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Carnets du diplo
Le
Liban « au bord de l'abîme »
Alain Gresh
19 novembre 2007
Le pays est « au bord de l’abîme » a déclaré
le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon à
l’issue de sa visite au Liban la semaine dernière. « La
guerre civile silencieuse » qui, depuis plusieurs mois,
déchire ce pays va-t-elle se transformer en guerre civile chaude ?
Le 23 novembre à minuit, le mandat du président Emile Lahoud
arrive à échéance, un nouveau président doit être élu avant
cette date. Le pays est divisé en deux camps : le premier,
qui soutient le gouvernement de Fouad Siniora, comporte une
majorité des sunnites (autour de Saad Hariri), une majorité des
druzes (autour de Walid Joumblat), une moitié des chrétiens
maronites (autour de l’ancien président Amine Gemayel et de
Samir Geagea). Ce camp est soutenu par les Etats-Unis et la
France. En face, l’immense majorité des chiites (autour du
Hezbollah et du président de la Chambre des députés), l’autre
moitié des maronites (autour du Courant patriotique libre du général
Michel Aoun) et une minorité de dirigeants sunnites et druzes. Il
est soutenu par la Syrie et par l’Iran.
Le futur président doit être maronite. Il doit être élu par
la Chambre en présence d’un quorum de deux tiers des députés.
Mais la majorité actuelle ne dispose pas de deux tiers des députés.
L’impasse constitutionnelle est donc totale.
A la demande de la France, le cardinal Nasrallah Sfeir, chef
religieux des maronites, a présenté aux deux camps une liste de
candidats à la présidentielle. Dans Le Figaro du 16
novembre, Thierry Oberlé, envoyé spécial à Beyrouth publie un
article « Présidentielle
libanaise : la liste du cardinal Sfeir », qui donne
la parole à Sfeir : « "J’ai souscrit à
contrecœur, après de nombreuses hésitations, à la proposition
française de dresser une liste de candidats qui pourraient
occuper le poste de chef de l’État", dit-il. Le principal
représentant de l’Église romaine a décidé de descendre dans
l’arène politique à reculons, gardant en mémoire le souvenir
cuisant de l’élection présidentielle de 1988. En cette année
de guerre civile, Nasrallah Sfeir avait déjà, sous la pression
à l’époque de Washington, dressé une liste de postulants ;
mais les noms avaient été finalement biffés. "Je m’étais
fait beaucoup d’ennemis en me dévoilant", se remémore-t-il,
sans exclure de subir à nouveau la même mésaventure. »
Mais le problème est avant tout politique. La majorité
parlementaire actuelle a été acquise lors du scrutin de l’été
2005 : à cette époque, le Hezbollah s’était allié à
des partis de la majorité actuelle contre Michel Aoun. De plus,
et bien plus important, le pays (qui repose sur un équilibre
confessionnel délicat) ne peut être gouverné par la moitié de
la population contre l’autre ; il faut un consensus.
Certains, dans le camp de la majorité (68 députés sur 127)
souhaitent passer en force. Mais ce choix aboutirait inévitablement
à la création d’un double pouvoir, car le président Lahoud se
choisirait un successeur, soutenu par l’opposition.
Les
asssinats de plusieurs députés et responsables de la majorité,
les affrontements en chiites et sunnites à l’université en
janvier, l’armement des milices dans les deux camps font
craindre une escalade militaire qui entraînerait le pays dans une
nouvelle guerre civile.
Mais la crise a une autre dimension internationale, qui
complique toute recherche de solution. Un article du quotidien
libanais en langue anglaise The Daily Star intitulé
« Rice
rejects compromise to solve Lebanese crisis » résumait
la position américaine. La secrétaire d’Etat américaine
Condoleezza Rice expliquait : « Je pense que l’on
parle beaucoup de compromis en ce moment, il y a beaucoup de
discussions. C’est bien, mais n’importe lequel des candidats
pour la présidence ou tout président doit être engagé à
l’indépendance et à la souveraineté du Liban, accepter les résolutions
que le Liban a signé et mettre en oeuvre les engagements
concernant le tribunal » chargé de juger les assassins
du premier ministre libanais Rafic Hariri.
En fait, les Etats-Unis considèrent le Liban comme un simple
front de la guerre mondiale contre le terrorisme, un front parmi
d’autres : l’Afghanistan, l’Irak et la Somalie. Dans ce
contexte, il faut qu’il y ait au Liban un vainqueur (représentant
l’axe du Bien) et un vaincu. Cette vision manichéenne
encourage, en face, en Syrie comme en Iran, les plus hostiles à
tout compromis. Résultat : le Liban risque de faire les
frais de cette vision globalisante et réductrice.
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