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L'EXPRESSIONDZ.COM
2000-2009
Une décennie
noire pour la condition humaine
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 4 janvier 2010 «(...) De plus, le
processus de transformation, même s’il apporte un changement
révolutionnaire, risque d’être long, en l’absence de quelque
événement catastrophique et catalyseur - tel qu’un nouveau Pearl
Harbour.(...)»
Project for New American Century (Pnac)
Cette phrase tirée du document Pnac; «Projet pour un nouveau
siècle américain» mis en place par les néoconservateurs
américains, explique à bien des égards, la situation mondiale
actuelle et le président actuel est dans une grande mesure amené
à suivre dans ses grandes lignes le «projet» peut-être
avec des méthodes plus enveloppées- dans de beaux discours- et
moins brutales que celles de son prédécesseur, le résultat final
devant être toujours le même: la suprématie des Etats-Unis à
tout prix. La vieille Europe n’étant là que pour suivre comme
supplétif ce que décide le maître du monde.
Tout s’est accéléré il y a une vingtaine d’années. 1989, le mur
de Berlin tombe. A l’automne1991, l’empire soviétique - l’empire
du mal dans la doxa occidentale- n’est plus que l’ombre de
lui-même; il s’écroule en quelques semaines, le 25 décembre, il
perd la moitié de sa population et une partie de son territoire
au profit de Républiques dont le souci premier est de se
déclarer indépendantes et s’arrimer à l’Occident. Le rouleau
occidental ne s’arrête pas là, il n’eut de cesse d’attiser les
rivalités dans le monde et les crises de la Russie avec
l’Ukraine et surtout avec la Géorgie - crise de l’été 2008-
participent de cette entreprise de déstabilisation planétaire de
tout ce qui s’oppose à la «civilisation occidentale»,
elle seule habilitée à «dicter la norme». Dans ce cadre,
elle a mis en place un véritable gouvernement mondial qui ne dit
pas son nom. Un «gouvernement occidental du monde» qui a
profondément structuré la décennie 2000-2009.
C’est ainsi que graduellement, la mondialisation s’est emparée
du monde, elle lamine les économies, casse les barrières
douanières au profit des produits manufacturés de l’Occident.
Pour cela l’OMC fut mise en place pour réguler le marché. Les
prix des matières premières du Sud sont décidés au Nord dans des
Bourses (New York, Londres, Rotterdam, Paris). Plus tard, suite
à la crise financière 2007-2009 due à des manipulations
boursières qui ont ruiné des millions de petits épargnants mais
pas les banques qui se sont vues renflouées à coups de centaines
de milliards de dollars, fut institué le G20 qui réunit les
vingt principales économies mondiales où, pour la première fois,
on intègre les pays émergents pour mieux les contrôler... en
vain. Les organisations multilatérales ont de plus en plus un
rôle marginal, c’est le cas des Nations unies, ce «grand
machin» dont parlait De Gaulle avec un rôle aussi pâle que
ne l’est le secrétaire général de l’ONU et de ses agences
(Unesco, Fao, Unicef, Pnud). Tout se décide au niveau du Conseil
de sécurité. Les trois principaux membres font ce qu’ils veulent
sous la direction unique des Etats-Unis. Mieux, le bras armé du
gouvernement mondial est l’Otan qui devait disparaître en
principe avec la disparition du Pacte de Varsovie mais qui est
toujours là et plus agressive que jamais. D’ailleurs le marché
des armes ne s’est jamais aussi bien porté avec 1200 milliards
de dollars. Les armes sont vendues par les pyromanes
(Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie Israël)
qui jouent par la suite, s’agissant des Occidentaux, le rôle de
pompiers dans le cadre du -droit d’ingérence humanitaire-
concept forgé par un certain Dr Kouchner qui ne parle, lui
aussi, que de guerre, de civilisation, de valeurs occidentales
s’agissant de porter la démocratie aéroportée, c’est-à-dire
imposer la mort, la misère au nom du magistère dixit de la
Nouvelle Rome. Jacques Diouf, le directeur général de la Fao
demande 50 milliards de dollars pour éradiquer la faim. Les
promesses des Nations unies en 2000 pour éradiquer la faim dans
le monde deviennent une vue de l’esprit. Après la chute de
l’Union soviétique, l’Occident s’est trouvé en l’Islam, un
nouveau Satan de rechange selon la prophétie de Huntington. La
civilisation confucéenne est «épargnée». Le Pnac Project
for New Age Century représente la doctrine autour de laquelle
s’articule la politique mondiale des Etats-Unis, il faut
s’assurer avant tout des sources d’approvisionnement pérenne en
énergie. Peu importe le prix que les faibles auront à payer même
s’ils se chiffrent par centaines de milliers. Si c‘est le prix à
payer pour faire partir Saddam Hussein, ce n’est pas cher payé,
disait Madeleine Albright à propos des 500.000 enfants irakiens
morts des suites du blocus.
