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Ha'aretz
On
se prépare pour la prochaine incursion
Amira
Hass
Haaretz, 15
novembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/788187.html
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/788016.html
La
direction de l’hôpital de Beit Hanoun a décidé de creuser un
puits dans son enceinte. Samedi passé déjà, ouvriers et
bulldozers entamaient le chantier. C’est ainsi que l’hôpital
s’organise en prévision de la prochaine incursion de l’armée
israélienne.
Comme
tout Beit Hanoun, l’hôpital a souffert de graves ruptures dans
l’approvisionnement en eau, à cause de l’offensive militaire
qui a pris la ville et ses 43.000 habitants pour cible pendant une
semaine. Au cours de la troisième nuit d’incursion, l’armée
a évacué de chez eux environs 300 personnes vivant dans un
quartier où elle s’apprêtait à faire sauter un immeuble.
Toutes ces personnes se sont rendues à l’hôpital et se sont
ajoutées aux nombreux blessés qui s’y trouvaient déjà. Des
soldats ont aussi envoyé dans ce petit hôpital des femmes et
leurs enfants sortis dans la rue dans la matinée de vendredi. Des
centaines de personnes éreintées et apeurées par deux jours
sans sommeil, par les tirs incessants de l’armée israélienne
depuis les positions établies dans des maisons qu’elle
occupait, par le bruit des explosions, le grondement des dizaines
de chars et de véhicules blindés qui avançaient dans les rues
en labourant la chaussée, en renversant les poteaux électriques,
en faisant sauter les canalisations d’eau et d’égouts, et en
démolissant des clôtures et des murs.
En
temps normal, l’hôpital a besoin de 50.000 litres d’eau par
jour. Pendant toute la semaine qu’a duré l’incursion, seuls
15.000 litres sont parvenus à l’hôpital. Des enfants
pleuraient parce qu’ils avaient soif et leurs parents ne
savaient pas quoi faire pour les soulager. Même dans le quartier
de la famille Athamneh que des soldats de l’armée israélienne
ont bombardé d’une salve d’obus meurtriers, c’est avec
frayeur qu’on évoque la soif terrible.
D’autres
leçons encore ont été retenues. La morgue dispose d’un réfrigérateur
avec de la place pour trois corps. On a ajouté un réfrigérateur
avec de la place pour six corps. L’hôpital va également faire
l’acquisition d’une citerne à gas-oil qui sera enfoui sous
terre. La semaine passée, la partie occidentale de l’hôpital a
été touchée par des tirs ; c’est là un précédent qui
a enseigné que dorénavant, il fallait mettre les matières
inflammables hors d’atteinte des balles de l’armée israélienne.
L’hôpital a aussi demandé un budget pour des ambulances à
traction avant, parce que les ambulances normales ont beaucoup de
mal à se déplacer dans les rues dévastées par les chars.
L’hypothèse
qui est faite, c’est que l’armée israélienne continuera
d’envahir, de détruire, de porter atteinte aux infrastructures
– délibérément ou parce que c’est dans la nature des chars
– de saboter l’approvisionnement en eau et en électricité,
et de tirer sur des institutions civiles. L’armée ne changera
pas et personne ne la freinera. Il faut donc se préparer en conséquence.
Mais
comment se préparer à la coordination lourde, et prolongée dans
le temps – jusqu’à mettre la vie en danger –, liée à l’évacuation
de blessés et de malades ? Le docteur Jamil Suleiman,
directeur de l’hôpital, parle d’un homme d’une cinquantaine
d’années qui avait eu une crise cardiaque. L’équipe médicale
a attendu environ deux heures l’autorisation des autorités
militaires pour pouvoir se rendre auprès de lui. L’homme est
mort. Dans le cas d’une femme qui était sur le point
d’accoucher, la coordination a nécessité cinq heures et au
bout du compte, la femme a accouché dans l’ambulance. Le
transport en ambulance, de chez lui jusqu’à l’hôpital,
d’un homme blessé à la jambe a duré dix heures. A chaque coin
de rue, l’ambulance se heurtait à des chars qui la retardaient.
« Opération
de l’armée israélienne » : cette formule, stérile
et mensongère, en usage dans les médias israéliens, cache ici,
comme pour les autres offensives et incursions appelées « opérations »
de ces six dernières années, des milliers de détails de
tueries, de destructions, de terreur, enfantées par la machine de
guerre israélienne et par les commandants et les soldats qui la
mettent en branle.
C’est
ainsi qu’a disparu Bara Fiad, âgé de quatre ans. Des soldats
ont fait irruption, en faisant sauter un mur, à l’intérieur de
la maison de la famille Fiad, faite de terre, de mortier et
d’asbeste. Cette pauvre maison a été fortement endommagée,
ainsi que son contenu, par l’explosion. Dans tout Beit Hanoun,
les enfants paniqués ont commencé à rester collés à leurs
parents partout où ils allaient. Bara et ses frères étaient
agrippés à leurs parents, au petit matin, vendredi, quand
ceux-ci sont sortis se laver les mains pour la prière, dans un
bassin qui se trouve dans la cour. Un missile tiré depuis un hélicoptère
ou un avion sans pilote – les voisins ne savent pas – a frappé
la cour, y creusant un trou énorme. Bara a été tué.
Disparus,
eux aussi, Abou Bassem, 52 ans, et ses deux fils : tous trois
ont été blessés par un missile israélien qui a atterri sur
leur maison. Abou Bassem a de nouveau été blessé, à la jambe,
par la balle d’un tireur d’élite, alors que, résidant chez
des proches qui l’hébergeaient depuis sa première blessure, il
se rendait aux toilettes qui se trouvent dans le jardin. Quatre
civils au moins ont été blessés à deux reprises par les tirs
de soldats. Ils ont disparus de l’information du public israélien,
comme a disparu Mazen Kafarneh, un parmi les milliers d’hommes
qu’on a fait sortir de chez eux, arrêtés, rassemblés, brièvement
interrogés puis libérés. Mazen a été relâché au barrage
d’Erez et est rentré chez lui à pied. C’était l’heure du
couvre-feu et des soldats l’ont abattu. Ont de même disparu 25
maisons qui ont été complètement détruites, plus encore 400
autres qui ont été endommagées, au point, pour une partie
d’entre elles, qu’il ne reste pas d’autre choix que de les
raser. Au bilan, un dixième des 4.500 immeubles d’habitation de
la ville ont été endommagés. La ville de Beit Hanoun évalue
les dégâts à environ 14,5 millions de dollars, à ajouter aux
quelque 6 millions de dollars de dégâts entraînés par
l’offensive de juillet.
Le
manque de volonté de savoir du public israélien est renforcé et
complété par le « manque
de place » dans les médias et par la hiérarchie éditoriale
qui omet une information essentielle sur l’armée israélienne
et, en réalité, sur la société israélienne – une société
qui produit sans arrêt des moyens de destruction et qui envoie sa
jeunesse de vingt ans détruire des vies, des villes, un avenir.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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