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Analyse
La nouvelle stratégie
d’Israël : “saboter” et “attaquer” le mouvement mondial pour la
justice
Ali Abunimah
Mercredi 17 février 2010
Une extraordinaire série d’articles, rapports et présentations
de l’influent Institut Reut d’Israël a identifié le mouvement
mondial pour la justice, l’égalité et la paix comme constituant
une « menace existentielle » pour Israël et a appelé le
gouvernement israélien à affecter des ressources substantielles
pour « attaquer » et peut-être s’engager dans un « sabotage »
criminel de ce mouvement dans ce que Reut estime être les divers
« foyers actifs » internationaux à Londres, Madrid, Toronto, la
région de la Baie de San Francisco et au-delà.
Les analystes de l’Institut Reut considèrent que la doctrine
stratégique traditionnelle d’Israël – qui voit les menaces à
l’existence de l’Etat en termes essentiellement militaires qui
doivent être contrées par une réponse militaire – est très
obsolète. C’est à une menace combinée venant d’un « Réseau de
Résistance » et d’un « Réseau de Délégitimation »
qu’Israël est confronté aujourd’hui.
Le Réseau de Résistance est constitué de groupes
politiques et armés comme le Hamas et le Hezbollah qui «
invoquent des moyens militaires pour saboter tout geste visant à
influer sur la séparation entre Israël et les Palestiniens ou à
assurer une solution à deux Etats » (The
Delegitimization Challenge: Creating a Political Firewall,
Reut Institute, 14 février 2010).
De plus, le Réseau de Résistance aurait pour but de provoquer
une « implosion » politique d’Israël – à la manière
sud-africaine, est-allemande ou soviétique – plutôt qu’une
défaite militaire par la confrontation directe sur le champ de
bataille.
Le Réseau de Délégitimation - dont le président de
l’Institut Reut et ancien conseiller du gouvernement israélien
Gidi Grinstein affirme de façon provocante qu’il a une “alliance
contre nature” avec le Réseau de Résistance – est constitué
d’un mouvement large, décentralisé et informel d’activistes pour
la paix et la justice, pour les droits de l’homme et du
mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) dans le
monde entier. Il se manifeste par des protestations contre les
visites des officiels israéliens dans les universités,
l’organisation de Semaines contre l’Apartheid israélien,
d’activisme confessionnel et syndical, et « juridique » -
utiliser les ressources du mécanisme juridique européen de
compétence universelle pour cibler les présumés criminels de
guerre israéliens. L’Institut Reut a même cité mon discours à la
conférence organisée sur le mouvement BDS par les étudiants de
la faculté Hampshire en novembre dernier comme guide de la façon
dont la stratégie de « délégitimation » fonctionnerait ("Eroding
Israel's Legitimacy in the International Arena," Reut
Institute, 28 janvier 2010).
L’ « attaque » combinée des « résistants » et des
« délégitimeurs », dit Reut, « a une signification
stratégique et peut se transformer en une menace existentielle
globale d’ici quelques années. » Il avertit en outre qu’un «
signe avant-coureur d’une telle menace serait l’effondrement
de la solution à deux Etats en tant que cadre convenu de
résolution du conflit israélo-palestinien, et la coalition
derrière une « solution à un Etat » comme nouveau cadre
alternatif. »
A un niveau élémentaire, l’analyse de Reut représente une
avancée sur les couches les plus primitives et jusqu’ici
dominantes de la pensée stratégique israélienne ; elle reflète
une compréhension, comme je l’ai dit dans mon discours à
Hampshire, que “le sionisme ne peut pas simplement bombarder,
kidnapper, assassiner, expulser, démolir, coloniser, mentir et
gagner sa légitimité et son acceptation. »
Mais, ce qui sous-tend l’analyse de l’Institut Reut, c’est
l’incapacité totale à démêler cause et effet. Elle semble
supposer que l’érosion dramatique de la position internationale
d’Israël depuis ses guerres contre le Liban en 2006 et contre
Gaza en 2009 est le résultat des prouesses du « réseau de
délégitimation » auquel il impute ses propres objectifs
globalement abjects, retors et morbides – en fait la «
destruction d’Israël. »
Elle accuse les « délégitimeurs » et les « résistants » de saper
la solution à deux Etats mais ignore la colonisation israélienne
acharnée en cours – soutenue par pratiquement tous les organes
de l’Etat – calculée et destinée à rendre impossible le retrait
israélien de Cisjordanie.
Elle ne considère jamais un seul instant que la critique
grandissante des actions d’Israël puisse être justifiée, ni que
les rangs de plus en plus fournis de gens prêts à donner de leur
temps et de leurs efforts pour s’opposer aux actions d’Israël
puissent être motivés par une indignation sincère et le désir de
voir la justice, l’égalité et la fin des effusions de sang. En
d’autres termes, Israël se délégitime lui-même.
