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L'EXPRESSIONDZ.COM
Déclin de l'Occident et avènement de
l'Orient
Pr Chems Eddine Chitour
Jeudi 8 avril 2010 «On
affirme, en Orient, que le meilleur moyen pour traverser un
carré est d’en parcourir trois côtés.»
Lawrence d’Arabie (Les Sept Piliers de la sagesse)
Il est courant d’admettre que l’Occident est
parti à la conquête du Monde après la première révolution
industrielle. En fait, il serait plus indiqué de remonter dans
le temps pour s’apercevoir que l’hégémonie occidentale a débuté
après ce qu’on appelle dans la doxa occidentale «Les Grandes
découvertes». Prenant la relève d’un Orient et d’une
civilisation islamique sur le déclin, et au nom de la Règle des
trois C - Christianisation, Commerce, Colonisation,, il mit des
peuples en esclavage. Il procéda à un dépeçage des territoires
au gré de ses humeurs sans tenir compte des équilibres
sociologiques que les sociétés subjuguées ont mis des siècles à
sédimenter. Pendant cinq siècles, au nom de ses «Droits de
l’Homme» qui «ne sont pas valables dans les colonies»
si l’on en croit Jules Ferry un chantre enragé de la
colonisation et de la grandeur de l’Empire colonial français-,
l’Occident dicte la norme, série, punit, récompense, met au ban
des territoires qui ne rentrent pas dans la norme. Ainsi, par le
fer et par le feu, plus de 75% des richesses des Suds épuisés
comprenant plus de 80% des habitants de la planète furent
spoliés et détenus par 20% des pays du Nord.(1)
La religion
instrumentalisée
Cependant, au sein même de cet Occident
chrétien, le leadership fut disputé avec l’apparition d’une
idéologie, le communisme. Pendant près de cinquante ans après la
Seconde Guerre mondiale, l’équilibre du monde était détenu par
deux grandes puissances, les Etats-Unis et l’Empire soviétique.
L’Occident latin guidé par les Etats-Unis est sorti vainqueur de
cette lutte sans merci et tous les coups furent permis,
notamment l’instrumentalisation de la religion aussi bien pour
déstabiliser la Pologne en mettant en lumière un électricien des
changements de Gdansk - à qui on a attribué le prix Nobel pour
lui donner une stature- soutenu par un pape polonais qui
appelait ouvertement à la rébellion- N’ayez pas peur!- mais
aussi en créant une internationale islamique sous l’égide d’un
Oussama Bin Laden, leur meilleur allié avec les taliban qui
furent dotés de missiles qui firent des ravages dans les chars
soviétiques en Afghanistan. Après la chute de l’Union
soviétique, les Américains, ivres de puissance et tentés par la
posture de l’Empire, se devaient de trouver un «Satan de
rechange». Une étude du Pnac (Programme for New American
Century) recommandait de chercher un motif pour relancer
l’hégémonie américaine d’une façon définitive, notamment avec le
déclin du pétrole dont il fallait à tout prix s’assurer des
sources d’approvisionnement pérennes et à un prix «raisonnable».
L’arrivée du 11 septembre fut du pain bénit. Le Satan de
rechange tombait du ciel, l’Islam et terrorisme. Francis
Fukuyama s’interrogeait à juste titre sur la fin de l’histoire
maintenant que la pax americana régnait et paraissait durer
mille ans. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives
que l’on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et
la mort. Pourtant, les signes d’un craquement de l’hégémonie
occidentale commencèrent à poindre à l’horizon. Des voix
inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magister
occidental. Dans un discours à l’université de Princeton,
Joschka Fischer ancien ministre allemand des Affaires étrangères
faisait part de son inquiétude et désignait nommément l’Islam.
Ecoutons-le: «La situation actuelle nous enseigne que la
question de la sécurité au XXIe siècle pour nous tous, et avant
tout pour les États-Unis et l’Europe, ne peut plus être définie
à l’aune des catégories traditionnelles du XXe siècle. Un
totalitarisme d’un genre nouveau, le terrorisme islamiste et
l’idéologie du Djihad, basée sur le mépris de l’homme, menacent
la paix et la stabilité régionales et mondiales. (...)
