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Opinion
L'intérêt d'un Iran
nucléaire
Chan Akya
La centrale nucléaire
iranienne de Bucherhr
Asia Times Online, le 20 décembre 2010
http://atimes.com/atimes/...
Dès l’imposition de nouvelles sanctions
contre l’Iran par le Conseil de Sécurité de l’ONU, la semaine
dernière, après son refus de stopper l’enrichissement d’uranium,
les inquiétudes se sont accumulées sur la possibilité d’un
conflit de type nucléaire au Moyen-Orient, impliquant les
Etats-Unis, Israël, l’Iran et peut-être une multitude de pays
arabes, incluant l’Arabie Saoudite.
Bien que la descente vers la guerre puisse s’avérer
inévitable au cours de 2011, cet article explore les besoins
stratégiques de l’autre aspect du problème : à savoir, la
question relative à la gravité d’un Iran disposant de l’arme
nucléaire, dans ce qui est considéré comme le voisinage le plus
explosif de la planète.
De loin, la divulgation la plus intéressante qui a émergé des
câbles [diplomatiques] américains est l’insistance répétée du
roi saoudien, exhortant les Etats-Unis de se retirer d’Irak en
faisant un détour par l’Iran. Voici le reportage fait par
Reuters sur WikiLeaks, le 29 novembre dernier :
Selon les câbles diplomatiques américains divulgués,
le Roi Abdallâh d’Arabie Saoudite a exhorté les
Etats-Unis, à plusieurs reprises, à « couper la tête du
serpent », en lançant des frappes militaires pour
détruire le programme nucléaire iranien.
Une copie de ce câble, daté du 20 avril 2008, a été
publiée dimanche dernier sur le site Internet du New
York Times, après avoir été diffusé sur le site
dénonciateur WikiLeaks. La communication classifiée
entre l’ambassade US à Riyad et Washington montrait que
les Saoudiens craignaient l’influence croissante de
l’Iran chiite dans la région, en particulier dans l’Irak
voisin.
Les Etats-Unis ont répété que l’option militaire était
sur la table mais, en même temps, les chefs militaires
américains ont bien fait comprendre qu’ils considèrent
cette option comme un dernier recours, craignant que
cela puisse déclencher un conflit plus large au
Moyen-Orient.
Ce câble d’avril 2008 détaillait une rencontre entre le
commandant en chef de l’armée américaine au
Moyen-Orient, le Général David Petraeus, l’ambassadeur
américain en Irak, Ryan Clocker, le Roi Abdallah, ainsi
que d’autres princes saoudiens.
Lors de cette réunion, l’ambassadeur saoudien auprès des
Etats-Unis, Adel al-Jubeir « a rappelé les fréquentes
exhortations du Roi pour que les Etats-Unis attaquent
l’Iran et qu’ils mettent ainsi fin à son programme
d’armes nucléaires », disait ce câble.
« Il vous a dit de couper la tête du serpent », aurait
dit Jubeir.
Cela ne peut que faire naître quelques évidentes questions
dans l’esprit de tous ceux qui ne sont pas redevable à
l’establishment saoudien ou qui ne font pas partie du cercle
pétrolier de George W. Bush / Dick Cheney.
Avant tout, quel est le serpent auquel se réfère le Roi Adballah
?
Il y a de multiples possibilités sur la nature de ce serpent.
L’une d’entre elles est que le roi se référait aux Perses ou,
plus probablement, aux masses chiites, avec l’Iran à sa tête.
Tandis que ce point de vue serait certainement en conformité
avec l’orthodoxie saoudo-wahhabite au regard de l’Islam et de
son évolution au cours des 1.000 dernières années, cette
justification ne pourrait vraiment constituer un terrain
d’entente avec les Etats-Unis. Les Américains sont (sans doute)
neutres vis-à-vis des différentes confessions de l’Islam, en ce
sens qu’ils sont déjà en guerre dans deux régions à prédominance
sunnite (au nord de l’Irak et en Afghanistan) et qu’ils sont
impliqués dans des guerres dans les régions chiites du sud de
l’Irak, sans parler de l’animosité de l’ère Reagan à l’égard de
l’Iran chiite.
