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Amin.org
De
l'insanité de la guerre américaine
Dr Azmi Bishara
Dr Azmi Bishara
On Arabic Media Internet Network, 08.11.2007
http://www.amin.org/look/amin/en.tpl?IdLanguage=1&IdPublication=7&NrArticle=43152&NrIssue=
1&NrSection=3
Un général du Pentagone qui reprendrait de
l’active, ne serait-ce que vingt ans après son départ à la
retraite, serait très très surpris. Voici deux décennies de
cela, son pays venait d’émerger, victorieux, sur l’ordre
communiste international, après quelque quarante années et des
poussières de guerre politique, culturelle, économique et
informationnelle, qui se manifesta par l’éruption
d’innombrables conflits régionaux, de révolutions et de coups
d’état dans diverses régions du globe, et dans lesquels son
organisation avait investi toutes son énergie et toutes ses
ressources. Ainsi, il allait connaître ses années dorées,
confiant que l’Amérique était plus sure et plus confiante,
puisqu’elle avait désormais vaincu ce que Ronald Reagan avait
qualifié d’ « Empire du Mal »… Sa confiance
aurait encore été renforcée par el fait que le dernier projet
de loi sur l’acquisition de nouveaux armements que le président
eût soumis au vote du Congrès s’élevait à un demi trillion
de dollars en dollars d’aujourd’hui, à l’effet d’entraîner
l’économie soviétique en haillons dans une nouvelle course aux
armements. Imaginez la surprise de notre général américain à
la retraite, vingt ans après que son gouvernement en eut fini
avec cet ennemi de la liberté et de l’ « American
way of life », en voyant que son président, aujourd’hui,
en 2008, a demandé au Congrès d’approuver un budget militaire,
durant cette ère de paix, équivalent, en dollars actuels, au
total du budget de 1987, c’est-à-dire quelque chose
d’approchant les 505 milliards de dollars…
Le budget militaire des Etats-Unis équivaut
à l’ensemble des budgets militaires de tout le reste du monde,
et il représente le quintuple de l’ensemble des budgets
militaires des pays que les Etats-Unis ont identifiés comme ses
ennemis potentiels (d’après un article de Richard Betts,
directeur du Saltzman Institute of War and Peace Studies, qui a été
publiée dans le Chicago Sun Times du 28 octobre).
Certes, un sceptique peut arguer que cette
comparaison est injuste, car elle ne prend pas en compte le besoin
de coûts exceptionnels afin de couvrir les guerres en cours en
Irak et en Afghanistan. Je répondrai à ce sceptique que, premièrement,
l’Irak et l’Afghanistan ne sont en rien des « exceptions ».
Tout octogénaire américain aurait bien du mal à se souvenir
d’un moment où son pays n’aurait été ni en guerre, ni en
train d’en préparer une nouvelle ! Contrairement aux cent
cinquante premières années de l’histoire des Etats-Unis, les
quatre-vingt dernières ne sont qu’une litanie interminable de
passage d’un conflit à l’autre ou d’une intervention
militaire à la suivante, au cours de ce qu’on peut qualifier de
déploiement de l’émergence de l’Empire américain tel que
nous le voyons aujourd’hui. Ensuite, les invasions de l’Irak
et de l’Afghanistan sont financées par des budgets supplémentaires
votés hors le budget fédéral. Si vous ajoutez les 142 milliards
de dollars injectés dans ces guerres au budget militaire de 2008,
vous arrivez à 650 milliards de dollars, soit 25 % de plus que le
budget militaire américain pour l’année 1968, au plus fort de
la Guerre froide et de la course aux armements, et à une époque
où les Etats-Unis étaient engagés dans la plus féroce des
interventions militaires de toute leur histoire, la guerre au
Vietnam.
A l’évidence, le budget de la défense américain
est déterminé par d’autres motifs que le seul besoin de
financer l’armée et les guerres du moment. Un des déterminants,
puissants, est la recherche-développement scientifique et
technologique, en particulier dans les secteurs transférables
entre les industries militaires et les industries civiles, et sans
tenir compte des commandes en sous-traitance, sans lesquelles la
plupart des grandes firmes américaines seraient incapables de se
tenir hors de l’eau dans la lutte capitaliste pour la survie.
