Opinion
L'avenir de la
Libye sans Kadhafi
Andreï Fediachine
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Marco Longari
Vendredi 21 octobre
2011
Kadhafi avait promis de mourir pour
la Libye et son pétrole. Il semblerait
que cela se soit produit le 20 octobre,
soit six mois après le début le 19 mars
de la "pacification humanitaire" de la
Libye, c’est-à-dire l’opération de
l’OTAN dont l'objectif était de créer
une zone d’exclusion aérienne dans le
pays.
Les informations sur les derniers
instants de la vie de Mouammar Kadhafi
sont complètement contradictoires. Mais
à en croire les représentants du Conseil
national de transition libyen, le
colonel est mort des suites de ses
blessures près de Syrte (sa ville
natale), d’où il tentait de fuir après
la prise de la ville par les rebelles.
Il est à noter que l’ancien dirigeant de
la Libye et dictateur n’est pas du tout
mort dans un combat contre les rebelles,
mais suite à une "frappe chirurgicale"
de l’aviation de l’OTAN.
Il s’avère que l’Alliance a mis un point
là où elle n’avait pas le droit de le
faire: personne n’avait autorisé l’OTAN
à pourchasser Kadhafi et à bombarder les
environs de la ville de Syrte assiégée
par les rebelles de tous les côtés.
Les
problèmes de la Libye ne font que
commencer
Si toutes les guerres civiles ou les
malheurs d’un pays se terminaient avec
l’élimination de son tyran et dictateur,
la Libye pourrait déjà être considérée
comme totalement libre. D’ailleurs,
selon les normes africaines, la guerre a
été très courte. Les premières
manifestations ouvertes contre Kadhafi
ont commencé le 15 février 2011. Depuis
son arrivée au pouvoir, le 1er septembre
1969, Kadhafi a tenu 42 ans, 1 mois et
20 jours.
Il est incroyable de voir comment le
pouvoir absolu change un homme. Entre le
capitaine Mouammar Kadhafi, organisateur
du coup d’Etat de 1969, et le dirigeant
libyen Mouammar Kadhafi au moment de la
révolte en février 2011, la différence
est telle qu’on croirait difficilement
qu’il s’agit de la même personne.
Kadhafi version 2011 avait sa place dans
un cirque: un dictateur presque
vaudevillesque dans un uniforme
d’opérette couvert d’or et de
paillettes. C’est ce à quoi Michael
Jackson aurait pu ressembler s’il avait
vécu jusqu’à 69 ans.
Comme beaucoup de tyrans qui ont
commencé comme Robin des Bois et/ou
comme des libérateurs, Kadhafi a connu
tous les stades de la métamorphose, du
chef de la révolution courageux et
adoré, au pitre dégénéré, narcissique et
cruel.
Si la fin de la révolution marquait la
fin de tous les problèmes d'un pays, la
Libye pourrait déjà être considérée
comme ayant plongé dans le bonheur.
Malheureusement, les problèmes ne font
que commencer.
L’élimination de
Kadhafi ne marque pas le début de la
démocratie
Et il ne s’agit pas personnellement
de Kadhafi. Depuis longtemps plus
personne n’éprouvait de sympathie pour
lui. Mais ce qui s’est produit, ce qui
se produit et se produira en Libye
pourrait considérablement changer la
situation en Afrique du Nord et dans
toute la région arabe et
proche-orientale. Pas demain ou dans une
semaine. Dans un avenir cependant
relativement proche.
L’exportation de la démocratie par le
biais de l’OTAN n’est pas vraiment ce
que les arabes attendaient. Ou ce à quoi
ils étaient prêts. Sur un plan
géopolitique l’intervention de l’OTAN a
changé beaucoup de choses. Et plutôt en
mal.
Beaucoup de choses ont été dites sur la
résolution 1973 tristement célèbre du
Conseil de sécurité des Nations Unies.
La Russie a cédé aux instances des
Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la
France de la respecter, alors qu'il
était clair depuis le début que ce
document allait être interprété de
manière très large.
