Carnets du diplo
A nouveau
le nucléaire iranien ...
Alain Gresh
25 février 2008
Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA), M. Mohammed Al-Baradei, a rendu public le
vendredi 22 février son rapport sur le nucléaire iranien.
Avant même de l’avoir lu, les grandes puissances avaient déjà
décidé de faire voter une nouvelle résolution au Conseil de sécurité
de l’ONU pour imposer des sanctions supplémentaires, oubliant
le rapport des services de renseignement américains affirmant que
l’Iran
n’a pas de programme militaire nucléaire.
Présentant son rapport, Al-Baradei
a déclaré :
« Notre travail est de garantir que le programme nucléaire
iranien sert seulement à des buts pacifiques. Nous nous y efforçons
depuis cinq ans. Dans les quatre derniers mois en particulier nous
avons fait de bons progrès pour clarifier les problèmes majeurs
en suspens relatifs aux activités nucléaires iraniennes passées,
à l’exception d’un problème, celui des supposées études de
"militarisation" (weaponization) que l’Iran
aurait conduites. Nous avons été capables d’éclaircir tous
les problèmes en suspens, y compris le plus important,
l’ampleur et la nature du programme d’enrichissement iranien.
Nous avons fait de bons progrès, avec encore un sujet en suspens
et j’appelle l’Iran à travailler aussi activement que
possible, aussi rapidement que possible, pour me permettre de dire
que tous les problèmes concernant les activités nucléaires passées
ont été clarifiés. »
Le directeur de l’AIEA a poursuivi en parlant du travail pour
garantir que l’actuel programme nucléaire iranien était
pacifique. Il a appelé Téhéran à appliquer le protocole
additionnel au Traité de non prolifération, protocole qui permet
des inspections plus intrusives à l’AIEA - rappelons que
l’Iran avait accepté volontairement en 2003 de mettre en œuvre
ce protocole, dans le cadre de négociations avec l’Union européenne
(l’Iran est revenu deux ans plus tard sur cette acceptation
quand les négociations ont échoué) – lire Ce
que propose l’Iran.
Ce rapport est nuancé et il faut le lire dans son intégralité
(« Implementation
of the NPT Safeguards Agreement and relevant provisions of
Security Council resolutions 1737 (2006) and 1747 (2007) in the
Islamic Republic of Iran ») — lire des extraits en
anglais ci-dessous).
David Albright et Jacqueline Shire, de l’Insitute for Science
and International Security (ISIS), en publient une analyse, « IAEA
Iran latest—A Balanced Safeguards Report » :
« Deux points se dégagent du dernier rapport de
l’AIEA sur le programme nucléaire iranien. Le premier est que
dans tous les domaines, à l’exception de deux, l’Iran a fait
des progrès pour répondre aux questions en suspens mentionnées
dans le "plan de travail" décidé en août 2007 (entre
Téhéran et l’AIEA). Selon l’AIEA, l’Iran a fourni des
explications plausibles aux sources de la contamination
d’uranium trouvé à l’université technique, à ses
recherches sur le Plutonium-210 et sur le minerai Gchine
d’uranium. »
Selon ces deux chercheurs, « un problème plus
important mentionné dans le rapport est l’obstruction de
l’Iran face aux informations contenues dans « les
documents de l’ordinateur » (documents qui auraient été
trouvés sur un ordinateur iranien que les services de
renseignement américains auraient récupéré) et à d’autres
documents fournis par des Etats-membres ». Selon
l’Iran, ces documents sont soit fabriqués, soit reflètent des
programmes civils ou militaires mais conventionnels.