Sans égard pour l’existence ni pour la nature des menaces perçues
à la sécurité nationale des Etats-Unis, le budget militaire et
le complexe de la recherche / production technologique constituent
la base de l’économie impériale. Il crée des emplois, permet
le développement d’industries civiles, et de manière générale
injecte de la vie dans l’ensemble du mécanisme. Autrement dit,
contrairement aux allégations des tenants de l’économie de
marché, selon lesquels ce développement industriel, scientifique
et technologique fonctionnerait par lui-même, sans
l’intervention de l’Etat, l’Etat, en réalité, met tout son
poids sur l’infrastructure de la recherche, du développement et
de la production. C’est même, là, un des facteurs qui ont conféré
aux Etats-Unis un avantage sur les autres pays, dans nombre de
domaines.
Le budget militaire américain ne se contente
pas de financer des recherches sur des boucliers anti-missiles
balistiques, ou contre les syndromes de choc psychologiques
relatifs au champ de bataille, pour ne pas parler du développement
de la propagande d’Etat et de la machine médiatique. Avec le développement
des technologies du commandement par internet, la recherche
sophistiquée en matière de cybernétique a reçu une telle part
des dépenses relatives à la défense que les villes américaines
se livrent entre elles une concurrence acharnée afin d’être
retenues comme base pour des centres de recherche et des QG destinés
à protéger les ordinateurs et les réseaux de donnée
appartenant à des agences gouvernementales, à des banques, voire
même au Pentagone contre des virus et des hackers [il s’agit de
spécialistes, capables de déchiffrer des codes secrets et de
s’introduire sur des sites ultraconfidentiels afin de les
espionner, de les « mettre sur écoute », de les
endommager ou de les détruire, ndt], qui sont en passe, dit on,
de devenir les prochaines armes de destruction massive à la
disposition du « terrorisme mondialisé » contre
l’Occident. Comme c’est le cas avec tous les sauts
technologiques majeurs, les conséquences de l’investissement
dans la recherche et le développement des techniques cybernétiques
ne manqueront pas d’apporter à la fois des bénéfices et de
grands périls aux générations futures.
Ce qui nous préoccupe, en la matière,
c’est le fait que cette dynamique économique risque de jouer un
rôle essentiel (sinon d’y précipiter activement les Etats-Unis)
dans des conflits armés, par l’intermédiaire des lobbies qui
représentent les membres constitutifs du complexe
militaro-scientifico-industriel, au minimum en exacerbant des
tensions internationales, en magnifiant des menaces et, de manière
générale, en contribuant à créer un climat propice à une
activité plus profitable du point de vue capitalistique. A
l’instar de l’establishment sioniste politico-médiatique,
l’establishment américain politico-militaire, lui aussi,
dispose de ses propres représentants : journalistes,
organisations et lobbyistes, à Washington. Je mettrais ma main à
couper qu’il y a, quelque part, une loi non écrite, qui leur
dit d’exagérer la puissance de l’ennemi et d’alimenter les
tensions et, quand les choses commencent à sembler partir en eau
de boudin et échapper à tout contrôle, de présenter les événements
sous les traits de quelque conspiration. Quoi qu’il en soit, je
ne doute pas un seul instant que les déclarations faites par Bush
sur la capacité future de l’Iran à se doter de la bombe nucléaire,
et les observations de Rice selon qui l’Iran représente
aujourd’hui le plus grave danger pour la sécurité nationale américaine,
feront le maximum pour satisfaire un establishment militaro-économique
américain avide d’allocations budgétaires gargantuesques.
Le tout nous conduit à un autre monde, à
l’autre face du progrès : une escalade est en cours, pour
des raisons qui se la jouent « rationnelles », au sens
qu’elles semblent présenter des arguments logiques pour déployer
des allocations militaires, ou, éventuellement, pour prendre le
contrôle des principales réserves pétrolières mondiales, ou
encore, éventuellement, pour servir les intérêts d’Israël.