Israël, toujours...
Pendant cette décennie, en dehors des morts palestiniens sous le
feu israélien, nous avons vu par deux fois ces mêmes Israéliens
détruire un pays et ses infrastructures en juillet 2006. On peut
reprocher beaucoup de choses au mouvement Hizboullah sauf celui
d’avoir, dans les faits, vaincu les Israéliens, ce que toutes
les armées arabes guidées par l’Egypte n’ont jamais pu faire. Il
en fut de même pendant trois semaines fin décembre 2008 janvier
2009. Toute la haine et le déluge de feu d’Israël s’est déversé
sur la Bande de Ghaza. 1400 morts -dont 400 enfants- Plus tard,
Israël est toujours aussi arrogant. Sous l’oeil complice de
l’Occident, celui de Bush pendant huit ans, mais aussi celui d’Obama
-dont on espérait qu’il arriverait à contrôler Israël. Peine
perdue. Il ne peut pas et il ne veut pas. Pourquoi cette
décennie est, le pensons- nous, noire pour l’humanité? Il n’y a
pas un conflit qui n’a pas eu des soubassements matériels ou
idéologiques. C’est encore pire quand les deux paramètres sont
croisés comme nous le verrons. Le capitalisme sauvage et la
mondialisation ont laminé les économies des pays vulnérables en
rendant de plus en plus pauvres les pays qui n’arrivent pas à
payer leur dette. Quand un enfant meurt toutes les cinq
secondes, il y a quelque chose de pourri dans l’humanité. De la
décennie, nous devons retenir la mort de milliers d’Irakiens et
aussi l’invasion de l’Irak malgré le veto français. Souvenons
nous: le 15 février, au moins 10 millions de personnes défilent
dans plus de 600 villes du monde contre la guerre d’Irak. Le 9
avril: le régime de Saddam Hussein en Irak tombe. Prise du
pouvoir par les Etats-Unis qui installent un proconsul. Le 13
décembre 2003: arrestation de Saddam Hussein à Tikrit. La
télévision insiste pour le démonétiser en le présentant hirsute
avec les yeux hagards. Le 31 décembre 2006, Saddam Hussein fut
digne lors de son exécution filmée le jour de l’Aïd el Adha
comme s’il était le mouton du sacrifice. Les Etats-Unis de Bush
ont mis le plus grand soin à donner l’apparence d’une «justice»
exclusivement irakienne (sachant que la majorité gouvernementale
est chiite). L’exécution du «sunnite» Saddam Hussein par
un gouvernement «chiite» le jour même d’Al Adha, le 31
décembre 2006, n’aurait eu, en définitive, qu’un but: exacerber
les tensions confessionnelles et provoquer enfin cette guerre
civile qui ne veut pas vraiment éclater malgré tous les efforts
déployés. Cette guerre a éclaté vraiment, les troupes
américaines se retireront d’Irak. Exactement comme les
Britanniques avaient fait en Palestine en 1948 et les Israéliens
en atomisant l’unité palestinienne.