Une autre analyse détaillée, écrite par Farideh Farhi, sur
l’excellent site de Juan Cole, Informed Comment, le 22 février
— « IAEA’s
Latest Report on Iran : Time to Move On » :
« Mon sentiment, écrit-elle en conclusion, est
que ce rapport sera utilisé par les deux parties dans un sens qui
convient à leurs objectifs. Le négociateur iranien Saeed Jalili
a déjà déclaré que le rapport est une légitimation de la
position de l’Iran, alors que les Etats-Unis vont une nouvelle
fois pousser et obtenir du Conseil de sécurité une nouvelle résolution
sans grande signification, et qui n’aura pas beaucoup plus
d’impact que les résolutions précédentes, mais qui devrait
marquer le fait que le chemin emprunté par le Conseil de sécurité
n’est pas encore bouché comme le prétendent les dirigeants
iraniens, en particulier Mahmoud Ahmadinejad. »
« Mais, en réalité, la plupart des gens associés à
ce processus sont épuisés et prêts à passer à autre chose (à
l’exception notable des gens de l’administration Bush, qui
sont seulement épuisés). C’est peut-être ce que Baradei veut
dire dans les derniers mots de son interview (ci-dessous), qui
pointent cette fatigue (et aussi l’exaspération) de l’AIEA
devant l’impasse prolongée et la nécessité d’aller de
l’avant après ce qui, dans d’autres circonstances, serait
apparu comme une interaction fructueuse entre l’Agence et un
pays membre, une interaction qui a abouti à une solution de problèmes
techniques significatifs. »
Déclaration de Baradei : « Une solution durable
nécessite une confiance à l’égard du programme nucléaire
iranien, elle demande un accord sur la sécurité régionale, des
relations commerciales normales entre l’Iran et la communauté
internationale. » Et après avoir affirmé que l’AIEA
poursuivrait son travail, il ajoute que « nous ne pouvons
pas donner des assurances sur les intentions futures de l’Iran.
Ceci relève d’une processus diplomatique qui nécessite
l’engagement de toutes les parties ».
La publication du rapport a suscité des articles de presse
qui, souvent, gomment les progrès accomplis.
A la veille de la sortie du rapport, le 21 février, Le
Figaro publiait un article de Maurin Picard, « Comment
l’Iran cache ses secrets nucléaires à l’AIEA »,
qui dénonçait l’Iran :
« Et pourtant, au fil des années, tous les experts et
diplomates proches de l’enquête ont acquis « l’intime
conviction », selon les paroles d’un haut représentant
occidental en poste à Téhéran, que l’Iran voulait l’arme
nucléaire, et œuvrait en ce sens. »
Le 23, le même journaliste revient sur le rapport de l’AIEA,
sous le titre : « Nucléaire
iranien : l’AIEA conforte les soupçons » :
« Le directeur général de l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA), Mohammed ElBaradei, a présenté
hier ses conclusions sur les « activités nucléaires présentes
et passées » de l’Iran, dans un rapport très attendu
dont Le Figaro a pu se procurer une copie. S’il clôt
officiellement l’enquête sur certains pans controversés du
programme nucléaire iranien, il se refuse cependant une nouvelle
fois à statuer sur la nature pacifique de celui-ci, à défaut de
pouvoir compter sur une coopération pleine et entière de
l’Iran. Dans ce document de 11 pages dressant le bilan
d’un « plan de travail » convenu en août 2007 avec
Téhéran, le patron du « chien de garde nucléaire »
de l’ONU loue la coopération accrue du régime islamique,
l’accès offert « à des individus et des documents »
et longtemps refusé auparavant ; mais il relève
d’un autre côté les nombreuses « questions toujours en
suspens ». »
A rebours de cette analyse, « L’AIEA
a fait de "bons progrès" », titre
NouvelObs.com, le 23 février.
Le Monde donne aussi, le 23 février, sa version du
rapport : « L’AIEA
détaille la "possible dimension militaire" des travaux
nucléaires de l’Iran » (Natalie Nougayrède), titre
qui tire le rapport dans un sens.
Quoi qu’il en soit, de nouvelles sanctions se préparent. Une
dépêche de l’AFP du 22 février, intitulée « Iran/nouvelles
sanctions : les "Six" visent une adoption prochaine »
et postée de New York précise :
« Une version amendée du projet de résolution prévoyant
de nouvelles sanctions contre l’Iran pour son programme nucléaire
a été présentée formellement jeudi au Conseil de sécurité de
l’ONU en vue d’une adoption dès que possible, ont indiqué
les ambassadeurs britannique et français. "Nous venons
d’introduire formellement au Conseil le texte d’une résolution
que nous co-parrainons avec l’Allemagne et qui est basée sur
les éléments sur lesquels les ministres des Six se sont mis
d’accord", a déclaré à la presse l’ambassadeur de
Grande-Bretagne à l’ONU, John Sawers.
