pas cohabiter avec les musulmans.
Nous voulons vivre avec les musulmans. Je ne suis pas le curé
seulement pour les 300 catholiques de Ghaza, mais pour 1,4
million de personnes qui vivent à Ghaza.» Puis il conteste
la thèse de la persécution antichrétienne en Palestine. «Les
chrétiens ne souffrent pas des musulmans. Les chrétiens
souffrent du conflit, comme tout le monde (...) Mais, chez nous,
c’est le Hamas et les Salafistes qui ont protégé l’église.»(4)
Dans le même ordre, je ne peux résister à la nécessité de
rapporter l’interview tendancieuse du 7 juin de Silvain Attal de
France 24. Il voulait faire dire, en vain, au Père Musallam que
les musulmans et le Hamas persécutaient. Mal lui en a pris, le
père non seulement a démenti mais à pointé du doigt Israël
responsable du malheur des Palestiniens quelle que soit leur
religion. Deux autres témoignages nous font percevoir d’une
façon littérale des chrétiens arabes à leur arabité et à la
coexistence harmonieuse avec les Arabes musulmans. Ecoutons
d’abord Hayat al Huwik Atia, journaliste libanaise: «J’ai
suivi avec attention votre visite sur les Lieux Saints dont vous
n’avez pas été chassé ou contraint à les quitter. (...) Votre
séjour en Jordanie, tel qu’il s’est déroulé, était-il une
symbolique biblique? Votre symbolique est davantage celle de la
Thora et de l’Ancien Testament que celle de l’Évangile. Il nous
est pourtant interdit de faire référence à la Torah. Les
chrétiens de l’Orient, comme de l’Occident, ne reconnaissent que
l’autorité de l’Évangile et refusent toujours la judaïsation du
christianisme occidental et sa transformation en
judéo-christianisme. L’Église d’Orient refuse d’être entraînée
dans le processus de judaïsation de l’Occident chrétien. (...)
Nous, l’Orient arabe chrétien, nous ne voulons pas de ce
néochristianisme judéo-chrétien et nous refusons que l’Occident
chrétien utilise l’influence spirituelle occidentale des
églises, catholiques et protestants pour implanter en Orient et
particulièrement dans le monde arabo-chrétien l’idée ou
l’influence de judaïsation. Votre Sainteté le Pape, sachez que
je suis une chrétienne arabe! (...) Par conséquent, en ma
qualité d’Arabe, je m’incline devant vous par respect pour votre
personne, mais cela ne m’empêche pas de vous rappeler ma fierté
d’appartenir à cette terre arabe. Cette terre est le berceau de
toutes les Religions et de toutes Révélations monothéistes.
Notre religion et notre spiritualité, nous ne la recevons donc
de personne ni d’aucune puissance si ce n’est de notre terre
arabe et de son histoire. Nul ne peut générer une rupture dans
notre personnalité ni une rupture avec notre terre et notre
conscience arabe».(5)
«Nous avons reçu votre aimable invitation à préserver le
pluralisme religieux dans notre région. Elle appelle deux
réserves: la première réserve Votre Sainteté: le pluralisme
n’est pas venu vers nous du fait de la migration ou de la
colonisation, mais du fait que nous vivons depuis toujours sur
notre terre arabe avec des Arabes comme nous qui sont de plus,
nos frères dans la foi. Chacun de nous sur cette terre a choisi
librement sa religion et son culte.(...) La deuxième raison, est
que c’est l’Occident qui est le générateur historiquement du
racisme et du sionisme avec tous les résultats connus et,
notamment ceux que cet Occident exerce depuis des décades contre
le Monde arabe pour saper cette cohésion sociale et religieuse
dans le Monde arabe. L’Occident n’a jamais cessé de faire des
plans et des luttes géostratégiques pour saper l’unité arabe et
la richesse de sa diversité religieuse. (...) Ce qui a été fait
en Irak est tellement horrible et scandaleux que nous sommes en
droit de vous interpeller vous qui exprimez votre préoccupation
sur le sort des chrétiens dans le monde arabo-musulman.»(5)
«En conséquence Votre Sainteté, sachez que nous - Arabes
chrétiens - nous ne sommes une minorité en aucune façon, tout
simplement parce que nous étions des Arabes chrétiens avant
l’Islam, et que nous sommes toujours des Arabes chrétiens après
l’Islam. La seule protection que nous cherchons est comment nous
protéger du plan occidental qui vise à nous déraciner de nos
terres et à nous envoyer mendier notre pain et notre dignité sur
les trottoirs de l’Occident». (...) En aucun cas les Arabes
n’ont été une cause directe ou indirecte à la persécution des
Juifs, qui reste imputable aux seuls Européens qui doivent en
assumer les conséquences et les responsabilités. (...) Les
Arabes, ici ou ailleurs, n’ont jamais persécuté les Juifs un
