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Info Palestine
Guerre américaine par procuration à Gaza
Ali Abunimah*
The Electronic Intifada, le 3 février
2007
Ces derniers jours, les brutalités incessantes et
meurtrières de l’occupation israélienne ont été éclipsées
par le carnage de Gaza où des dizaines de Palestiniens ont été
tués dans ce qu’on appelle communément
« combats entre factions » opposant les forces
loyales au président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud
Abbas, et à sa faction du Fatah, d’un côté, et les forces
loyales au gouvernement dirigé par le Hamas, de l’autre.
Les ondes radio ont été saturées d’appels
angoissés venus de tous les secteurs de la société
palestinienne - partis politiques, organisations non
gouvernementales, chefs religieux chrétiens et musulmans - pour
que cessent les combats et qu’on revienne au dialogue.
Peut-être par peur d’exacerber une situation déjà
cruelle, peu de ces voix s’en sont prises directement au moteur
de cette violence.
Dans les esprits enfiévrés des idéologues de
l’administration Bush, la Palestine est devenue un nouveau front
dans ce qu’ils conçoivent comme une nouvelle Guerre Froide
contre l’ « islamo-fascisme ».
Ils tiennent l’Iran pour la cible principale et des batailles
sont menées par procuration contre un ennemi imaginaire, depuis
l’Afghanistan et le Pakistan, en passant par l’Irak, jusqu’à
la Palestine, le Liban, la Somalie et au-delà, partout où l’on
peut trouver des Arabes et des musulmans. Dans chaque cas, des
conflits locaux, avec leur histoire spécifique, sont exacerbés
et rangés dans cette grande perspective narrative.
Mahmoud Abbas et le seigneur de la guerre Mohamed
Dahlan à Gaza sont devenus les complaisants fondés de pouvoir au
niveau de la concession palestinienne de ce vaste projet, ainsi
qu’en attestent leur tactique et leurs déclarations d’allégeance.
Le dernier cycle de combats a débuté vendredi
1er février, lorsque les forces du Ministère palestinien de l’Intérieur,
que dirige le gouvernement Hamas, ont tenté d’interdire
l’entrée à Gaza d’un convoi de camions en provenance
d’Israël. De hauts fonctionnaires ont prétendu que les camions
transportaient des armes destinées à la Garde présidentielle,
la milice fidèle à Abbas.
Des personnalités du Fatah, s’exprimant sur les
ondes du service en arabe de la BBC, ont opposé un démenti véhément
à ces allégations, faisant des déclarations contradictoires
quant au chargement des camions, l’un disant qu’ils
transportaient « de la nourriture et des médicaments
pour le peuple palestinien », un autre « des
tentes et de l’équipement », un troisième encore « des
générateurs électriques et des pièces de rechange ».
Il n’y avait pas deux démentis concordants.
Pourtant, le fait que la Garde présidentielle reçoive
des armes via Israël est connu de tous les Palestiniens de Gaza
et de Cisjordanie et il en a été ouvertement question, durant
des mois, dans les médias israéliens. Depuis octobre, huit
cargaisons de fusils AK-47, de mitrailleuses et de plusieurs
millions de cartouches sont entrées à Gaza, venant d’Israël,
par les passages de Nahal Oz et Kerem Shalom, aux dires d’un
officier de haut rang de la Force 17, une milice du Fatah, qui a
communiqué cette information au journaliste Khaled Amayreh, en
poste à Hébron. Toutes ces armes ne vont pas exclusivement à la
Garde présidentielle ; beaucoup sont vendues au plus
offrant.
Et il y a quelques jours à peine, le Président
Bush a annoncé que dans un avenir proche, il transférerait 86
millions de dollars afin de renforcer Abbas.
Dans le but de changer de sujet, et de passer de
ce scandale d’une « présidence »
palestinienne recevant des armes US, via Israël, pour les
employer contre le peuple palestinien, la Garde présidentielle a
lancé une contre-attaque contre l’Université Islamique de
Gaza, bombardant, brûlant et démolissant des parties de
celle-ci. Des fonctionnaires d’Abbas ont déclaré que leurs
forces avaient arrêté sept experts en armes iraniens travaillant
pour le Hamas, et ils ont taxé les dirigeants du Hamas d’ « extrémistes »
et de « putschistes ». Le Fatah et
une radio locale appuyée par le Fatah ont même accusé le Hamas
d’avoir lui-même incendié l’Université Islamique afin de
noircir la « glorieuse image » du
Fatah. Les allégations à propos des Iraniens n’ont été
prises au sérieux par personne, mais elles ont révélé à quel
point les fonctionnaires d’Abbas ont adopté la perspective israélienne
et américaine
Au cours de diverses manifestations, les
loyalistes de Dahlan ont crié « Shiites,
Shiites » aux sympathisants du Hamas. C’était peut-être
censé attirer l’attention sur l’appui iranien au Hamas
(mouvement qui, comme le reste de la communauté palestinienne
musulmane, est sunnite) mais cette détestable provocation
sectaire, inconnue jusqu’ici dans la société palestinienne,
sert (pour le moment) l’agenda stratégique plus large des
sponsors d’Abbas et Dahlan.