"Ce texte reflète certains des commentaires que nous
avons reçus de la part de quelques délégations, nous allons
solliciter d’autres commentaires substantiels de la part de
toutes les délégations dans la première moitié de la semaine
prochaine, afin de pouvoir ensuite avancer rapidement",
a-t-il ajouté. »
(...)
« Les sanctions prévues incluent une interdiction de
voyager pour les responsables impliqués dans le programme nucléaire.
Tous les Etats devront prendre les mesures nécessaires pour
"empêcher l’entrée (dans leur pays) ou le transit par
leur territoire" de personnes liées au programme nucléaire
militaire iranien. Une précédente résolution approuvée par le
Conseil en mars 2007, les appelait simplement à le faire. Le
texte exhorte également tous les Etats à inspecter les navires
et avions cargos "à destination et en provenance d’Iran
(...) qui pourraient transporter des marchandises interdites par
cette résolution". »
« Il exhorte enfin les Etats à surveiller les échanges
que pourraient avoir les institutions financières basées sur
leur territoire avec toute banque domiciliée en Iran, notamment
les banques Melli et Saderat. Lors de discussions informelles,
plusieurs pays membres du Conseil de sécurité avaient émis le
souhait que le Conseil attende le prochain rapport de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le programme
nucléaire iranien. Ce rapport est attendu vendredi. L’Iran fait
déjà l’objet de trois résolutions du Conseil, dont deux
assorties de sanctions, pour le contraindre à coopérer plus
largement avec l’AIEA et à suspendre ses activités
d’enrichissement d’uranium. »
Selon The New York Times du 23 février, « Nuclear
Agency Says Iran Has Used New », (David E. Singer), deux
diplomates américains à la retraite, William Luers et Thomas
Pickering, et un chercheur du Massachusetts Institute of
Technology, Jim Walsh, publient dans The New York Review of
Books un article demandant aux Etats-Unis d’utiliser le
rapport publié par les agences de renseignement américaines pour
ouvrir un dialogue sans condition avec l’Iran.
L’ambassadeur de France aux Etats-Unis, Pierre Vimont, a fait
un discours le 1er février devant le Middle East Institute
de Washington, « Iran
on the Horizon ». Ce texte est intéressant parce
qu’il prend en compte la dimension non nucléaire de la crise,
et la volonté de Téhéran de voir reconnue la place régionale
de l’Iran.
Sur l’ensemble du dossier iranien, on pourra consulter le numéro
spécial de Manière de voir, « Tempête
sur l’Iran », publié par Le Monde diplomatique.
Extraits
du rapport de l’AIEA
« The Agency has been able to continue to verify the
non-diversion of declared nuclear material in Iran. Iran has
provided the Agency with access to declared nuclear material and
has provided the required nuclear material accountancy reports in
connection with declared nuclear material and activities. Iran has
also responded to questions and provided clarifications and
amplifications on the issues raised in the context of the work
plan, with the exception of the alleged studies. Iran has provided
access to individuals in response to the Agency’s requests.
Although direct access has not been provided to individuals said
to be associated with the alleged studies, responses have been
provided in writing to some of the Agency’s questions. »
« The Agency has been able to conclude that answers
provided by Iran, in accordance with the work plan, are consistent
with its findings — in the case of the polonium-210 experiments
and the Gchine mine — or are not inconsistent with its findings
— in the case of the contamination at the technical university
and the procurement activities of the former Head of PHRC.
Therefore, the Agency considers those questions no longer
outstanding at this stage. However, the Agency continues, in
accordance with its procedures and practices, to seek
corroboration of its findings and to verify these issues as part
of its verification of the completeness of Iran’s declarations. »
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