Opinion
Goldstone, la
justice et la « recherche de la Palestine »
Alain Gresh
Alain Gresh
Lundi 4 avril 2011
Les révoltes arabes, qui se poursuivent malgré les
répressions, au
Bahreïn comme en
Syrie, ont détourné l’attention de ce qui se passe en
Palestine. Blocus de Gaza, bombardements, constructions de
colonies, destructions de maisons : les autorités d’occupation
poursuivent sans sourciller leur stratégie, qui ne suscite
aucune réaction significative, encore moins d’intervention, des
puissances qui s’engagent contre la dictature de Kadhafi. Selon
les chiffres donnés par l’Unrwa, 76 maisons ont été détruites en
Cisjordanie en mars, contre 70 en février et 29 en janvier ;
durant ces mois, le nombre de personnes jetées à la rue a été de
158, dont 64 enfants (contre 105 en février et 70 en janvier).
C’est dans ce contexte que le juge sud-africain Richard
Goldstone a publié dans le Washington Post une tribune (« Reconsidering
the Goldstone Report on Israel and war crimes », 1er avril
2011) dans laquelle il fait machine arrière et se livre à une
(auto)critique
du rapport qui porte son nom. Il avait coordonné, dans le
cadre d’une mission des Nations unies, une enquête sur les
crimes commis durant la guerre israélienne contre Gaza (décembre
2008-janvier 2009).
Cette reculade permet à la droite et au gouvernement
israéliens de se réjouir. Avigdor Lieberman, le ministre des
affaires étrangères fascisant, a été l’un des premiers à le
faire. Dans un article du Monde.fr, « Guerre de Gaza : Israël
exige l’annulation du rapport Goldstone après les regrets de
l’auteur » (3 avril), on peut lire :
« Israël a réclamé dimanche 3 avril l’annulation du
rapport du juge sud-africain Richard Goldstone accusant son
armée de “crimes de guerre” durant son offensive contre la bande
de Gaza à l’hiver 2008-2009, après les regrets exprimés par le
magistrats dans une tribune publiée par le Washington Post. »
« “Il faut jeter ce rapport dans les poubelles de
l’histoire”, a affirmé le premier ministre Benjamin Netanyahu
qui a demandé à des juristes et des experts du ministère des
affaires étrangères d’étudier le dossier. “Il faut à présent
multiplier les efforts pour que ce rapport soit annulé, et je
vais m’y employer”, a renchéri dimanche à la radio militaire le
ministre de la défense, Ehud Barak, après avoir demandé au juge
Goldstone de “publier ses conclusions actuelles” sans se
contenter d’un simple article de presse. »
« Dans sa tribune publiée samedi, le magistrat
sud-africain expliquait que des attaques israéliennes contre des
civils avaient été classées comme intentionnelles parce
qu’aucune autre conclusion n’était possible à l’époque, mais que
de nouveaux éléments avaient montré depuis qu’il n’y avait pas
eu de politique visant à cibler les civils “de manière
intentionnelle”. »
« Cette conclusion s’appuie sur le travail d’enquêteurs
israéliens, qui ont examiné “plus de 400 allégations de
mauvaises conduites opérationnelles”, selon un comité créé par
le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU pour assurer le suivi
du rapport, explique le juge Goldstone, relevant que le Hamas
n’a pour sa part pas mené d’enquête sur ses propres tirs contre
des civils. »
Que signifie cette rétractation du juge Goldstone ? Pour une
juriste israélienne, cela est clair : « Le point positif pour
nos actions dans le futur est que si nous avons besoin de nous
défendre encore une fois contre des organisations terroristes,
nous pourrons dire qu’il n’y a pas d’autre moyen d’affronter la
terreur que celle que nous avons utilisée durant l’opération
“Plomb durci”. » (Cité dans Ethan Bronner et Isabel Kershner,
« Israel Grapples with Retraction on U.N. Report », The
New York Times, 3 avril 2011.)
C’est aussi ce que note le correspondant du Monde à
Jérusalem (« Le juge Goldston exonère Israël pour la guerre de
Gaza », Le Monde, 5 avril 2011, texte disponible pour les
abonnés) :
« L’opération “Plomb durci” étant ainsi partiellement
réhabilitée, il sera plus facile à Israël de justifier la
nécessité de rétablir sa “dissuasion” vis-à-vis du Hamas, pour
une nouvelle opération militaire à Gaza. » Ce « permis de
tuer » les terroristes, c’est ce que Nétanyahou exigeait depuis
longtemps, affirmant que, contre les barbares, les règles du
droit international ne peuvent s’appliquer (« Le
chaudron de M. Netanyahou », 16 novembre 2009).
Pourtant, cette rétractation du juge Goldstone pose plusieurs
problèmes :
— il faut rappeler la campagne infâme menée contre lui
jusqu’au sein de la communauté juive sud-africaine, qui avait
envisagé de lui interdire d’assister à la bar-mitzva d’un de ses
petits-enfants ;
— Goldstone n’est pas le seul rédacteur du rapport et il est
douteux qu’il ait le droit de le « supprimer » (d’autant que
d’autres membres de la commission défendaient encore les
conclusions du rapport il y a trois mois – lire
« Two other members of the Goldstone mission stood by its
conclusions as of 3 months ago », par Ed Moloney, 4 avril
2011).
— de nombreux rapports d’autres organisations
internationales, notamment
Amnesty International et Human Rights Watch, ont confirmé
les crimes commis par l’armée israélienne ;
— l’argument avancé par le juge dans son texte au
Washington Post selon lequel Israël a ouvert 400 enquêtes
sur les faits reprochés est absurde. Désormais, pour calmer la
justice internationale, Israël ouvre des enquêtes, mais elles
n’aboutissent presque jamais ;
— d’autre part, nombre d’affirmations du juge ne tiennent pas
la route. Ainsi, il prétend qu’une enquête a été ouverte sur
l’un des pires massacres de cette guerre, celui de la famille
al-Samouni (29 morts). Or les Nations unies, dans le rapport
cité par le même Goldstone à l’appui de sa thèse, affirment que
l’officier responsable n’est pas l’objet d’une enquête
judiciaire (lire les excellentes réfutations du récent éditorial
du juge Goldstone sur le site Mondoweiss, notamment
« Goldstone op-ed praises Israeli investigation of Gaza war
crimes, but UN committee paints a different picture », par
Adam Horowitz, 2 avril) ;
— enfin, si des points restaient à éclaircir et à confirmer
dans le rapport Goldstone, c’est dû au fait que le gouvernement
israélien a refusé de collaborer à la commission.
Il est douteux que la pitoyable rétractation du juge modifie
l’image du gouvernement israélien. Elle aidera, en revanche, les
gouvernements européens à justifier leur silence devant le
blocus de Gaza et la colonisation qui continue, alors même que
les révoltes arabes risquent de changer la donne. Des
manifestations de jeunes se sont déroulées aussi bien à Gaza
qu’en Cisjordanie et les deux pouvoirs ont tenté de les
réprimer ; on parle pourtant à nouveau de réconciliation entre
le Fatah et le Hamas. Mais personne ne peut cacher l’impasse
stratégique dans laquelle se trouve le mouvement palestinien.
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