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Opinion
Mistral gagnant
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 24 novembre 2010
"Un autre regard sur la Russie" par Alexandre Latsa
Lorsque la Russie a rendu public son souhait d’acquisition de
Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Mistral, la
France a répondu par l’affirmative. Rapidement pourtant, des
voix se sont élevées, exprimant des réticences à cette
transaction. Ces réticences émanaient d’Etats impliqués dans des
contentieux plus ou moins importants avec la Russie (Géorgie,
Etats Baltes) et qui craignaient un risque de déséquilibre de la
sécurité régionale, crainte accrue par le conflit d’août 2008
dans le Caucase.
Pourtant il semble irréaliste d’imaginer que la Russie de
2010 ait des intentions agressives envers un pays européen et
ces réticences ont été interprétées comme une possible
crispation de Washington, embarrassé par une acquisition de
matériel aussi sensible. Mais le cadre est sans doute plus large
et concerne l’évolution des rapports de force sur les mers, et
l’affaiblissement de la domination militaire et maritime
américaine, acquise durant la guerre froide. Pour mieux cerner
la situation, il convient de comprendre l’utilité des Mistral et
regarder dans quel contexte global la Russie souhaite cette
acquisition.
Les BPC sont des outils de projection, permettant de réaliser
depuis la mer des opérations terrestres. Multi-fonctionnels, ils
peuvent servir au débarquement de troupes, à la lutte contre la
piraterie maritime ou encore à des actions humanitaires. Le
Mistral, qui appartient à cette classe BPC, peut transporter
jusqu’à 1200 hommes, 16 hélicoptères, jusqu’à 120 véhicules
(dont des blindés), deux aéroglisseurs et des navettes de
débarquement.
Le navire comprend en outre des canons, des batteries de
missiles, des installations médicales, et un centre de
commandement. La forte capacité de projection et de déplacement
sur des théâtres d’opérations lointains que permet ce BPC est
essentielle pour la Russie qui ne possède plus à ce jour de
matériel équivalent, depuis le retrait des navires de type Rogov,
au début de la décennie.
Durant la guerre froide, l’URSS ainsi que les régimes non
alignés rechignaient à l’acquisition de porte-avions et
porte-aéronefs, guidés par un non interventionnisme et un
anti-impérialisme dogmatique, lorsque ce n’était pas pour des
contraintes matérielles. Dès la fin de la guerre froide, le
monde a connu une décennie de domination militaire américaine
totale, acquise justement par cette capacité de déplacement et
projection de forces militaires à l’autre bout de la planète. 20
ans plus tard, l’émergence de puissances régionales contribue à
entraîner la planète vers un multilatéralisme qui fait que
désormais de nombreux pays ont des ambitions de présence
sur les océans du globe.
Hormis les traditionnelles flottes Occidentales, la Russie,
la Chine, le Brésil, la Corée du sud, la Turquie ou le Japon
souhaitent se doter de porte-avions ou porte-hélicoptères, ce
qui devrait permettre à tous ces Etats une réelle capacité
d’intervention à l’autre bout du monde au milieu du siècle. La
Russie via l’amiral Vladimir Vysotsky avait montré son
intérêt pour les BPC français lors du salon Euronaval de 2008,
expliquant que la Russie se préparait à construire une flotte de
porte-avions, prévue pour être opérationnelle vers 2060.
Le barrage des réticences diplomatiques contourné, et les "resets"
entre la Russie, l’Amérique, et l’OTAN confirmés, l’année
franco-russe tombait à point. Vladimir Poutine, en confirmant
dès le milieu de l’année, lors d’une visite à Paris, que Moscou
ne fournirait pas de missiles S-300 à l'Iran après le vote de
sanctions par l'ONU, avait en outre réglé cette épineuse
question. Les différends entre les parties au contrat
portaient sur deux points : les technologies afférentes, et le
lieu de fabrication. La France souhaitait une vente sans
technologie de pointe et qu’au moins deux bateaux soient
fabriqués en France. La Russie, elle, conditionnait l’achat aux
technologies liées et souhaitait acheter un seul navire, et
faire construire les trois autres en Russie.
Si l’on semble plutôt se diriger vers la formule française
pour la fabrication, le premier bateau devrait être livré avec
la technologie de pointe liée, et notamment les dispositifs de
calcul de conduite des opérations aériennes, essentiels pour le
développement ultérieur des porte-avions. Récemment, Vera
Chistova, vice-ministre de la Défense pour les moyens
économiques et financiers, a confirmé que les dépenses pour
l’achat ont été pré-intégrées aux budgets russes des trois
prochaines années.
Côté français, Le directeur de la DCNS (fabricant militaire
du Mistral) Pierre Legros, a lui indiqué que ces navires
disposeraient des mêmes équipements que ceux de la marine
française et que les seules différences seraient un pont d’envol
renforcé pour accueillir les hélicoptères russes et une coque
plus résistante pour pouvoir naviguer dans des eaux glacées.
Quand au PDG de l’association des chantiers où devrait être
fabriqué le Mistral, il a affirmé que le premier navire pourrait
être construit fin 2013 et le deuxième en 2015. Les chantiers
navals russes devant être en mesure de construire seuls les
autres bâtiments dès l’année 2016.
Il est donc plausible, et souhaitable, que l’année
franco-russe se termine par un accord commercial et politique
majeur. Pour le président français l’enjeu est de taille,
sur un plan financier, le prix d’un bateau avoisinant les 500
millions d’euros, mais également sur un plan politique, afin de
prouver que la ré-intégration de l’OTAN en 2009 n’a pas ôté
toute souveraineté à la France. Du côté russe, l’acquisition est
importante d’un point de vue militaire, mais aussi sur le plan
géopolitique, la Russie se donnant ainsi pleinement les moyens
d’atteindre l’objectif de la politique entamée en mars 2000 :
rester une puissance de premier plan.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
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