Après la défaite israélienne face au Hezbollah,
l’été dernier, le mouvement shiite libanais, appuyé par l’Iran,
a gagné un énorme prestige parmi les peuples de la région, en
particulier chez les Palestiniens, en tant que mouvement arabe
nationaliste et pan-islamique, tenant tête à l’agression israélienne,
en contraste avec des gouvernements sans mordant, impopulaires et
corrompus. D’où la promotion active de la peur sunnite à l’égard
du frère shiite, destinée à limiter l’influence de l’Iran -
et à resservir une bonne vieille dose de « diviser pour régner ».
(Dans cette perspective, le carnage en Irak et l’outrage de la
brutale pendaison d’un Saddam identifié aux sunnites, par une
milice identifiée aux chiites, étaient un véritable bonus.)
Abbas fait enfin ce qu’Arafat a toujours été
poussé à faire, tandis qu’Israël et les USA observent
joyeusement. Comme l’expliquait Haaretz, Israël n’a éprouvé
aucun besoin de lancer une opération de représailles de grande
envergure contre Gaza, suite à l’attentat d’Eilat du 29
janvier : « Lorsque Fatah et Hamas réussissent
si bien à s’entretuer, pourquoi Israël interviendrait-il et
les inciterait-il à resserrer les rangs contre l’ennemi commun ? »
Tandis que les combats faisaient rage à Gaza, le
porte-parole de la politique américaine, ce qu’on appelle le
Quartet (constitué de représentants des Etats-Unis, de l’Union
Européenne, des Nations Unies et de la Russie), s’est réuni
pour discuter du « processus de paix »
depuis longtemps défunt. Cet organe a exprimé sa « profonde
préoccupation au sujet de la violence parmi les Palestiniens »
et a appelé au « respect de la loi et de
l’ordre ». Répétant l’approche américaine de la
guerre du Liban de l’été dernier, le Quartet n’a
ostensiblement pas appelé à un cessez-le-feu.
Il a néanmoins appelé à « l’unité
palestinienne derrière un gouvernement engagé dans la
non-violence, dans la reconnaissance d’Israël et
l’acceptation des obligations de la Feuille de Route »,
tout en demeurant totalement silencieux sur le nettoyage ethnique
lent et continu des Palestiniens par Israël, en particulier
l’annonce faite la semaine dernière par le Premier Ministre
israélien, Ehoud Olmert, qu’Israël étendait le mur de séparation
illégal en Cisjordanie, plus à l’Est afin d’annexer
plusieurs grandes colonies réservées aux juifs. Cette mesure
ajoutera vingt mille Palestiniens aux centaines de milliers
d’autres qui sont déjà isolés dans ces ghettos emmurés que
l’ancien président américain Carter a comparés à l’ « apartheid ».
Le Quartet a même fait bon accueil à
l’armement de la Garde présidentielle par les USA, encore que
le double langage diplomatique ait trouvé l’euphémisme
convenable pour en parler comme des « efforts
d’amélioration du secteur palestinien de la sécurité, visant
donc à aider à faire avancer la loi et l’ordre pour le peuple
palestinien ».
Si peu encourageantes que soient les choses, des
fissures commencent à apparaître. Bien que la propagande états-unienne
assure qu’armer la milice d’Abbas est en partie une réponse
à l’influence iranienne croissante, le Comité du Développement
International du Parlement britannique a conclu, la semaine dernière,
que c’étaient les sanctions occidentales et les mesures
d’isolement qui avaient conduit le Hamas à rechercher le
soutien iranien. Le Comité a condamné le refus du gouvernement
du Royaume Uni de discuter avec le Hamas, le pressant de le faire
comme il l’a fait avec l’IRA, et le pressant d’envisager des
sanctions de l’Union Européenne à l’égard d’Israël,
comme la suspension de l’Accord d’Association qui octroie à
l’Etat juif des privilèges commerciaux.
La propagande israélienne et américaine, adoptée
maintenant aussi par l’Union Européenne, tente d’obscurcir
cette compréhension fondamentale que la Palestine est un combat
pour la libération d’un peuple colonisé. La politique qui
consiste à aider un groupe de collaborateurs à lutter par
procuration, au nom de l’empire, du colonisateur et de
l’occupant, ne fera qu’aggraver l’effusion de sang. Mais, au
bout du compte, elle échouera en Palestine comme elle a échoué
en Irlande du Nord, en Afrique du Sud et Centrale et en Amérique
du Sud, et comme elle est en train d’échouer en Irak
* Ali Abunimah est
co-fondateur de ‘The Electonic Intifada’ et l’auteur de
« One Country - A Bold Proposal to End the
Israeli-Palestinian Impasse » (Metropolitan Books, 2006)
Ali Abunimah, The Electronic Intifada - The
American proxy war in Gaza, le 3 février 2007
Traduit de l’anglais par Michel Ghys
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