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The Electronic Intifada
La
démocratie: une menace existentielle ?
Ali Abunimah et Omar Barghouti
Ali Abunimah et Omar Barghouti
The Electronic Intifada, 30 décembre
2007
http://electronicintifada.net/v2/article9187.shtml
En participant
tous les deux récemment à la rédaction d’un document
plaidant en faveur d’une solution à un seul Etat au conflit
colonial arabo-israélien, nous cherchions clairement à provoquer
un débat. De manière prévisible, des sionistes ont décrié
cette proclamation comme une nouvelle preuve de l’attachement inébranlable
d’intellectuels palestiniens – et de quelques Israéliens
radicaux – à la « destruction d’Israël ».
Quelques militants pro-palestiniens nous ont accusés d’avoir,
dans notre quête d’un rêve « utopique », délaissé
des droits palestiniens urgents et cruciaux.
S’inspirant
partiellement de la Charte Sud-africaine de la Liberté ([i])
et de l’Accord de Belfast ([ii]),
la bien plus modeste Déclaration à Un Etat, rédigée par un
groupe d’universitaires et de militants palestiniens, israéliens
et internationaux, professe que « la terre historique de
Palestine appartient à ceux qui y vivent et à ceux qui en furent
expulsés depuis 1948, sans considération de religion,
d’ethnie, d’origine nationale ni de citoyenneté actuelle ».
Elle envisage un système de gouvernement fondé sur « le
principe d’égalité en matière de droits civils, politiques,
sociaux et culturels, pour tous les citoyens ».
C’est précisément
cette insistance fondamentale sur l’égalité qui est perçue
par les sionistes comme une menace existentielle pour Israël,
parce que minant ses fondements intrinsèquement discriminatoires
qui privilégient ses citoyens juifs par rapport à tous les
autres. Le Premier ministre israélien Ehoud Olmert a montré une
franchise rafraîchissante lorsque, tout récemment, il a admis
qu’Israël serait « fini » s’il devait faire face,
de la part des Palestiniens, à une lutte en faveur de droits égaux.
([iii])
Mais alors que la
transformation d’un régime au racisme institutionnalisé, ou
d’apartheid, en une démocratie était tenue pour un triomphe
des droits de l’homme et du droit international en Afrique du
Sud et en Irlande du Nord, elle est rejetée séance tenante, dans
le cas israélien, comme une brèche qui serait faite dans le
droit sacré à la suprématie ethno-religieuse (appelée, par
euphémisme, le droit d’Israël « à être un Etat juif »).
Les Palestiniens
sont pressés par un interminable défilé d’envoyés
occidentaux et de bonimenteurs politiques – le dernier en date
étant Tony Blair – à se contenter de ce que le Congrès
National Africain avait, à juste titre, rejeté quand il se l’était
vu offrir par le régime d’apartheid d’Afrique du Sud :
un bantoustan constitué d’un patchwork de ghettos isolés, loin
en deçà des exigences minimum de justice.
Des partisans
sincères de la fin de l’occupation israélienne ont également
sévèrement critiqué le plaidoyer en faveur d’un seul Etat,
pour des motifs à la fois moraux et pragmatiques. Une proposition
morale, soutenaient certains, devrait se focaliser sur l’effet
probable qu’elle aurait sur les gens, en particulier ceux qui
sont sous occupation, privés de leurs besoins les plus élémentaires,
comme l’alimentation, un abri et des services de base. La tâche
la plus urgente, concluaient-ils, est de demander la fin de
l’occupation, et non pas de faire la promotion des illusions
d’un Etat unique. Outre sa prémisse passablement paternaliste,
par quoi ses partisans sauraient mieux que nous ce dont les
Palestiniens ont besoin, cet argument est tout à fait problématique
en ce qu’il suppose que, contrairement aux autres humains
partout ailleurs, les Palestiniens sont tout disposés à renoncer
à leurs droits sur le long terme à la liberté, à l’égalité
et à l’autodétermination en échange de quelque allègement
passager de leurs souffrances les plus immédiates.
Le refus des
Palestiniens de Gaza – même en présence d’un blocus criminel
visant à les affamer et qui leur est imposé avec l’appui des
Etats-Unis et de l’Union Européenne – de se soumettre à
l’exigence israélienne qu’ils reconnaissent son « droit »
à établir une discrimination à leur encontre, n’est jamais
que la dernière démonstration en date de la fausseté de pareils
présupposés.