Ce n’est pas une grande perfidie en soi.
Les résolutions de l’ONU sont toujours
élaborées de manière si habile qu’il est
possible de les détourner. Les avocats
rusés peuvent les étirer dans n’importe
quel sens, et de manière si large que
l’élément clé devient imperceptible. La
résolution 1973 en est un parfait
exemple. Et une bonne leçon.
Le veto de la Chine et de la Russie
contre une résolution similaire sur la
Syrie (cette fois sans l’exclusion
aérienne) est la première réponse à de
tels mensonges. Les différends au sein
du Conseil de sécurité n’apporteront
rien de bon. Mais l’OTAN et l’Occident
ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes.
Le scénario afghan
se répète
Mais ce n’est pas le pire. Il
n’existe aucun pouvoir ou parti uni qui
pourrait pendre le pouvoir en Libye. Ce
n’est pas quelque chose d’incroyable
pour les pays qui viennent de vivre une
période aussi turbulente de leur
histoire.
Le danger se cache ailleurs. C’est le
paradoxe de la guerre libyenne auquel
peu de gens accordent de l’attention.
Depuis que l’Occident a de nouveau
changé d'attitude envers Kadhafi, qui
depuis 2003 s’était transformé en allié,
ni les Etats-Unis, ni le Royaume-Uni, ni
l’Italie, ni la France (dans une moindre
mesure) n’avaient jamais eu de meilleur
allié pour lutter contre Oussama Ben
Laden et Al-Qaïda que les services de
renseignement libyens. Tout le travail
de renseignement et la majeure partie
des informations passaient par la Libye
ou venait de Tripoli.
Il s’avère que l’OTAN a bombardé son
principal partenaire dans une guerre
invisible contre le mal absolu de notre
époque – le terrorisme international.
Seule une minorité perçoit également une
autre particularité de la guerre civile
en Libye. Ou plutôt de la guerre des
troupes rebelles rafistolées soutenus
par les forces de l’OTAN contre l’armée
de Kadhafi. En fait, la majeure partie
des forces rebelles, environ 80%, sans
parler de leur noyau, ce sont des
islamistes radicaux, des Frères
musulmans.
Le commandant militaire de Tripoli
Abdelhakim Belhaj en est un parfait
exemple. Il jouit d'une grande
notoriété, il prétend aux postes clés
dans le gouvernement et ne cache pas son
aversion pour le CNT actuel. Qui plus
est, pour les patrons de l’OTAN.
Abdelhakim Belhaj est le numéro un du
Groupe islamique combattant libyen
(GICL), classé comme organisation
terroriste par Washington. Il a été à
une époque retrouvé en Malaisie par le
MI6 britannique, remis à la CIA puis… au
colonel Kadhafi. Il a passé 7 ans en
prison, où il était torturé en
permanence. Il a été également interrogé
par les officiers de la CIA et du MI5,
et rien n’a été fait pour le libérer.
De la même manière les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne "étaient aux petits
soins" pour les talibans au début de
leur existence au Pakistan. On connaît
le résultat. Hélas, il y a beaucoup de
similitudes avec la Libye.
Les révolutions sont des substances
dangereuses et elles doivent être
stoppées. C’est indiscutable. Au
Moyen-Orient, elles sont d’autant plus
dangereuses: le pétrole, le gaz, le
canal de Suez, le conflit
israélo-palestinien, la guerre en Irak
et en Afghanistan… La révolution
libyenne sera peut-être le dernier
changement par la force d’un mauvais
régime. Mais le problème est de savoir
quel régime le remplacera.
La démocratie et la stabilité ont été
aux pôles opposés dans les pays du
Maghreb et du Moyen-Orient. Et encore si
on permettait à la démocratie de poindre
à l’horizon – c’est une chose rare pour
les pays du Maghreb, à l’exception de
l’Algérie démocratique.
Quant au pétrole, c’est un thème à part
de la discussion sur l’avenir de la
Libye…
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas
forcément avec la position de la
rédaction
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