|
Carnets du diplo
Quelle victoire à Nahr
Al-Bared ?
Alain Gresh
6 septembre 2007
Le camp palestinien de Nahr Al-Bared au Liban est tombé aux
mains de l’armée après plus de
trois mois de combats.
Selon l’AFP (4 septembre), « l’armée libanaise a
tué au moins 222 "terroristes" et en a capturé 202
lors de plus de trois mois d’affrontements dans le camp
palestinien de Nahr al-Bared (nord), a déclaré mardi le ministre
libanais de la Défense Elias Murr ». « il y a
en plus un nombre indéterminé de tués qui ont été enterrés
dans des fosses communes par leurs compagnons", a-t-il précisé ».
« Le ministre a par ailleurs confirmé le bilan de 163
militaires tués dans les combats depuis le 20 mai ». Le
ministre a aussi remercié pour leur aide militaire l’Arabie
saoudite, l’Egypte, la Jordanie, les Emirats arabes unis, les
Etats-Unis et l’Union européenne (UE). Les remerciements aux
Etats-Unis sont un peu étonnants dans la mesure où le commandant
en chef du l’armée a accusé à plusieurs reprises Washington
d’avoir refusé de fournir des armes lourdes qui auraient permis
à l’armée de l’emporter plus rapidement.
Au cours d’une conférence presse reproduite sur le site du
quotidien en anglais The Daily Star (« Murr
warns fresh political crisis could mar army’s victory »,
5 septembre), le responsable des services de renseignement
libanais le général George Khoury a affirmé que le groupe Fatah
Al-Islam était lié à Al-Qaida. Un autre responsable militaire a
indiqué qu’il n’avait « aucune indication que le
groupe était lié aux services de renseignement syriens »
(contrairement à ce qu’avaient déclaré plusieurs membres de
la majorité gouvernementale).
Selon les chiffres de L’Orient Le Jour, repris
par le blog de Joshua Landis, 107 prisonniers ont été accusés
par les cours libanaises d’appartenir à Fatah Al-Islam, dont 62
Libanais, 36 Palestiniens, 5 Saoudiens, 2 Syriens, 1 Tunisien et 1
Algérien.
Des informations contradictoires circulent sur le sort du chef
du groupe Shaker Al-Abssi. Alors que sa femme aurait identifié le
corps, les tests ADN n’auraient pas été concluants.
Quoiqu’il en soit, l’itinéraire de Abssi est intéressant. Né
en 1955 dans un camp de réfugiés palestiniens à Jéricho, il a
fuit avec sa famille en 1967 quand Israël a occupé la
Cisjordanie. Il a rejoint le Fatah de Yasser Arafat dans les années
1970 ; il est envoyé en Libye en 1976 pour suivre une
formation de pilote. En 1981, il se rend au Nicaragua pour aider
les sandinistes à former leurs pilotes. Il combat les forces
d’invasion israéliennes en 1982 à Beyrouth. Il s’installe à
Damas en 1993 et rompt, semble-t-il, avec l’OLP (il est contre
les accords d’Oslo). C’est à la fin des années 1990 qu’il
développe ses relations avec Al-Qaida, se serait rendu en
Afghanistan et aurait eu des contacts avec Ayman Al-Zawahiri, le
numéro 2 de l’organisation. C’est en 2002 que les autorités
de Damas le jettent en prison où il restera jusqu’en 2005 ;
il s’installe ensuite au Liban où il rejoint le groupe Fatah
Intifada avant de créer Fatah Al-Islam puis de s’installer à
Nahr Al-Bared où il dirigera les combats du groupe contre l’armée.
Mouna Naïm, correspondante du journal Le Monde à
Beyrouth, écrit un article intitulé « Les
réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared sans espoir après la
victoire de l’armée libanaise » (4 septembre).
« Tandis que les Libanais continuent de manifester
leur joie après l’éviction du camp du groupe djihadiste Fatah
Al-Islam, Khalil, lui, n’a pas le cœur à la fête. Comme la
plupart des habitants du camp, déplacés vers celui de Baddaoui,
tout proche, Khalil sait qu’il ne rentrera pas de sitôt chez
lui, si tant est que sa demeure n’ait pas été détruite par
les bombardements. »
« Ces réfugiés-déplacés ont le sentiment
qu’"une fois de plus, les Palestiniens sont des boucs émissaires",
sacrifiés cette fois sur l’autel de la lutte de l’armée
libanaise contre les "terroristes" du Fatah Al-Islam,
comme le disent en chœur, Mohammed, Ghada et Oula, qui ne
souhaitent pas dévoiler leurs patronymes. »
La question du "contrôle" des camps est posé une
nouvelle fois avec acuité et nombre de Palestiniens, écrit Mouna
Naïm, s’inquiètent de la volonté des autorités libanaises.
« "Nous ne voulons pas que l’Etat libanais et
l’armée contrôlent le camp", s’insurge Mohammed, le
regard noir de colère. "Nous voulons nous gouverner nous-mêmes,
par le biais des brigades de la lutte armée palestinienne [police
de l’OLP]", ajoute-t-il, s’insurgeant contre l’annonce
par M. Siniora que seules les forces de l’ordre libanaises
assureront désormais la sécurité sur tout le territoire
libanais. »
« L’avis de Mohammed est partagé par la dizaine
d’hommes et de femmes qui l’entourent. Pour eux, le camp de
Nahr Al-Bared a été victime d’un "complot" dont
l’objectif est d’imposer à tous les camps de réfugiés
palestiniens du pays la main de fer de l’Etat libanais.
"Comme par hasard, les miliciens du Fatah Al-Islam n’ont prétendument
tenté de fuir qu’une fois que le camp était détruit, et que
nous avions tout perdu !", s’indigne Ghada. »
La férocité des combats, la détermination des combattants du
Fatah Al-Islam, la participation de « combattants étrangers »
à leur lutte illustrent la radicalisation qui s’étend au
Proche-Orient. L’absence totale de perspective politique en
Palestine, la poursuite de l’intervention américaine en Irak et
dans la région, l’effondrement des structures étatiques (Irak,
Afghanistan, Palestine, Somalie et, dans une certaine mesure le
Liban) alimentent les groupes les plus extrémistes et donne un crédit
à Al-Qaida.
|