Opinion
Suicide et suicide
Badis
Guettaf
Dimanche 8 avril 2012
Dimitris
Christoulas s’est tiré une balle dans la
tête, en face du Parlement grec. Il a
laissé une lettre. «… je ne trouve pas
d’autre solution qu’une fin digne, avant
que je ne commence à chercher dans les
poubelles pour me nourrir. Je pense
qu’un jour les jeunes sans avenir
prendront les armes et qu’ils pendront
les traîtres sur la place Syntagma…» On
ne sait pas ce qui va en résulter. Le
suicide de Mohamed Bouazizi a été promu
au rang d’événement majeur par la classe
politique dominante en France. Le maire
de Paris, Bertrand Delanoë, a inauguré,
pour le marquer, une place à Paris au
nom du Tunisien qui a préféré «mourir
plutôt que de vivre dans la misère» et
dont il fallait «honorer la mémoire».
Touchante attention, pourrait-on penser,
de la part de gens qui, entre tout, ont
tenu à démontrer qu’ils sont sensibles à
la détresse de gens, sans y être
obligés. Les mêmes ont voté à la
quasi-unanimité l’envoi de bombardiers
sur le peuple libyen. Les deux faits
seraient liés par le même souci de
soutenir ce «printemps» qui devait
fleurir chez les Arabes et peuples
assimilés. La main sur le cœur, ce
serait l’amour de l’Humanité souffrante
qui animerait ces bonnes âmes. On
pourrait croire que, chez eux, la
justice, les droits de l’homme et la
démocratie sont bien établis et que les
Bouazizi ne peuvent exister sous leurs
cieux. Pourtant, les 29 février et 11
mars derniers, deux travailleurs
salariés de La Poste se sont suicidés
sur leur lieu de travail. L’un d’entre
eux avait écrit un message SOS à sa
direction et se disait «dos au mur». Ce
n’étaient pas les premiers, en 2009 les
syndicats en ont recensés 77, un chiffre
jugé sous-estimé selon des observateurs.
A France Télécom on dénombre 28 suicides
depuis 2008. On compterait aussi 400
suicides par an dans l’agriculture.
«Savoir que les suicides augmentent
pendant les périodes de crise… C’est une
découverte importante pour ceux qui
travaillent sur la prévention du
suicide» déclare James Mercy, du Center
for Disease Control and Prevention
(Etats-Unis). Sans plus, et ces suicidés
n’émeuvent pas plus que de mesure. Ils
n’annoncent rien, de ce côté des choses,
que la «fragilité» de situations
purement individuelles, dans le meilleur
des mondes. Parce que ce monde, en
France par exemple, aurait connu son
«printemps» il y a fort longtemps, en
1789, et depuis tout se passe bien, sauf
pour certains qui ne devraient peut-être
s’en prendre qu’à eux-mêmes, ou prendre
leur mal en patience. La réalité est que
1789 a débouché sur 1794 où les
«sans-culottes» ont été remisés, une
fois qu’ils avaient contribué à
instaurer le système économique qui
perdure et qui pousse leurs descendants
au pire, à attenter à leur vie. En 1871,
il y a bien eu la tentative de remettre
les choses à plat. Les ouvriers
parisiens et ceux parmi les
intellectuels et soldats qui furent de
leur camp furent massacrés par dizaines
de milliers, pour que nul ne pense plus
jamais à déranger l’ordre établi. Celui
du libéralisme qui tue, quand il faut,
ceux qui n’ont que leur travail à faire
valoir. C’est pour cela que ces suicidés
ne provoqueront pas d’ostentation
humanitaire, ni chez le maire de Paris,
ni chez les faiseurs officiels de
martyrs.
B. D.
Publié sur
Le Jour d'Algérie
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