Reut ne recommande pas au gouvernement israélien – qui a
organisé récemment une session spéciale pour entendre une
présentation des conclusions du groupe de réflexion – qu’Israël
devrait effectivement changer de comportement envers les
Palestiniens et les Libanais. Il ne comprend pas que l’Afrique
du Sud de l’Apartheid a jadis été confrontée à un « réseau de
délégitimation » mondial mais qu’il a maintenant complètement
disparu. L’Afrique du Sud, cependant, existe toujours. Une fois
que la cause motivant le mouvement a disparu – l’injustice de
l’apartheid officiel – les gens ont remballé leurs pancartes et
leurs campagnes BDS et sont rentrés chez eux.
Au lieu de cela, Reut recommande au gouvernement israélien une
contre-offensive agressive et peut-être criminelle. Une
présentation sous powerpoint qu’a faite Grinstein lors de la
récente conférence sur la sécurité nationale israélienne à
Herziliya (à laquelle a participé le premier ministre
palestinien Salam Fayyad, ndt) appelle en réalité « les services
du renseignement d’Israël à se concentrer » sur les « foyers
actifs » nommés ou non du « réseau de délégitimation » et de
s’engager dans « des attaques contre les catalyseurs » de ce
réseau. Dans son document "The Delegitimization Challenge:
Creating a Political Firewall", Reut recommande qu’«
Israël doit saboter les catalyseurs du réseau. »
L’utilisation du mot « sabotage » est particulièrement
frappante et devrait attirer l’attention des gouvernements, des
services juridiques et des directeurs d’université concernés par
la sécurité et le bien-être de leurs étudiants et citoyens. La
seule définition du mot « sabotage » dans le droit états-unien
estime qu’il s’agit d’un acte de guerre au même titre que la
trahison, lorsqu’il est perpétré contre les Etats-Unis. De plus,
dans le langage commun, le American Heritage Dictionary
définit le sabotage comme « un acte de trahison pour faire
échouer ou entraver une cause ou une entreprise ; subversion
délibérée. » Il est difficile de penser à un usage légitime
de ce terme dans un contexte politique ou de plaidoyer.
A tout le moins, Reut semble demander aux services d’espionnage
d’Israël d’entreprendre des actions clandestines pour interférer
dans l’exercice de la libre expression, des droits d’association
et de défense aux Etats-Unis, au Canada et dans les pays de
l’Union Européenne, et peut-être de nuire à des individus et à
des organisations. Ces mises en garde d’une intention éventuelle
d’Israël – en particulier à la lumière de sa longue histoire
d’activités criminelles sur le sol étranger – ne devraient pas
être prises à la légère.
L’Institut Reut, sis à Tel Aviv, lève un montant important de
fonds exempté d’impôts aux Etats-Unis par sa filiale appelée «
Les Amis américains de l’Institut Reut » (American Friends of
the Reut Institute - AFRI). Selon ses communications
publiques, l’AFRI a envoyé près de 2 millions de dollars à
l’Institut Reut en 2006 et 2007.
En plus de sa campagne de « sabotage » international
financée par l’Etat, Reut recommande également une politique «
douce », qui implique en particulier une meilleure «
hasbara », ou propagande d’Etat, pour éco-blanchir Israël en
tant que havre de la haute technologie pour les technologies
environnementales et les produits culturels de haut niveau –
qu’il appelle la « marque Israël ».
D’autres éléments comprennent « le maintien de milliers de
relations personnelles avec les élites et les personnes
influentes dans les domaines politique, culturel, médiatique et
sécuritaire » à travers le monde, et « attacher les
communautés juives et israéliennes en diaspora » encore plus
étroitement à sa cause. Il souligne même qu’Israël devrait
utiliser « l’aide internationale » pour renforcer son
image (son incursion de pure forme à Haïti dévastée par le
tremblement de terre fut un exemple de cette tactique).
Ce qui lie toutes ces stratégies, c’est que leur but est de
tromper, de retarder et de distraire l’attention de la question
fondamentale : qu’Israël – en dépit de ses affirmations d’Etat
libéral et démocratique – est une ethnocratie ultranationaliste
qui repose sur la suppression violente des droits les plus
fondamentaux de millions de Palestiniens, qui seront bientôt une
majorité démographique, pour maintenir le statu quo. Il n’y a
rien de nouveau dans la nouvelle stratégie de Reut.
Reut n’est apparemment même pas conscient de l’ironie qui
consiste à essayer de réformer la “Marque Israël” en quelque
chose de mignon, en même temps qu’il recommande officiellement
que les célèbres espions d’Israël « sabotent » les groupes
pacifistes sur le sol étranger.
Mais nous devons en tirer deux leçons : l’analyse de Reut
confirme l’efficacité de la stratégie BDS, et parce que les
élites israéliennes craignent de plus en plus pour les
perspectives à long terme du projet sioniste, elles risquent
d’être plus impitoyables, plus dénuées de tout scrupules et plus
désespérées que jamais.
Source :
Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM
Sommaire Ali Abunimah
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Publié le 18 février 2010 avec l'aimable autorisation d'ISM
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