Opinion
En finir avec « la
farce » des négociations de paix,
dissoudre l'Autorité palestinienne
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Vendredi 6 avril
2012
L’homme qui envoie cette lettre à
Mahmoud Abbas, le président de
l’Autorité palestinienne, n’est pas
n’importe qui en Israël, même s’il s’est
retiré de la politique. Il a été l’un
des artisans de la négociation de ce qui
devait s’appeler les accords d’Oslo. Il
fut ministre des gouvernements Rabin
puis Barak et a mené les pourparlers de
la dernière chance à Taba, en janvier
2001, alors qu’avait éclaté la seconde
Intifada et que les Israéliens
s’apprêtaient à aller aux urnes et à
renverser le gouvernement dirigé par les
travaillistes.
Yossi Beilin fut aussi le signataire,
avec Yasser Abdel Rabbo,
des accords de Genève d’octobre
2003, qui proposaient une solution au
conflit (lire le
dossier du Monde diplomatique
de décembre 2003.)
La lettre qu’il vient d’envoyer à
Mahmoud Abbas est d’autant plus
significative. Il appelle le président
palestinien à «
end this farce » (Foreign Policy,
4 avril 2012) — mettre un terme à cette
farce des négociations.
« J’avoue que je n’aurais
jamais cru que le moment viendrait
où il faudrait que je vous écrive
ces mots. Je le fais parce que le
président américain Barack Obama
vous a convaincu de ne pas annoncer
maintenant le démantèlement des
institutions de l’Autorité
palestinienne et de “rendre les
clés” à Israël. Parce qu’il n’y a
jamais eu de négociations sérieuses
avec le gouvernement du premier
ministre Benjamin Netanyahou au
cours des trois dernières années, et
parce que vous ne vouliez pas
perpétuer le mythe selon lequel un
dialogue constructif existerait,
vous avez été très tenté de déclarer
la mort du processus de la paix —
mais le président américain vous a
exhorté à maintenir le statu quo.
C’est une erreur d’accepter la
demande d’Obama, et vous pouvez y
remédier. »
Après avoir fait un éloge soutenu des
accords d’Oslo et renvoyé dos à dos les
extrémistes des deux bords, l’ancien
ministre poursuit :
« Vous et moi comprenons que
la situation actuelle est une bombe
à retardement. De mon point de vue,
ce qui est en jeu, c’est la
disparition d’Israël en tant qu’Etat
juif et démocratique. Du vôtre,
c’est la fin de la perspective d’un
Etat palestinien indépendant. Et de
nos deux points de vue, l’échec de
la solution à deux Etats risque de
déboucher sur le retour d’une
terrible violence.
Toute personne qui souscrit à
cette analyse se doit de prendre des
mesures. Vous pouvez le faire et,
pour franchir cette étape, vous
n’avez pas besoin d’un partenaire.
Déclarer la fin du processus d’Oslo
— justifiée par le fait que le
chemin vers un accord permanent est
bloqué — est la plus raisonnable des
options non violentes pour remettre
le sujet à l’ordre du jour et
relancer les efforts en vue d’un
réglement définitif.
Dissoudre l’Autorité
palestinienne et donner le contrôle
des affaires quotidiennes à Israël
serait une initiative que personne
ne pourrait ignorer. Cela n’a rien à
voir avec une manifestation devant
la municipalité de Ramallah, ou un
appel à l’Organisation des Nations
unies pour obtenir un statut d’Etat
membre. Il s’agit d’une décision que
vous pouvez prendre seul, une
décision qui obligera les autres à
répondre.
Je sais combien cela est
difficile. Je sais combien de
dizaines de milliers de personnes
dépendent de l’Autorité
palestinienne pour vivre. Je suis en
mesure d’apprécier tout ce que vous
et le premier ministre Salam Fayyad
avez accompli — la création
d’institutions palestiniennes, la
croissance de l’économie dans des
conditions impossibles, le
renforcement de la sécurité en
Cisjordanie. »
On peut être plus que sceptique face
à cet éloge, mais passons...
« Après tous ces efforts,
cependant, vous avez encore besoin
de supplier le gouvernement
israélien de débloquer l’argent des
revenus de la douane ; il vous faut
encore mendier auprès des
républicains au Congrès des
Etats-Unis le transfert des fonds à
l’Autorité palestinienne » (...)
« N’hésitez pas un instant !
N’acceptez pas la demande du
président Obama, qui veut simplement
qu’on le laisse tranquille avant la
présidentielle. Ne laissez pas le
premier ministre Netanyahou se
cacher derrière la feuille de vigne
de l’Autorité palestinienne :
imposez-lui, une fois de plus, la
responsabilité du sort de 4 millions
de Palestiniens. Restez à la tête de
l’Organisation de libération de la
Palestine, qui vous donnera le
pouvoir de diriger les négociations
politiques, si et quand elles
reprennent.
« Mais pour le bien de votre
propre peuple, et pour l’amour de la
paix, vous ne pouvez pas laisser
cette farce se poursuivre.
« Il est possible, bien sûr,
que la disparition d’Oslo ne soit
pas suivie par la reprise de
pourparlers de paix vers une
solution définitive. Mais dans ce
cas, au moins ce ne sera pas vous —
l’homme qui se tenait à côté du
berceau du processus d’Oslo — qui
serez responsable de n’avoir pas su
empêcher la distorsion totale et
complète de ce processus par ses
adversaires palestiniens et
israéliens. »
Le processus de paix ouvert à Oslo
est mort et enterré. Il serait temps que
les responsables européens le
reconnaissent et arrêtent de réclamer la
reprise de négociations « sans
conditions » entre les deux parties.
Notons cet éditorial de Thomas
Friedman, ce journaliste américain qui
expliquait depuis le début des révoltes
arabes que celles-ci n’avaient pas de
programme de politique internationale et
n’étaient pas intéressées par la
Palestine («
A Middle East Twofer » [Au
Proche-Orient, deux produits pour le
prix d’un], The New York Times, 3
avril 2012. Il appelle à résoudre
d’urgence le conflit israélo-palestinien
car, écrit-il, « si la violence
reprenait en Cisjordanie, il n’y aura
pas de pare-feu — le rôle joué par
l’ancien président Moubarak — pour
empêcher les flammes de se propager dans
les rues égyptiennes ».
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