Les Américains et leurs alliés qui ont envahi l’Irak sur la base
d’un mensonge -les armes de destruction massive-, en utilisant
bombes à phosphore, bombes à fragmentations, uranium appauvri
ont tué, meurtri, saccagé, détruit une civilisation qui a connu
l’enfance de l’humanité. Les premiers Gis ne sont pas allés
protéger le musée de Baghdad unique en son genre mais plutôt le
ministère du Pétrole. Massacrer les corps ne leur suffit pas, il
faut aussi s’en prendre à ce que les êtres ont de plus intime
comme ils l’ont fait à Abu Ghraïb, comme ils l’ont fait en
photographiant, sans manquer de diffuser mondialement les
images, comme ils l’ont fait en ce jour d’Aïd, Jour de trêve et
de joie pour un milliard et demi de musulmans. La réponse fut
dérisoire mais qui fit le tour du monde. Elle fut donnée par
Montadher Az Zaïdi qui lança ses chaussures à l’assaut d’un Bush
venu rendre visite en décembre 2008 à un Irak en lambeaux. Les «damnés
de la terre» de par le monde eurent un rare moment de
bonheur...
En tout cas, pas les potentats musulmans qui ont bien reçu le
message. C’est la reddition en définitive en rase campagne, à
commencer par El Gueddafi qui fait allégeance en sacrifiant tout
ce qui lui reste de dignité. C’est aussi le cas des potentats du
Golfe qui ont permis la démolition de l’Irak. C’est le cas de
l’Egypte qui donne l’exemple d’un maton pour le compte d’Israël
et suprême injure, à la dignité humaine: elle érige un mur de la
honte pour empêcher des damnés de la terre de venir se
ravitailler pour ne pas mourir des suites d’un blocus inhumain
de Ghaza. Une fatwa du Conseil de recherche islamique d’Al
Azhar, présidé par l’imam Mohamed Sayed Tantaoui, nommé par le
président Hosni Moubarak, a qualifié de «légitime le droit de
l’Egypte de construire une barrière qui empêche les nuisances
venant des tunnels construits sous Rafah». Comment expliquer
«l’acharnement de l’Occident à dicter sa norme à des pays
arabes en déshérence au nom de la lutte contre l’Islamisme?».
Mérick Freedy Alagbe fait remonter les faits à la fin des années
90. Il écrit: «Dans l’euphorie ambiante, Francis Fukuyama
publie La fin de l’histoire et le dernier homme qui traduit sa
vision d’un monde marqué par la prééminence de la démocratie
libérale occidentale. Pour lui, l’humanité a atteint le bout de
sa fécondité idéologique et le modèle occidental s’impose comme
la forme accomplie de gouvernement des humains. En l’absence
d’alternative sérieuse, le monde ne pouvait désormais qu’être
homogène. Condescendance ethnocentrique ou angélisme? En tout
cas, ce tableau pour rassurant qu’il soit, ne résistera pourtant
pas aux vaticinations à la Cassandre de Samuel Huntington, qui y
jettera une ombre d’inquiétude.
La fin des idéologies, loin de voir émerger un monde pacifique,
avec l’universalisation des valeurs et principes d’organisation
politique qu’épouse l’Occident chrétien, ouvre au contraire une
nouvelle page de l’histoire, où les prodromes d’un "choc des
civilisations" n’ont jamais été aussi prégnants. (...)Elle sera
cependant pompeusement réhabilitée au lendemain des attentats du
11 Septembre 2001 et l’engagement militaire des Etats-Unis en
Afghanistan et plus tard en Irak, sous le slogan de "Croisade"
contre le terrorisme.(1)
En effet, dans la présentation synoptique que S. Huntington nous
fournit sur les grandes lignes de fracture entre les différentes
civilisations, deux grandes entités distinctes que tout semble
opposer retiennent l’attention: l’Occident, imprégné de culture
judéo-chrétienne et le Proche-Orient de tradition islamique. Les
autres communautés, bouddhiste, taoïste, shintoïste,
hindouiste...ayant subi aussi des risques d’anomie face à la
montée en puissance de l’Occident chrétien - à la pointe de la
technologie - ont su par moments se résigner à cette hégémonie
tout en se préservant de la destruction. La tactique semble
d’ailleurs payer aujourd’hui car dans leur capacité d’adaptation
aux différentes mutations qui affectent le monde, ces nations
recouvrent peu à peu leur dynamisme économique et leur
prospérité d’antan.»