Les serpents dans les sables
Il y a quelque chose de délicieusement intéressé à propos des
exhortations saoudiennes à ce que les Etats-Unis agissent contre
l’Iran pour éviter la montée d’une nouvelle puissance au
Moyen-Orient, en particulier si les Etats-Unis voulaient prendre
du recul et poser des questions plus fermes sur le rôle «
d’autres serpents ».
Au cas où ceci vous paraîtrait opaque, j’entends par là : le «
serpent » du terrorisme religieux et, en particulier, le
problème de la jeunesse mécontente dans les royaumes à
prédominance sunnite, tels que l’Arabie Saoudite, le Koweït et
autres, tout comme la frustration de la jeunesse dans des
anarchies telles que l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan. Il
n’est pas tout à fait clair que l’ennemi naturel de ces jeunes
serait les Américains ; il est plus probable que le véritable
ennemi de ces jeunes serait l’ordre établi au Moyen-Orient, où
la richesse des nations est contrôlée par une bande de
monarchies vieillissantes.
Ce serpent du terrorisme religieux est celui qui a mordu les
Etats-Unis le 11/9. La plupart des pirates de l’air du 11
septembre 2001 étaient d’origine saoudienne et, bien qu’ils
fussent théoriquement sous la direction d’Oussama ben Laden, il
est raisonnable de penser qu’ils étaient essentiellement
désenchantés à cause de l’anti-démocratie étouffante de l’Arabie
Saoudite et de l’hypocrisie inhérente du wahhabisme dans un pays
qui a passé le plus clair de son temps à courber l’échine devant
les Américains.
Craignant le cauchemar tactique de devoir affronter des
centaines – voire des milliers – de ces jeunes mécontents,
l’Amérique et l’Europe ont choisi de commettre une bêtise
stratégique, consistant à soutenir les monarchies décadentes,
tant qu’elles s’en prenaient à leur propre jeunesse. C’était un
marché stupide, pour dire les choses avec modération.
Une situation viable consisterait à faire éclore sur une grande
échelle des changements de régime au Moyen-Orient, en chassant
les monarchies déliquescentes et corrompues, qui seraient
remplacées par des dirigeants islamiques capables d’adopter une
approche orientée vers le développement de leurs pays. Pour
s’assurer que cette nouvelle génération de dirigeants du
Moyen-Orient ne sera pas trop tentée par les possibilités
d’attaquer l’Amérique ou Israël, il serait nécessaire d’avoir un
contrôle « naturel » dans la région – c’est-à-dire : l’Iran.
En tant qu’Etat théoriquement démocratique, très lié avec la
philosophie chiite sur le plan théologique, tout le monde sait
depuis 1979 que l’Iran a le potentiel de bouleverser le statu
quo éculé du Moyen-Orient. Les Etats-Unis, en compagnie de
divers royaumes sunnites, ont poussé Saddam Hussein à livrer
cette guerre meurtrière contre l’Iran, elle-même guerre de
survie pour la communauté sunnite minoritaire d’Irak, contre la
population chiite pluraliste majoritaire.
Les atrocités que Saddam et ses hommes de main ont perpétrées
contre la population chiite dans le sud de l’Irak sont
tristement célèbres. L’Iran a connu également des centaines de
milliers de pertes civiles, suite aux atrocités commises par le
régime irakien sunnite, pour lesquelles ni les Européens ni les
Américains, ces soi-disant parangons des droits de l’homme,
n’ont tenté de mettre les moyens afin d’établir les
responsabilités.
C’est l’Australie qui a raison
Comparez la position saoudienne avec celle de l’Australie, un
allié constant des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne pendant
les 60 dernières années. Voici ce que Reuters a rapporté le 13
décembre :
Selon les câbles américains diffusés par WikiLeaks,
l’Australie est en désaccord sur l’Iran avec son
principal allié – les Etats-Unis – sur les questions de
sécurité, disant que l’Iran n’est pas un « Etat voyou »
et que son programme nucléaire est destiné à la
dissuasion, pas l’attaque. Ces documents, publiés lundi
dernier par le Sydney Morning Herald, révèlent
également que le plus grand organisme de sécurité
australien est convaincu que Téhéran pense qu’une «
négociation approfondie » avec les Etats-Unis serait le
meilleur moyen de garantir sa sécurité nationale.
