Opinion
Ramallah (I) :
l'offensive aux Nations unies
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Samedi 3 décembre
2011
Ramallah semble dans l’attente, dans
l’attente de Godot, note, ironique, un
commentateur. La vie quotidienne reste
la préoccupation de la grande majorité
de la population, avec les difficultés
liées à l’occupation et à la suspension
régulière par les autorités israéliennes
des sommes dues à l’Autorité et la
faiblesse des contributions promises par
les pays arabes.
Pourtant, chez les intellectuels et
les politiques, cette petite classe
qui tourne autour du gouvernement et de
l’Autorité, les deux sujets qui n’en
finissent pas de bruisser dans les cafés
et les restaurants où la fumée des
cigarettes n’est toujours pas bannie, ce
sont l’offensive palestinienne aux
Nations unies et la réunification des
pouvoirs de Ramallah et de Gaza.
Et la reprise des négociations
israélo-palestiniennes ? « Le Quartet
a demandé, le 23 septembre dernier, aux
Palestiniens et aux Israéliens de
remettre, avant le 26 janvier, des
propositions par écrit sur les
frontières et la sécurité, explique
un diplomate palestinien. Nous
l’avons fait et nous demandons que la
partie israélienne fasse de même, mais
pour l’instant elle s’y refuse,
affirmant qu’elle le ferait en cas de
reprise des négociations. Nous, et le
Quartet, rejettent cette tentative
dilatoire. »
Les propositions palestiniennes
peuvent se résumer ainsi : frontières de
1967, avec échange de 1,9 % du
territoire ; acceptation d’une présence
militaire internationale sur les
frontières avec Israël et sur le
Jourdain ; pas d’alliance militaire avec
des pays hostiles à Israël ;
démilitarisation du futur Etat, mais,
comme à l’heure actuelle, maintien d’un
certain niveau d’armement des forces
palestiniennes. Malgré ces propositions,
malgré la réaffirmation de l’Autorité
qu’elle est prête à négocier sur la base
d’un arrêt total de la colonisation et
de la reconnaissance que les frontières
de 1967 sont le point de départ des
négociations, personne ne croit ici une
entente possible avec le gouvernement de
Benyamin Nétanyahou. Même si tout le
monde reconnaît qu’il est bien difficile
de savoir ce que pense le président
Mahmoud Abbas, entouré de conseillers
aux avis totalement divergents. Ce flou
pèse aussi sur les deux autres dossiers.
Le discours de M. Abbas devant
l’Assemblée générale de l’ONU le 23
septembre 2011 lui a permis de regagner
une popularité en déclin. Le vote à
l’Unesco a aussi galvanisé la
population, même s’il est plus le fruit
du hasard que d’une vraie stratégie,
comme le confirme M. Riyad Al-Maliki,
ministre des affaires étrangères : «
La question de la Palestine se pose à
chaque conférence générale de l’Unesco,
tous les deux ans. Elle est venue cette
année et les médias ont commencé à en
parler. Il nous a semblé alors difficile
de faire marche arrière. » Ce que le
ministre ne dit pas, c’est que Mahmoud
Abbas, marqué par sa volte-face sur le
rapport Goldstone sur l’invasion
israélienne de Gaza (sur cet épisode,
lire sur ce blog «
Du rapport Goldstone à la campagne
contre Agrexco », 6 octobre 2009), a
craint une réaction de l’opinion
palestinienne en cas de renonciation au
vote à l’Unesco. « L’opinion publique
palestinienne, pour laquelle le
président, comme la plupart des
dirigeants de l’Autorité, n’avait pas un
grand respect, est devenue un facteur
politique important », note un
intellectuel palestinien.
Mais le résultat du vote à l’Unesco
ne suscite pas ici une grande euphorie :
certes la Palestine a obtenu 108 voix,
mais c’est proportionnellement moins que
l’appui à la candidature de l’OLP comme
membre observateur à l’ONU en 1974, et
loin des quelque 130 Etats qui
reconnaissent la Palestine. On explique
au ministère que beaucoup de pays n’ont
pas pu être présents pour des raisons
techniques, mais on reconnaît en même
temps la force des pressions
occidentales.