De fait, toutefois, ces rationalisations exploitent des idées et
des images stéréotypes qui sont tout ce qu’on voudra, sauf
rationnelles. Ces stéréotypes peuvent éventuellement déjà
exister sous une forme latente, mais ils sont magnifiés et
canalisés de manière concertée par la presse, la
politicaillerie populiste, les films hollywoodiens et les autres médias,
jusqu’à former une culture dominante. C’est dans cette
mobilisation subliminale de tous les instants de l’opinion
publique que réside l’autre mobile du progrès technologique.
Reste qu’on ne peut faire autrement que
remarquer les quantités de mensonges délibérés ou de mythes
non-intentionnellement entretenus au sujet des pays et des peuples
pris pour cibles par ces campagnes. Ce sont des mensonges et des
mythes qui seront mis au service des tensions en cours
d’escalade, tout en maintenant un œil sur un recours possible
à la force armée, en particulier contre ces pays qui résistent
à l’hégémonie impérialiste et qui s’efforcent de s’auto-promouvoir
en puissances, au sein de leur propre sphères géographiques.
Sans égard pour notre propre opinion au sujet de ces pays, il y a
assurément quelque chose de pervers à répéter comme des
perroquets, comme nous le faisons, les stéréotypes et les allégations
produits par la machine à propagande américaine. Après tout,
pourquoi quiconque, dans le Tiers Monde, devrait-il accepter
l’idée que les Etats-Unis devraient être nécessairement le
camp doté du pouvoir de déterminer qui peu ou qui ne peut pas
posséder l’énergie nucléaire, ou encore qui peut ou qui ne
peut pas représenter une menace, au cas où il la détiendrait ?
Les Etats-Unis sont le seul pays à avoir utilisé des armes nucléaires
depuis l’invention de cette technologie ; ensuite, cette
technologie, ils l’ont utilisée contre des villes très peuplées ;
enfin, cela s’est produit à une époque où ils étaient
absolument les seuls à détenir cette technologie. Même après
que d’autres pays eurent rejoint le club nucléaire, cette
instance est demeurée le seul moment, dans l’Histoire, où des
armes nucléaires ont été utilisées. Aucun pays socialiste
n’en a jamais utilisé, pas même à la veille de
l’effondrement de cette forme d’ordre mondial. De même, aucun
pays islamique, ne l’a utilisé. Ni l’Inde. Ni aucun autre
pays. Seuls, les Etats-Unis peuvent orner leur (lamentable) front
de ce laurier (d’infamie).
Mais, en lieu et place d’inquiétude devant
son audace à se proclamer le juge unique en matière de prolifération
nucléaire et en lieu et place de l’horreur que devrait susciter
le monopole détenu par Israël, dans cette région du monde, en
matière tant de nucléaire civil que d’armes nucléaires, nous
assistons au sarcasme dirigé contre la tentative « naïve »
de Mohamed Al-Baradeï d’affirmer l’autorité de l’Agence
Internationale de l’Energie Atomique, dont les Etats-Unis furent
un père fondateur. Le lauréat du Prix Nobel de la Paix, que l’Occident
avait pourtant virtuellement salué comme un héros, croit que
l’AIEA devrait être l’instance déterminant de quelle manière
inspecter des technologies nucléaires, dès lors qu’un accord
est obtenu avec l’Iran, et de quelle manière se comporter, au
cas où cet accord ne serait pas conclu. Voilà pourtant qui
semble parfaitement raisonnable ! Mais les commentateurs
politiques et les médias ont immédiatement suivi les caprices
primesautiers générés par l’arrogance de la puissance américaine.
Il est choquant de constater que le discours politique américain
a été adopté de manière totalement acritique. Et politique, ce
discours l’est, assurément ; ce qui signifie qu’il ne
s’agit absolument pas d’un discours neutre et que ce discours
vise à conduire aux conclusions que les Etats-Unis veulent voir
retirer par absolument tout le monde !