Mais l’ONA [Office of National Assessments] (le
bureau australien des estimations en matière de
renseignements) partageait les craintes de Washington,
selon lesquelles la poursuite de la recherche
d’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran pourrait
conduire à une guerre nucléaire conventionnelle, faisant
remarquer qu’un conflit entre Israël et l’Iran était le
plus grand défi à la stabilité au Moyen-Orient.
L’ONA est aussi préoccupé par le fait que la
prolifération nucléaire au Moyen-Orient pourrait
conduire les pays du Sud-Est asiatique à rechercher
leurs propres capacités nucléaires. Selon les câbles
diplomatiques de 2008 provenant de Canberra, le chef de
l’ONA d’alors, Peter Varghese, dans une note
d’information, a dit aux Américains : « C’est une erreur
de croire que l’Iran est un ‘Etat voyou’ ». Ces câbles
disaient que l’ONA avait une vision objective de Téhéran
qu’il voyait comme un acteur diplomatique sophistiqué
plutôt que comme un acteur susceptible de se comporter
impulsivement ou irrationnellement.
L’appréciation des Australiens est juste, même si sa
motivation principale est la crainte d’une conflagration
nucléaire au Moyen-Orient qui pourrait déclencher une course à
l’armement nucléaire en Indonésie (pays qui a la plus forte
population musulmane au monde et voisin suffisamment proche pour
inquiéter les décideurs politiques australiens). Quelles que
soient leurs motivations, les Australiens ont peut-être mis le
doigt sur l’essentiel – c’est-à-dire que l’Occident devrait
adopter une approche objective sur ce problème.
Qu’en est-il d’Israël ?
Tout argument de soutien à l’Iran se heurte toutefois aux
déclarations hystériques d’Israël sur les dirigeants iraniens.
Il y a peu de doute dans l’esprit de la droite israélienne et de
la droite américaine que si on lui en laissait l’occasion,
l’Iran entreprendrait de littéralement « rayer Israël de la
carte », ainsi que le président iranien l’a affirmé avec fierté
l’année dernière.[1]
C’est un sérieux soucis pour l’Occident ou quelqu’un d’autre qui
s’engagerait avec l’Iran, d’abord parce qu’il ne semble pas y
avoir la moindre motivation au sein de la direction iranienne de
changer d’attitude envers Israël et qu’il n’y a pas non plus de
pression populaire visible dans le pays pour le faire. Au
contraire, en Iran, le légendaire « homme de la rue » est aussi
inamical envers Israël que ses dirigeants à moitié fous.
Ceci dit, il faut prendre aussi en compte d’autres
considérations. D’abord, il est improbable que l’Iran ait
réellement la capacité et, explicitement, la volonté de résister
à une contre-attaque le l’Etat juif (à plus forte raison
américaine) si jamais ce pays envisageait d’attaquer Israël.
Avec plus de 200 bombes nucléaires (certaines estimations disent
400), Israël n’est pas facilement influençable lorsqu’il s’agit
de représailles.
Deuxièmement, on doit prendre du recul et examiner ce que les
Iraniens peuvent prétendre exactement obtenir avec en
poursuivant un tel objectif – quasiment rien. Comparez cela au
bénéfice direct qu’ils tireraient en s’occupant de leur problème
clé, à savoir le déclin de leur production et de leurs
exportations de pétrole, auquel l’Iran est confronté
quotidiennement. D’autres auteurs – dont Spen,gler, mon collègue
à l’Asia Times Online – ont mentionné la situation
désespérée de l’économie iranienne avec sa sur-dépendance sur
des exportations de pétrole en diminution.
Si l’on associe peur et avidité, le résultat de s’engager avec
l’Iran serait sûrement l’expansion de son influence sur les
zones chiites de production de pétrole autour du Golfe Persique.
Un examen critique de cet aspect pourrait bien être la clé pour
résoudre à la fois l’énigme du Moyen-Orient et contenir au
niveau mondial une extension supplémentaire du terrorisme
wahhabite.