Un argument déjà
plus convaincant, exprimé tout récemment par Nadia Hijab et
Victoria Brittain, veut que, dans les circonstances actuelles de
l’oppression, alors qu’Israël bombarde et tue sans
discrimination, emprisonne des milliers de personnes dans de dures
conditions, construit des murs pour séparer les Palestiniens les
uns des autres et les séparer de leurs terres et de leurs
ressources en eau, vole sans trêve la terre palestinienne et étend
ses colonies, assiège des millions de Palestiniens sans défense
dans des enclaves isolées et disparates, et détruit
progressivement la structure même de la société palestinienne,
appeler à un Etat laïc et démocratique revienne à laisser Israël
« se tirer d’affaire ». ([iv])
Elles s’inquiètent
à l’idée d’affaiblir un mouvement de solidarité
international qui est « très largement derrière une
solution à deux Etats ». Mais même en ne tenant pas compte
du fait que l’ « Etat » palestinien proposé
actuellement n’est rien de plus qu’un bantoustan morcelé et réduit
à la misère sous la domination permanente d’Israël, le vrai
problème avec cet argument tient à ce qu’il présume que des décennies
de soutien apporté à une solution à deux Etats ont fait quelque
chose de concret pour arrêter ou même adoucir de telles
atteintes aux droits de l’homme.
Depuis la
signature des accords palestino-israéliens d’Oslo en 1993, la
colonisation de la Cisjordanie ainsi que toutes les autres
violations israéliennes du droit international n’ont pas cessé
de s’intensifier, et dans la plus totale impunité. Nous voyons
cela de nouveau, après la récente rencontre d’Annapolis :
tandis qu’Israël et des fonctionnaires d’une Autorité
Palestinienne non représentative et impuissante examinent les
motions de « pourparlers de paix », les colonies d’Israël
et le mur de l’apartheid continuent de croître en toute illégalité,
et l’affreuse punition collective qu’Israël inflige à 1,5
million de Palestiniens à Gaza s’intensifie sans que la
« communauté internationale » ne lève le petit
doigt.
Ce « processus
de paix » – ni paix, ni justice – est devenu une fin en
soi, parce que tant qu’il se poursuit, Israël n’est confronté
à aucune pression visant à lui faire réellement changer de
comportement. La fiction politique selon laquelle une solution à
deux Etats est toujours là, juste derrière le coin, mais jamais
accessible, est essentielle à la perpétuation de la fable et au
maintien, indéfiniment, du statu quo de l’hégémonie coloniale
israélienne.
Pour éviter les
pièges d’une plus grande division dans le mouvement des droits
palestiniens, nous sommes d’accord avec Hijab et Brittain pour
inciter les militants, sur tout l’éventail politique, quelle
que soit leur opinion sur la question d’un ou deux Etats, à
s’unir derrière l’appel lancé en 2005 par la société
civile palestinienne au Boycott, au Désinvestissement et aux
Sanctions – ou BDS – comme la stratégie de résistance civile
la plus solide politiquement et moralement, qui puisse inspirer et
mobiliser l’opinion publique mondiale dans la poursuite des
droits palestiniens.
L’approche fondée
sur les droits qui est au cœur de cet appel largement approuvé
se concentre sur la nécessité de réparer les trois injustices
fondamentales qui, ensemble, définissent la question de la
Palestine : le déni des droits des réfugiés palestiniens,
à commencer par leur droit à retourner dans leurs maisons, comme
le stipule le droit international ; l’occupation et la
colonisation du territoire de 1967, y compris Jérusalem-Est ;
et le système de discrimination à l’encontre des citoyens
palestiniens d’Israël.
Soixante ans
d’oppression et quarante ans d’occupation militaire ont appris
aux Palestiniens que, quelque solution politique que nous
appuyions, ce n’est que par une résistance populaire couplée
à une pression internationale soutenue et efficace que nous avons
une chance quelconque de parvenir à une paix juste.
De concert avec
ce combat, il est absolument nécessaire de commencer à envisager
des perspectives d’avenir de l’après-conflit et à en débattre.
Ce n’est pas un hasard si des citoyens palestiniens d’Israël,
des réfugiés palestiniens et des Palestiniens de la Diaspora,
ces groupes longtemps privés du droit de vote par le « processus
de paix » et dont les droits élémentaires sont violés par
la solution à deux Etats, ont joué un rôle clé dans la mise en
avant de nouvelles idées pour sortir de l’impasse.
Plutôt que de
voir l’émergence d’une vision démocratique et égalitaire
comme une menace, une rupture ou un détour stérile, il est grand
temps de la considérer pour ce qu’elle est :
l’alternative la plus prometteuse à un déjà défunt dogme à
deux Etats.
* Ali
Abunimah est cofondateur de The Electronic Intifada et l’auteur
de "One Country : A Bold Proposal to End the
Israeli-Palestinian Impasse". Omar Barghouti est un analyste
indépendant et un membre fondateur de la "Palestinian
Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel"
[Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel
d’Israël]. Cet article avait été publié à l’origine dans
le Guardian
– Comment is free.
(Traduction de l’anglais : Michel Ghys)
[iv]
Nadia Hijab et Victoria Brittain, “Struggle
for equality”, The Guardian (Comment is free), 17 décembre
2007.
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