Aujourd’hui, notre sécurité est principalement menacée non pas
par un seul État mais au contraire par un mouvement totalitaire
d’un genre nouveau qui, ayant perdu l’Afghanistan, ne peut plus
baser sa puissance sur le contrôle d’un autre État. Cette menace
ne vise pas non plus les potentiels stratégiques des États-Unis
et de l’Occident. Elle tend plutôt à ébranler leur moral et à
déclencher des réactions qui renforcent le soutien au
totalitarisme islamiste au lieu de l’affaiblir. Cette nouvelle
menace est d’envergure, mais pire encore: elle essaye de créer
un "choc des civilisations" basé sur la religion et
l’appartenance culturelle, entre le monde islamo-arabe et
l’Occident mené par les États-Unis. (..) Est-ce la fin de
l’Occident? Cette question qui donne le frisson est actuellement
en vogue. L’Occident ne serait condamné que si la communauté
transatlantique, faute d’intérêts communs, n’avait plus
d’avenir, (...) Dans leur lutte contre la nouvelle menace,
l’Europe et l’Amérique dépendent l’une de l’autre. L’Amérique et
l’Europe pourront relever les défis du XXIe siècle, mais elles
ne pourront le faire qu’ensemble.»(2)
Nous le remarquons que pour Joshka Fisher, l’hégémonie
occidentale sera toujours aux commandes! Ce n’est pas l’avis de
la CIA qui a publié un rapport intitulé: Le monde en 2025. On
constate une prise de conscience d’une nouvelle donne à la fois
démographique, économique, financière et même dans une certaine
mesure, militaire La lecture du dernier rapport de la CIA nous
permet de mieux connaître le mode de pensée de la classe
dirigeante étatsunienne et d’en identifier les limites.
Terrorisme en retrait, glissement du pouvoir économique de
l’Occident à l’Orient, pénurie d’eau, déclin des ressources en
hydrocarbures, nouvelles technologies. Dans la lignée du
précédent Rapport de la CIA, pour la première fois, les
Américains reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du
monde!(3)
Ecoutons l’économiste Samir Amin donner son avis à propos de ce
rapport: «Je résumerai mes conclusions de cette lecture dans
les points suivants: la capacité de "prévoir" de Washington
étonne par sa faiblesse; on a le sentiment que les rapports
successifs de la CIA sont toujours "en retard" sur les
évènements, jamais en avance. L’impression qu’on tire de cette
lecture est que, de surcroît, l’establishment étatsunien
conserve quelques solides préjugés, notamment à l’égard des
peuples d’Afrique et d’Amérique latine. Le rapport précédent -
Le monde en 2015 - n’avait pas imaginé que le mode de
financiarisation du capitalisme des oligopoles devait
nécessairement conduire à un effondrement comme cela s’est
produit en 2008. (...) Aujourd’hui encore donc (dans la
perspective de 2025), le rapport affirme sans hésitation "qu’un
effondrement de la mondialisation" reste impensable. (...) D’une
manière générale "l’hégémonie" des Etats-Unis, dont le déclin
est visible depuis plusieurs décennies, affirmée pourtant dans
le rapport précédent comme toujours "définitive" est désormais
imaginée comme "écornée", mais néanmoins toujours robuste».
D’une manière générale, les «experts» du libéralisme
ignorent la possibilité d’une intervention des peuples dans
l’histoire. Les experts de l’establishment étatsunien ne
s’intéressent qu’aux choix «possibles» des classes
dirigeantes des «pays qui comptent» (la Chine en premier
lieu, ensuite la Russie et l’Inde, puis l’Iran et les pays du
Golfe, enfin le Brésil). L’Europe, à leur avis, n’existe pas (et
sur ce point ils ont certainement raison) et de ce fait restera
forcément alignée sur les choix de Washington. L’illusion qu’ils
peuvent se faire sur les pays du Golfe est instructive: «riches»
ces pays doivent «compter», le fait qu’on puisse être
riche et insignifiant ne leur paraît pas «imaginable».