Quiconque admet le précédent consistant à
qualifier une institution gouvernementale d’un pays
d’organisation terroriste, sans que ce qualificatif ait jamais
été appliqué à une quelconque agence gouvernementale étrangère
dans le monde entier, y compris à certaines officines israéliennes,
connues pour leur longue histoire de planification et de mise en
pratique du terrorisme, encourra le risque de se voir catégoriser
dans le système inquisitorial américain, dont les critères
n’ont rien à voir avec les standards de l’objectivité, et
tout à voir, en revanche, avec la formulation, par Washington,
des prétextes lui permettant de faire exactement ce qu’il veut.
Les arguments de Washington convainquent fort peu de gens, à
l’extérieur des Etats-Unis. Mais peut leur en chaut, dès lors
qu’ils disposent de la puissance leur permettant de faire que
leurs définitions soient les bonnes. Ils ont presque intervenu au
Darfour militairement, sur la base de leur qualification (ainsi
que celle du lobby sioniste) de la violence horrible qui se
produit là-bas entre des tribus pastorales et nomades – un
conflit que tous les gouvernements soudanais successifs ont
exploités de différentes manières à travers leurs alliances
versatiles – de « génocide arabe perpétré contre des
Africains » !
Les opposants à la politique des Etats-Unis
n’aboutiront à rien en essayant de convaincre ceux-ci des
erreurs que comportent leurs définitions. Leur seule chance de
succès réside dans leur capacité à les persuader qu’en
mettant leurs propre définitions (erronées) en œuvre dans un
lieu donné, ils mettront nécessairement leurs propres intérêts
en danger ailleurs. Mais c’est là quelque chose qui ne saurait
être accompli lors d’une conférence sur le terrorisme et les définitions
y afférentes. Mettre en garde contre la culmination d’une
politique de confrontation et ses guerres et mobilisations
psychologiques annexes, cela requiert une lutte soutenue. Cela
implique aussi un certain type de conscience. Il y a une différence
entre le fait de prendre position contre la guerre en Iran, tout
en critiquant en même temps la politique iranienne, et celui de
prendre une position contre la guerre en Iran, tout en blâmant
Ahmadinejad de susciter l’agression américaine. Cette deuxième
position n’est, en réalité, qu’une manière élégamment
tournée de soutenir la guerre américaine. Et cela s’harmonise
à la perfection avec la position américaine, qui, tout du moins
officiellement, n’est pas une guerre quel qu’en soit le prix,
mais bien plutôt : si l’Iran n’obtempère pas à
certaines conditions, alors l’Iran doit être tenu pour
responsable des conséquences de ce refus d’obtempérer.
Rares sont les pays à emprunter la voie de
la guerre sans énoncer des justifications plus ou moins
probantes. Même Israël ne le fait pas (c’est dire !) La
différence, dans le cas présent, c’est que certaines
personnes, dans cette partie du monde, entonnent en chœur les prétextes
américains pour partir en guerre contre l’Iran. J’imagine
qu’il s’agit là, pour partie, de l’écho du fait que la
position américaine trouve ses origines dans une argumentation
bizarre. Cette argumentation tient que l’Amérique est un pays dément
et que son président a tourné la boule, et que par conséquent
les autres gouvernements feraient bien de faire tout simplement ce
qu’il dit de faire, sinon leurs dirigeants seront tenus pour
responsables des catastrophes qui pourraient s’abattre sur leurs
pays. On attend, soudain, de tous ces gouvernements, dans le
monde, qui normalement sont accusés d’être irrationnels,
qu’ils soient plus rationnels que l’unique superpuissance
mondiale et que l’homme qui la dirige. Mais si la politique étrangère
américaine est réellement aussi irrationnelle que ça, cela doit
être assurément une raison suffisante pour s’y opposer, car le
seul service que peut rendre l’argument mentionné plus haut,
c’est de contribuer à encourager ce qui n’est qu’une forme
de chantage.
S’opposer à la guerre, je l’ai dit plus
haut, cela requiert une action soutenue. Le temps n’est plus aux
arguties futiles, mais à la constitution d’une coalition ou
d’un mouvement pro-paix et anti-guerre, qui a pris forme
ailleurs dans le monde, mais pas encore dans notre région du
monde [le Moyen-Orient].
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* L’intellectuel palestinien Azmi Bishara est un ancien membre du
parlement israélien, la Knesset]
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