Le pétrole chiite
Il y a une sorte de truisme dans l’industrie énergétique,
selon lequel, tandis que les Etats sunnites pourraient
revendiquer la propriété des réserves d’hydrocarbures, la
plupart des zones de production de pétrole se trouvent en fait
dans des régions peuplées exclusivement ou très largement de
groupes chiites. Par exemple, The Energy Bulletin a
publié le tableau suivant en décembre 2008, dans un article de
James Leigh, intitulé « L’Islam chiite et la géopolitique du
pétrole » ; ce tableau souligne la prédominance des populations
chiites dans les régions riches en pétrole.
Cet article insiste sur un point clé :
Les Etats du Golfe, Bahreïn, l’Iran, l’Irak, le
Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats
Arabes Unis, comptent 81,3 millions de Chiites, soit
environ 61% de la population totale du Golfe. De plus,
si l’on prend juste les populations chiites des cinq
pays qui détiennent 58% des réserves pétrolières
mondiales, l’Iran, l’Irak, le Koweït, l’Arabie Saoudite
et les E.A.U., nous voyons que les Chiites représentent
62% de leurs populations. Il est clair que les Chiites
ont le potentiel d’influer de façon significative sur
l’ensemble de la région du Golfe, à travers leurs
propres nations et, en fin de compte, également le monde
entier. Bien sûr, ils pourraient aussi exercer une
influence régionale et mondiale à travers leur solide
représentation à l’OPEP.
En regardant de plus près les parties exclusivement arabes de
la « carte du pétrole », le fanatique sunnite moyen a de quoi
s’inquiéter. Un certain nombre de champs de pétrole clés dans
divers Etats arabes, contigus au Golfe « arabe » (que l’on
appelle bien sûr le Golfe Persique dans le reste du monde) sont
des régions dont la population chiite est prédominante, dont les
principales sont le Bahreïn et la région d’Al-Hasa (autrefois
subordonnée au Bahreïn à l’époque de l’empire ottoman).
Alors, ceci est la base des inquiétudes saoudiennes vis-à-vis de
l’Iran. Une expansion de l’Etat chiite pourrait provoquer de
graves troubles à l’intérieur des frontières saoudiennes, mais
limiter également la capacité de ce pays à supprimer la
contestation de sa jeunesse et des agités, un scénario qui doit
provoquer la plus grande inquiétude parmi les princes héritiers
alors qu’ils réfléchissent à la succession du Roi Abdallah.
Qu’en est-il de l’avenir
La perspective d’un Iran nucléaire crée certainement sa part
d’appréhensions, dont pas la moins moindre est l’expansion
probable d’un théâtre de guerre s’éloignant du Moyen-Orient vers
l’Europe et l’Asie. L’attitude de l’Iran envers Israël est
également un sujet d’inquiétude profonde. Toutefois, si l’on
assume qu’une expansion militaire de l’Iran avec des armes
non-conventionnelles est une certitude dans un environnement où
les Etats-Unis en tant que puissance déclinante est incapable
d’intervenir militairement, alors la meilleure option suivante –
à savoir exploiter cette nouvelle puissance émergente – devrait
être minutieusement examiné.
L’avantage essentiel d’un Iran nucléaire et d’un Etat chiite en
essor serait l’instabilité qu’il engendrerait dans le
Moyen-Orient d’aujourd’hui, contrôlé essentiellement par les
sunnites et les wahhabites. Ce ne serait pas une mauvaise chose,
alors que l’Amérique et l’Europe ont toutes deux très peu à
présenter sur l’engagement de l’Arabie Saoudite et des royaumes
voisins dans les neuf ans depuis le 11/9 et sur les tentatives
occidentales d’affaiblir al-Qaïda. A la place, l’ascension de
l’Iran pourrait très bien encourager ce type de réformes qui ont
été rejetées jusqu’à présent par les royaumes arabes et, en
échange, créer les conditions pour une plus grande stabilité à
long terme.
Note:
[1]
Cette déclaration est controversée. Lire à ce sujet :
Discours d’Ahmadinejad : Perdus dans la
traduction, de Jonathan Steele,
The Guardian, 14 juin 2006.
Copyright 2010 Asia Times Online Ltd / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.
All rights reserved.
Publié le 21 décembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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