Leur crainte concernant l’Iran, non pas pour son «régime
islamique» mais parce que cette grande nation n’accepte pas
la résignation, est par contre fondée. L’Afrique ne comptera
toujours pas, et restera ouverte au pillage de ses ressources.
Le seul problème pour eux est qu’ici, les Etats-Unis (et leurs
alliés subalternes européens) se trouveront désormais en
concurrence difficile avec les appétits de la Chine, de l’Inde
et du Brésil.(...) Les «scénarios» dessinés dans le
rapport, dans ces conditions, renseignent plus sur les limites
de la pensée dominante aux Etats-Unis que sur les probabilités
de leur réalisation. Premier scénario: une victoire éclatante de
la Chine. La Chine s’impose comme nouvelle «puissance
hégémonique», entrainant dans son sillage une Russie rénovée
une Inde autonome mais résignée, un Iran («islamiste» ou
pas) devenu acteur dominant au Moyen-Orient. L’alliance de
Shanghai garantit l’accès de la Chine et de l’Inde à 70% des
productions de pétrole et de gaz du Moyen-Orient. Second «scénario»:
conflit Chine/Inde, stagnation de la Russie...Les voeux des USA.
Le second «scénario» consacre, à l’opposé, l’échec
retentissant du «Plan de Shanghai», l’éclatement du
groupe éphémère que représente le Bric, la montée en ligne du
conflit Chine/Inde, la stagnation de la Russie et l’avortement
du projet nationaliste de l’Iran.(4)
Les nouveaux maîtres
A l’autre bout du curseur concernant l’avenir
du Monde, nous trouvons l’analyse lumineuse de l’ambassadeur
singapourien Kishore Mahbubani qui décrit le déclin occidental:
recul démographique, récession économique, et perte de ses
propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du
centre du monde de l’Occident vers l’Orient. L’auteur fait le
point sur l’ascension économique vertigineuse des pays de
l’Asie. Ayant intégré les pratiques de l’Occident (économie de
marché, méritocratie, Etat de droit, développement de
l’éducation, etc.), l’Asie n’a, selon l’auteur, aucune intention
de dominer l’Occident, mais il met en garde: l’Occident doit
renoncer à sa domination notamment. Après trois siècles de
domination occidentale, où Londres, Paris, Berlin et Washington
ont décidé du sort de la planète, les 5,6 milliards d’individus
qui ne vivent pas à l’Ouest aujourd’hui ont cessé d’être des
objets de l’histoire mondiale pour en devenir des sujets.(5)
Citant l’ouvrage de l’historien britannique Victor Kiernan «The
Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in
the Imperial Age» qui avait été publié en 1969, lorsque la
décolonisation européenne touchait à sa fin. Victor Kiernan qui
écrivait: La plupart du temps, cependant, les colonialistes
étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et,
surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se
comporter comme les maîtres de la création. Même si la politique
coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste
des Européens subsisterait probablement encore longtemps. En
fait, celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle.
Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres
internationales, quand un représentant européen entonne, plein
de superbe, à peu près le refrain suivant: «Ce que les
Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit]
doivent comprendre est que...», suivent les platitudes
habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les
Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de
supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait
certainement être un colonialiste atavique. Comme l’écrit
Mahbubani: «Cette tendance européenne à regarder de haut, à
mépriser les cultures et les sociétés non européennes a des
racines profondes dans le psychisme européen.»
