WSWS
Le président français Sarkozy soutient la
ligne dure de Washington contre l'Iran
Antoine Lerougetel

Mardi 27 octobre 2009
Les appels belliqueux du
président français, Nicolas Sarkozy, à agir contre les
installations nucléaires iraniennes ont été accueillis avec
surprise et satisfaction par les médias américains. Le soutien
de Sarkozy à la ligne dure de Washington contre l’Iran fait
partie des efforts plus généraux déployés par l’impérialisme
français pour élargir sa sphère militaire et géopolitique
mondiale. Ceci inclut les interventions entreprises au
Kazakhstan et à Djibouti.
Le Washington Post
du 1er octobre a fait savoir
que : « La semaine dernière, à l’occasion
de l’assemblée générale de l’ONU à New York, [Sarkozy] a durci
son discours en disant que la main tendue avait été refusée dans
ce qui semblait être un défi à Obama, et se demandait s’il
valait la peine d’attendre un geste en retour. » Le Post
cite Sarkozy disant sèchement, « Entre-temps, les centrifugeuses
continuent de tourner. »
Dans un commentaire
intitulé « La pique atomique française », le Wall Street
Journal écrivait le 29 septembre, « Nous n’aurions jamais
cru qu’un jour le président de France ferait preuve de plus de
détermination que le commandant en chef des Etats-Unis en
réponse à l’un des plus sérieux défis sécuritaires au monde.
Mais c'est le cas. »
L’Allemagne et la France
sont respectivement le premier et le quatrième investisseur les
plus actifs en Iran. Sarkozy, en rupture avec la tradition
nationaliste gaulliste pour une certaine indépendance par
rapport aux Etats-Unis, est parvenu à la conclusion que les
intérêts du capitalisme français en Iran et de par le monde
seront infiniment mieux défendus au moyen d’une étroite
collaboration avec les Etats-Unis. Ceci signifie une implication
active dans les guerres néo-coloniales menées par les Etats-Unis
pour s’assurer le contrôle de l’exploitation des ressources de
la région. La décision prise l’année dernière par la France de
réintégrer le commandement de l’OTAN en révoquant la décision de
retrait de 1966 de Gaulle, s’inscrit pleinement dans le
processus de Sarkozy de s’écarter du gaullisme traditionnel.
La politique étrangère du
président français est motivée par l’intensification de la
concurrence géostratégique entre grandes puissances pour les
ressources énergétiques mondiales, tandis que l’Europe et les
Etats-Unis sont de plus en plus défiés par la Chine. La crise
économique mondiale accélère ce processus. La principale raison
de cette ruée sont les énormes dépôts de gaz, de pétrole et
autres ressources stratégiques d’Asie centrale et du bassin de
la Mer Caspienne.
En juillet 2008, un livre
blanc exposant les projets militaires de la France pour les
quinze prochaines années préconisait une « concentration sur un
axe géographique prioritaire, allant de l’Atlantique
jusqu’à la Méditerranée, au golfe Arabo-Persique
et à l’océan Indien. »
Le document poursuit, « Cet axe correspond aux zones où les
risques impliquant les intérêts stratégiques de la France et de
l’Europe sont les plus élevés. »
Sarkozy a justifié sa
position dure envers l’Iran en suggérant que si Israël voyait
trop peu de détermination de la part des Etats-Unis, il pourrait
agir tout seul et porter des frappes aériennes contre les
installations nucléaires iraniennes, une action qui aurait des
conséquences incommensurables. Pour le moment, la menace d’un
embargo, notamment sur le pétrole raffiné, est soulevé dans
l’espoir d’obliger le gouvernement du président Mahmoud
Ahmadinejad à abandonner le programme nucléaire.
La question de la
possibilité pour l'Iran de développer l'arme nucléaire est
exagérée afin de servir de prétexte à l'effort de l’impérialisme
américain de créer en Iran un régime disposé à laisser les
groupes américains exploiter ses réserves de pétrole et de gaz,
comme c’est présentement le cas dans l’Irak occupé.
La rhétorique anti-Iran
de Sarkozy fait partie de sa campagne islamophobe d’interdire le
port de la burqa. Ces deux éléments visent à influencer
l’opinion publique française et à organiser un soutien pour le
militarisme français grandissant. Un sondage publié au printemps
dernier a révélé que 68 pour cent de la population française
désapprouvaient l’envoi de troupes en Afghanistan et seulement
15 pour cent se sont dit en faveur.
Dans le même temps,
l’échec des Etats-Unis à créer un Irak stable, cela reste un
bourbier militaire où quelque 120.000 soldats américains sont
déployés, et les difficultés de plus en plus grandes à réprimer
la résistance afghane, ont affaibli le gouvernement Obama et la
crédibilité de l’impérialisme américain. La France, tout comme
les autres rivaux des Etats-Unis, a bien l'intention de tirer
parti de cette situation.