C’est le cas de la Chine, du Japon, et de l’Inde dont le
dynamisme économique durant la décennie fait rêver l’Occident.
En effet, entre 1999 et 2009, l’économie mondiale a connu de
grands bouleversements. Leur point commun: la vitesse à laquelle
ils se sont produits. Dans le même temps, un autre facteur
marque tout autant: l’accélération du rythme de ces changements.
Accélération tout d’abord chinoise. Avec un taux de croissance
annuelle de 10%, la Chine double son produit intérieur brut tous
les 7 ans et demi. Il avait fallu 58 ans au Royaume-Uni, pour
doubler son revenu par tête à la fin du XVIIIe et au début du
XIXe siècles; 47 ans aux Etats-Unis, entre 1839 et 1886; 34 ans
au Japon entre 1885 et 1919. La Chine l’a fait plus de trois
fois depuis 1978. En 1999, elle occupait la 7e place mondiale,
derrière l’Italie. L’an prochain, elle devrait être numéro deux,
derrière les Etats-Unis.(2)
Les uns et les
autres
«Mais la réaction des communautés musulmanes, poursuit Alagbe,
essentiellement concentrées dans le Golfe arabo-persique et en
Afrique du Nord, ne sera pas identique. La résistance à la
suprématie occidentale et à ses éclaboussures culturelles,
tourne parfois à l’affrontement ouvert, souvent illustré par des
actes terroristes. On pouvait entendre A. Meddeb décrire cette
situation en ces termes: "Depuis la fin du XVIIIe siècle,
l’Islam n’a pas trouvé les moyens de riposter à l’hégémonie
occidentale. De nos jours, nombreux sont ceux qui se sentent
tellement impuissants face à l’hyperpuissance américaine que la
violence sacrificielle leur apparaît comme la seule réponse."
(...) Alors que prévaut en Occident le constitutionnalisme qui
pose les normes d’acquisition du pouvoir et son usage, et la
démocratie libérale avec toutes les libertés qu’elle implique,
de l’autre côté du Bosphore et en Afrique du Nord, les
monarchies héréditaires, les pouvoirs autocratiques, les
dictatures...ont encore de beaux jours devant eux (...).»(1)
On l’aura compris, le refus de l’alternance est une des causes
de l’arriération de ces pays qui sont peut être riches d’une
rente imméritée mais pas développés. S’agissant par contre des
pays asiatiques qui talonnent l’Occident, selon le diplomate
Mahbubani, pendant des siècles, les Asiatiques ont eu le
sentiment d’avoir été exclus de l’histoire mondiale.
Aujourd’hui, ils sont prêts à devenir des acteurs à part
entière, après avoir intégré les «bonnes pratiques» de
l’Occident - l’économie de marché, les sciences et les
technologies, la méritocratie, l’Etat de droit, le pragmatisme,
la culture de la paix et le développement de l’éducation. Tels
sont, selon Kishore Mahbubani, les «sept piliers de la
sagesse occidentale» dont se sont inspirés les pays
asiatiques pour avancer à grands pas.
L’Occident saura-t-il résister à l’ascension économique
vertigineuse de l’Asie? L’Asie n’a nulle intention de dominer
l’Occident, elle y puise simplement les solutions qui lui
permettront de tourner définitivement la page de la pauvreté.
Mais elle nous met aussi en garde: l’Occident devra à son tour
renoncer à sa domination, notamment sur les institutions
internationales.(3). L’Occident deviendra alors une simple «province
du monde», selon J.-C. Guillebaud avec seulement 9% de la
population mondiale en 2025. Le permettra-t-il? Cette nouvelle
décennie nous donnera la réponse.
1.Mérick Freedy Alagbe: L’impensé du Choc
des civilisations.Agoravox 2 janvier 2010
2.Frédéric Lelièvre: Accélération, mot-clé de la décennie.
LeTemps.ch. 23 décembre 2009
3.Kishore Mahbubani: Le défi asiatique. Editions Fayard 2008
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 4 janvier 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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