jour, et ils ne les ont pas obligés de vivre un jour dans les
ghettos à l’intérieur des pays arabes.. (...) Il est impossible
que l’odeur du sang ne vous soit pas parvenue de la Palestine
meurtrie. C’est bien d’évoquer le passé mais vous avez devant
vous l’holocauste flagrant de la bande de Ghaza dont le sang n’a
pas encore séché, et vous avez également celui du Liban, il y a
à peine trois ans. Par conséquent, le dialogue que vous
préconisez de poursuivre entre le christianisme et le judaïsme,
dans l’esprit des prophètes, est un dialogue impossible sur
cette Terre arabe.(...) Ces populations chrétiennes de
Palestine, qui n’acceptent que d’être des citoyens arabes, vous
ont-elles raconté comment deux villages chrétiens ont été rayés
de la carte de Palestine lors de l’annexion sioniste de la
Palestine? (...) Les Arabes musulmans ne sont pas des
terroristes et des criminels comme on les décrit et en dépit de
votre fâcheuse citation dans votre fameuse conférence qui a
dénigré leur religion et qui a heurté leur sensibilité (...) La
justice et l’équité vous commandent de nous laisser tranquilles
vivre avec nos frères de foi comme le veut Jésus et non comme le
veut l’Occident.(5)
13 siècles de vie
commune
Pour sa part, le docteur Rafiq Khoury,
prêtre palestinien du Patriarcat Latin de Jérusalem, s’exprime
sur le dialogue islamo-chretien. Ecoutons-le: «(...) les
Chrétiens font partie de l’identité de la terre et la terre fait
partie de leur identité, avec leurs concitoyens musulmans. Le
fait déterminant que les chrétiens de Palestine sont des Arabes
palestiniens chrétiens. Ils partagent avec leurs concitoyens
musulmans le même espace géographique, la même langue, la même
culture, la même histoire, les mêmes traditions sociales.
L’arabité et la palestinité des chrétiens de Palestine sont des
faits acquis, que nous recevons avec le lait de notre mère,
comme on dit en arabe. Les relations islamo-chrétiennes en
Orient en général et en Palestine en particulier, s’inscrivent
dans une longue histoire, qui a à son actif treize siècles de
communauté de vie, où nous avons partagé "le pain et le sel",
comme on dit en arabe aussi. «Comme nous le savons, bien vite,
les musulmans ont conquis ce qu’on appelle aujourd’hui le
Moyen-Orient. En 638, le Khalif Omar est aux portes de
Jérusalem. La conquête de la Ville Sainte s’est faite
pacifiquement. Le Patriarche Sophrone est allé à sa rencontre
sur le Mont des Oliviers, à l’est de la ville et lui a remis les
clefs de la ville. Et c’est ensemble qu’ils entrent dans la
Ville Sainte et visitent l’Eglise de la Résurrection. Comme
l’heure de la prière de midi a coïncidé avec cette visite, Omar
n’a pas accepté de prier dans l’Eglise même, pour que les
musulmans ne disent pas dans la suite qu’Omar a prié là et
qu’ils en fassent un prétexte pour occuper l’Eglise. Dans la
suite, Omar a publié le fameux firman d’Omar (Al-‘Uhdah Al-Umariyiah),
où il reconnaît les droits des chrétiens à leurs églises et à
leurs propriétés.(...) La deuxième Lettre Pastorale des
Patriarches catholiques d’Orient, dit: Les chrétiens d’Orient
sont une partie inséparable de l’identité culturelle des
musulmans. De même, les Musulmans en Orient sont une partie
inséparable de l’identité culturelle des chrétiens. (...) La
solidarité spirituelle purifie les relations au niveau de la vie
quotidienne et les fortifie. Chacun se met à la place de
l’autre; avec lui, en présence de Dieu, dans une attitude de
soumission et de conversion, il vit les mêmes difficultés, les
mêmes défis et les mêmes espoirs ou voeux qu’il voudrait
réaliser.»(6) Tout est dit: Le pape devrait s’inspirer de la
parole désarmée de Paul VI suite à Vatican II et remettre ce
faisant, le dialogue islamo-chrétien à sa vraie place. La paix
du Monde est à ce prix.
1.Le voyage du pape à Chypre. AFP Monde
06/06/2010
2.J.Marie Guénois-L’Eglise propose une «laïcité positive» pour
le Moyen-Orient 6 06 2010
3.Le Pape Benoît au nouvel ambassadeur d’Israël-Mardi, 13 mai
2008
4.Henrik Lindell. Le curé de Ghaza témoigne Temoignage chretien
6/06/2010
5.Hayat al Huwik Atia Lettre ouverte des chrétiens arabes du
Machrek à Sa Sainteté le Pape http://liberation-opprimes.net/
Traduction de l’arabe: Omar Mazri 24 mai 2009
6.Rafiq Khoury-Les enjeux actuels des relations
islamo-chrétiennes en Palestine 30 04 2009
http://www.gric.asso.fr/spip.php?article243
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 10 juin 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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