La visite de Sarkozy au
Kazakhstan
Le 6 octobre, Sarkozy
était en visite au Kazakhstan. Le Monde écrivait ce
jour-là, « L’intérêt du Kazakhstan pour la France est avant tout
géostratégique. Il veut en faire son allié privilégié en Asie
centrale, comme le Brésil en Amérique latine, l’Egypte en
Afrique, et l’Inde en Asie. En pleine guerre d’Afghanistan, la
France veut aussi sécuriser l’approvisionnement et le transit
des trois mille soldats français déployés dans ce pays. Elle a
signé à cet effet un accord. »
Les intérêts
géostratégiques auxquels Le Monde fait allusion
comprennent en grande partie la finance, la défense, le matériel
militaire et la sécurité des approvisionnements en énergie.
Sarkozy était accompagné de représentants d’entreprises
françaises. Les deux pays auraient signé 24 contrats d’un
montant total dépassant 6 milliards de dollars.
Comme Le Monde le
remarquait : « Paris veut aussi être en mesure de contourner la
Russie pour s’approvisionner en hydrocarbures. Total et GDF Suez
ont ainsi formalisé leur participation à l’exploitation du champ
gazier de Khvalinskoye, pour un milliard d’euros. »
Ils ont obtenu une
participation de 25 pour cent (1 milliard d’euros) sur un futur
champ gazier et pétrolier situé en mer
Caspienne qui devrait être développé conjointement par la firme
pétrolière russe Lukoil et la société d’Etat kazakh KazMunaiGas.
La production devrait entrer en service en 2016. Le champ est
censé produire jusqu’à trois mille milliards de mètres cubes de
gaz par an.
« Un consortium dirigé
par la firme française Spie-Capag a signé un protocole d’accord
s’élevant à 1,2 milliard
de dollars pour la construction d’un oléoduc (Yeskene-Kurik)
reliant le champ pétrolier kazakh de Kashagan au port d’Aktau
sur le littoral de la Mer Caspienne. »
Le Financial Times
écrivait le 6 octobre : « La région devrait jouer un rôle
important pour contrebalancer la domination de l’OPEC sur les
marchés pétroliers dans les deux décennies à venir. Kashagan,
l’un des plus gros champs pétroliers du monde, serait
opérationnel en 2012 pour produire finalement plus de 1,5
million de barils de
pétrole. »
Le groupe nucléaire
français Areva a signé un accord avec le Kazakhstan qui dispose
de vastes réserves d’uranium et qui transfère 10 pour cent de sa
production vers la France. D’autres accords commerciaux ont
également été signés, y compris des contrats ayant trait à
l’aéronautique, aux transports et au matériel militaire pour les
forces armées kazakhes.
Le Kazakhstan n’a pas de
frontière avec l’Afghanistan mais a une frontière commune avec
deux autres pays d’Asie centrale, le
Tadjikistan et l’Ouzbékistan,
qui eux sont voisins de l’Afghanistan. Tous ces pays sont
d’importants alliés dans la guerre des Etats-Unis et de l’OTAN
contre l’Afghanistan et fournissent aux Etats-Unis des passages
pour l’acheminement de matériel aux troupes qui y sont
stationnées.
« Nous avons besoin du
Kazakhstan pour résoudre la crise en Afghanistan et en Iran et
pour établir de nouvelles relations avec nos amis russes dans la
lutte contre les extrémismes, » a dit Sarkozy après la signature
d’un accord de transit avec le Kazakhstan.