Pour l’Occident, écrit Jean Pierre Lehmann commentant l’ouvrage
de Maybubani, il est temps de regarder la réalité en face. Ce
que Mahbubani attaque, c’est l’anomalie absurde d’un pouvoir
mondial occidental envahissant et persistant dans un monde sujet
à des changements fondamentaux. Cela ne vaut pas seulement pour
la culture mais également pour le niveau de développement
économique et politique.(6)
L’auteur décrit les trois principaux scénarios pour le XXIe
siècle - la marche vers la modernité, le repli dans des
forteresses et le triomphalisme occidental Géographiquement, il
est des plus à l’Est mais qu’en est-il des autres aspects?
Mahbubani reproche à l’Europe sa myopie, son autosatisfaction et
son égocentrisme. Il relève en particulier que l’Europe a failli
à s’engager vraiment en faveur de ses voisins: «Ni les
Balkans ni l’Afrique du Nord n’ont bénéficié de leur proximité
avec l’Union européenne». Cependant, au XXIe siècle, le
déclin de l’Occident en termes d’abandon de ses valeurs, a été
accéléré en particulier par les États-Unis sous le gouvernement
de George W.Bush. L’essor économique de l’Orient a été
remarquable. «En 2010, 90% de tous les scientifiques et
ingénieurs titulaires d’un doctorat vivront en Asie.»
Mahbubani voit trois principaux foyers de défis pour l’Occident:
la Chine, l’Inde et le Monde islamique. A propos du dernier,
alors que le terme de «musulman» est associé dans
l’esprit des Occidentaux à celui d’«arabe», la grande
majorité des musulmans vivent en Asie où l’on trouve la plupart
des pays qui ont les plus importantes populations musulmanes:
Indonésie, Inde, Pakistan, Bangladesh et Iran. L’invasion
anglo-américaine de l’Irak a considérablement aggravé les
relations entre l’Occident et les États et peuples musulmans. Le
caractère grotesque des erreurs commises est dû en partie au
degré stupéfiant d’ignorance des étatsuniens au sujet de l’Irak,
laquelle provient de leur arrogance. Mahbubani exhorte
l’Occident à «faire de toute urgence des efforts pour mieux
comprendre l’esprit musulman».
Quand Mahbubani écrit que «le moment est venu de restructurer
l’ordre mondial», que «nous devrions le faire maintenant».
Le grand sujet de plainte de Mahbubani est l’incapacité de
l’Occident à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer
les institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il
se comporte trop souvent sape davantage les structures et
l’esprit de la gouvernance mondiale. Prenons le Traité de
non-prolifération nucléaire (TNP). Selon Mahbubani, il «est
légalement vivant mais spirituellement mort» «Le monde,
écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans les cinq
États nucléaires. Au lieu de les considérer comme des gardiens
honnêtes et compétents du TNP, il les perçoit généralement comme
faisant partie de ses principaux violateurs» Leur décision
d’ignorer le développement par Israël d’un arsenal nucléaire
leur a été particulièrement préjudiciable. Lors d’une rencontre
à Bruxelles au début de 2008, j’ai demandé à l’un des
participants, Javier Solana, Haut-Représentant de l’UE pour la
politique étrangère et de sécurité commune, son avis sur la
question de l’arsenal nucléaire d’Israël mais il a refusé
catégoriquement d’aborder le sujet.(6)
Le Monde sera à n’en point douter fragmenté, il est à espérer
qu’après cinq siècles de domination sans partage et d’une vision
occidentalo-centriste des droits de l’Homme, le Monde retrouvera
la vraie sagesse. L’Inde et la Chine héritiers de plus de 4000
ans de civilisation y contribueront certainement.
1.C.E.Chitour: L’Occident à la conquête du
Monde.ed. Enag. Alger. 2009
2. Joschka Fischer: L’Europe et l’avenir des relations
transatlantiques. Princeton 19 11 2003
3.«Le monde en 2025» selon la CIA, le 26/2/2010
4. Samir Amin http://www.michelcollon.info/index.php-16-02-10
5.K.Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the
East, septembre 2008
6.Jean-Pierre Lehmann: Déclin de l’Occident et montée de
l’Orient Réseau Voltaire 2.09.2008.
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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réservés © L'Expression
Publié le 5 avril 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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