Celles-ci sont venues de nombreuses
sources, des Etats-Unis, du Canada et de
Mme Catherine Ashton (agissant au nom de
qui ?) : Washington a menacé le
Monténégro de ne pas accepter sa
candidature à l’OTAN ; Ottawa a envoyé
une lettre à tous les membres de
l’Unesco, les appelant à refuser la
demande palestinienne ; Mme Ashton a
menacé les pays candidats à l’Union
européenne comme la Croatie. L’Allemagne
a aussi fait courir le bruit que Mahmoud
Abbas était opposé à la démarche à
l’Unesco.
Désormais, la stratégie de
l’Autorité, c’est de ne pas soumettre la
candidature de la Palestine dans les
autres organisations membres de l’ONU (à
l’exception, peut-être, de
l’Organisation mondiale de la santé, où
cette adhésion est soumise de manière
routinière). Pourquoi ? – D’un côté, les
Etats-Unis ont annoncé que cela
aboutirait à une rupture des relations
entre l’Autorité et l’administration
américaine ; de l’autre, explique le
ministre, « le secrétaire général de
l’ONU nous a vivement priés de ne pas le
faire, car les conséquences financières
sur l’organisation seraient lourdes et
parfois, comme pour l’Unesco,
sanctionneraient des pays pauvres ».
Pour M. Al-Maliki, l’offensive doit
se poursuivre au Conseil de sécurité où,
à partir de janvier, siègeront de
nouveaux Etats membres. La situation
apparaît toujours incertaine et
l’Autorité n’est pas sûre d’obtenir les
neuf voix nécessaires. Le Togo, le
Guatemala, l’Azerbaïdjan, le Maroc et le
Pakistan remplaceront, au 1er janvier
2012, le Gabon, le Nigeria, la Bosnie,
le Liban et le Brésil.
« Nous allons concentrer nos
efforts sur certains de ces pays,
notamment le Guatemala, explique le
ministre, qui prépare une tournée en
Amérique latine où l’OLP dispose d’un
soutien très important. Nous finirons
par obtenir les neuf voix nécessaires
pour aller au vote. » Mais si
Washington utilise son veto ? « Nous
sommes prêts à aller devant la Cour
internationale de justice pour lui
demander si un membre permanent du
Conseil de sécurité a le droit
d’utiliser son veto pour s’opposer à une
adhésion, ce n’est pas conforme aux
statuts. »
« On a atteint le plafond de
l’offensive, explique un
intellectuel. Nous ne pouvons pas
aller plus loin, car Mahmoud Abbas
refuse un bras-de-fer avec les
Etats-Unis. »
Résumons la contradiction dans
laquelle Abou Mazen est enfermé : il est
l’architecte des accords d’Oslo de 1993
et il n’arrive pas à y renoncer ; il ne
veut pas finir, alors qu’il a 78 ans,
dans les « poubelles de l’histoire »,
comme le traître. « Je ne serai pas
le Antoine Lahad de la Palestine »,
aurait-il rétorqué aux Américains qui
voulaient qu’il accepte qu’Israël ne
verse les fonds bloqués que pour
financer l’appareil de sécurité. Il
faisait référence à ce militaire
libanais qui a dirigé l’Armée du
Liban-Sud dans les années 1980 et
collaboré avec les occupants israéliens.
Mais, en même temps, certains dans
l’Autorité veulent encore croire à un
changement des Etats-Unis avant la
présidentielle de novembre 2012. Ils
mettent en avant la déclaration du
secrétaire d’Etat américain à la défense
Leon Panetta demandant aux Israéliens
s’il est suffisant d’être assuré de la
supériorité militaire, « si vous êtes
en train de vous isoler dans l’arène
diplomatique ». (LeMonde.fr,
3 octobre.)
(Je reviendrai dans un prochain envoi
sur les négociations entre le Fatah et
le Hamas.)
Les analyses d'Alain Gresh
Les dernières mises à jour
|