Selon une dépêche du 6
octobre de l’Associated Press, « Ces accords fournissent
à l’OTAN une importante alternative au Pakistan où des convois
d’approvisionnement en route vers l’Afghanistan ont été attaqués
par des insurgés. »
La présence de la Chine
dans la région montre que ce pays dispose d’un potentiel pour
poursuivre ses propres intérêts aux dépens de ses rivaux
européens et américains. Le Financial Times du 1er
octobre signale que « Depuis ces dernières années, la Chine est
en train d'augmenter ses investissements en Asie centrale,
notamment au Kazakhstan avec lequel elle a une frontière en
commun. Le Kazakhstan s’efforce de répartir équitablement ses
intérêts géopolitiques entre les puissances rivales que sont la
Russie, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, mais la crise
économique la pousse davantage dans les bras de la Chine. »
Le journal ajoute, « En
avril, la Chine a prêté 10 milliards de dollars au Kazakhstan
pour assurer de futurs approvisionnements de pétrole et pour
payer l’acquisition par China National Petroleum Corp. (CNPC)
d’une part équitable de 50 pour cent de Mangistaumunaigas, un
producteur de pétrole kazakh indépendant. Le CNPC allonge
également un oléoduc du Kazakhstan à sa frontière nord-ouest et
construit un nouvel oléoduc pan-Asie centrale pour acheminer du
gaz à la Chine. »
Le Financial Times
cite un analyste géopolitique disant : « Compte tenu de
l’ampleur de l’investissement chinois dans ce pays, il
semblerait à présent impossible pour le Kazakhstan de prendre
une décision de politique étrangère allant à l’encontre de la
volonté de Beijing. »
La France prend en charge
la formation des troupes somaliennes à Djibouti
Le secrétaire d’Etat aux
Affaires européennes, Pierre Lellouche, a effectué du 9 au 11
octobre une visite de trois jours à Djibouti. Ce déplacement a
mis l’accent sur une plus forte présence militaire de la France
dans la région et la volonté de l’Union européenne de s’établir
comme une puissance militaire mondiale capable de concurrencer
les Etats-Unis. En tant qu’ancienne colonie française
stratégiquement située sur le golfe
d’Aden, emplacement de la plus importante base militaire
française d’outre-mer, Djibouti occupe l’extrémité méridionale
de la région du Moyen-Orient
riche en pétrole et en gaz.
La France est également
fortement impliquée dans l’«Opération Atalante », l’opération de
l’UE pour combattre les actes de piraterie au large des côtes
somaliennes. Un communiqué officiel publié par la Diplomatie
Française et concernant la visite de Lellouche à Djibouti
dit, « Ce déplacement, qui coïncide avec la visite à Djibouti
des ambassadeurs du comité politique et de sécurité (COPS) de
l’Union européenne, permettra également de mobiliser nos
partenaires sur la nécessité de prolonger l’«Opération
Atalante » par une contribution de l’Union européenne au
renforcement de la sécurité dans la région. Celle-ci passe en
premier lieu par la consolidation de l’Etat en Somalie. C’est
dans ce cadre que s’inscrit l’initiative française de formation
des forces de sécurité somaliennes, qui a déjà permis de former
150 soldats somaliens à Djibouti. Nous agissons aussi pour
renforcer l’action en mer à travers la formation et l’équipement
de garde-côtes de pays de la région. »
La France assure
présentement la formation d’un bataillon somalien de 500 hommes
dans le désert djiboutien pour remplir les fonctions de gardes
présidentiels et renforcer le fragile gouvernement somalien de
transition de Cheikh Charif Cheikh Ahmed qui est impliqué dans
une guerre civile avec les milices islamiques. Les Etats-Unis
fournissent des armes aux soldats par le biais de l’Amisom (la
mission de l’Union africaine en Somalie) et paient leur solde de
150 dollars US par mois. Le but de la France est de faire passer
le nombre de gardes à quelque 3.000 hommes.
Lors d’une conférence des
bailleurs de fonds en avril à Bruxelles, 144,8 millions d’euros
ont été promis pour stabiliser le pays, une grande partie étant
réservée pour aller aux forces de sécurité. Sarkozy a déclaré
lors d’une réunion des ambassadeurs le 26 août que « la France
ne laissera pas Al-Qaïda installer un sanctuaire à notre porte
en Afrique. »
Lellouche a invité les ambassadeurs de l’UE à
venir au Camp Mariam, la base française à Djibouti, et leur a
demandé de contribuer à la formation de personnels militaires et
d'interprètes. Il les a également invités à participer à
une force militaire indépendante d’envergure mondiale pour
l’impérialisme européen : « Pour la première fois, les Européens
peuvent prendre eux-mêmes la décision de s’engager dans une zone
lointaine qui concerne leurs intérêts. »
Le manque d’opposition partout en Europe de la
part d’organisations telles le Parti La Gauche en Allemagne et
le Nouveau parti anticapitaliste en France est souligné par un
commentaire du Monde selon lequel l’intervention de la
France en Somalie n’a « pas fait l’objet du moindre débat
public. »
Ceux qui proclamaient en
2003 avant l’invasion de l’Irak que la « vieille Europe », à
savoir la France et l’Allemagne, influencerait à la retenue le
militarisme américain, ont eu tort. En 2003, ils pensaient
pouvoir mieux servir leurs propres intérêts impérialistes en
s’opposant à la décision américaine de faire cavalier seul et en
réclamant le soutien officiel de l’ONU pour l’invasion. Mais,
comme le dit le proverbe, les impérialistes n’ont pas d’alliés
permanents, ils n’ont que des intérêts permanents.
(Article original paru le
20 octobre 2009)
Copyright 1998 - 2009 -
World Socialist Web Site- Tous droits réservés
Publié le 25 septembre 2009 avec l'aimable autorisation du WSWS
 |