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IRIS
AIEA contre AIEA
Barthélémy Courmont
Barthélémy Courmont - Photo IRIS
IRIS, 5 mars 2008
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a fourni le
1er mars une nouvelle liste de documents concernant le programme
nucléaire iranien, qui vont totalement à l’encontre des
conclusions présentées quelques jours plus tôt par son
directeur, Mohamed El Baradei, et traduisent un profond malaise
au sein de l’Agence autour de la question iranienne.
DE NOUVEAUX ÉLÉMENTS ACCABLANTS
L’AIEA a apporté de nouveaux éléments, qui avaient été
exposés pour la première fois dans le détail, le 25 février,
par le directeur général adjoint de l’AIEA, le Finlandais
Olli Heinonen, lors d’une présentation à huis clos devant
des représentants des missions étrangères auprès du siège de
l’agence, à Vienne. Depuis 2005, Olli Heinonen pilote les
équipes d’inspecteurs internationaux qui enquêtent sur le
programme nucléaire de l’Iran.
L’exposé portait sur trois projets iraniens : la conversion
de dioxyde d’uranium (Green Salt Project), des études sur
des explosifs de haute intensité et la mise au point d’un
corps de rentrée de missile. Des documents ont été montrés
sur des travaux portant sur des systèmes de mise à feu à
haute tension et des détonateurs multiples pouvant se
déclencher simultanément. Des preuves qui seraient
accablantes, mettant en lumière que le programme iranien
d’enrichissement d’uranium ne s’est pas arrêté. Ainsi, selon
cette nouvelle présentation de l’AIEA, l’Iran serait
toujours coupable de conduire un programme illicite
d’enrichissement d’uranium.
DIVISIONS À L’AIEA
Les affirmations d’Olli Heinonen signalent une différence de
ton par rapport à Mohamed El Baradei, dont le rapport était
plus ambigu, et avait été fortement critiqué par la plupart
des puissances occidentales, qui le jugeaient trop
complaisant à l’égard de Téhéran. Cette différence de ton
semble confirmer l’existence de tiraillements au sein de
l’AIEA entre, d’un côté, les experts vérificateurs
techniques et, de l’autre, le directeur, qui revendique un
rôle de politique et ne cache pas une farouche hostilité à
l’administration Bush depuis les manipulations du
renseignement qui ont précédé la guerre d’Irak en 2003,
période au cours de laquelle ses recommandations (et celles
d’Hans Blix) n’avaient pas été entendues. Ces divisions sont
pour le moins inquiétantes, quand on sait que si le rôle
politique de l’AIEA est indiscutable en ce que ses
conclusions peuvent influencer des décisions politiques
importantes, ses recommandations ont avant tout une valeur
technique, et ne doivent pas être engagées. Mais la crise
irakienne a profondément affecté les travaux de l’agence, et
les deux versions proposées par le directeur et son adjoint
confirment un malaise qu’il convient de régler rapidement,
sans quoi la crédibilité de l’AIEA pourrait être durablement
affectée. Et quand on mesure la gravité du dossier iranien,
de telles hésitations ne sont pas bienvenues.
LE RAPPORT AMÉRICAIN DE DÉCEMBRE 2007 CONTESTÉ
L’exposé d’Olli Heinonen va également à l’encontre de la
conclusion du rapport du renseignement américain de décembre
2007, selon lequel les travaux iraniens sur la mise au point
d’une ogive nucléaire ont marqué un arrêt à l’automne 2003,
sans reprendre depuis. Le rapport de Mohamed El Baradei ne
se prononçait pas pour sa part sur un tel arrêt, et se
montrait plus nuancé. Lors de la publication du rapport
américain, la Maison-Blanche s’était trouvée en difficulté,
le contenu de ce rapport allant à l’encontre des multiples
affirmations des membres de l’administration Bush selon
lesquels l’Iran représentait une menace imminente. Ces
nouveaux éléments apportés par l’AIEA ont donc été bien
accueillis par Washington, ainsi que par les autres
puissances occidentales chargées du dossier iranien.
UNE NOUVELLE RÉSOLUTION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ
A la suite de la présentation des nouveaux éléments
attestant de la continuation du programme nucléaire iranien,
le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté à majorité de 14
voix (seule l’Indonésie s’est abstenue) une nouvelle série
de sanction à l’encontre de Téhéran le 3 mars. La résolution
1803 allonge la liste des individus et entités liés aux
programmes nucléaire et balistique iraniens qui sont frappés
d’un gel de leurs avoirs à l’étranger et, pour certains,
d’une interdiction de voyager. Elle interdit la fourniture à
Téhéran de biens sensibles à double usage (civil et
militaire). Elle exhorte par ailleurs les Etats à la
vigilance dans les transactions avec les banques iraniennes,
notamment les banques Melli et Saderat. Enfin, comme dans le
cas des votes précédents, le Conseil de Sécurité donne trois
mois à Téhéran pour suspendre ses activités d’enrichissement
d’uranium, avant de se réunir pour adopter éventuellement de
nouvelles sanctions. Mais une solution diplomatique reste la
priorité. La résolution rappelle ainsi la proposition faite
par les Six à Téhéran en juin 2006, qui prévoit des
coopérations dans le domaine du nucléaire civil et dans les
domaines économiques et politiques à la condition que l’Iran
accepte de suspendre ses activités nucléaires sensibles.
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