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Opinion
L'Egypte derrière
l'accord Hamas-Fatah
Alain Gresh
Alain Gresh
Mardi 3 mai 2011
Le mercredi 4 mai, les représentants de treize factions
palestiniennes devaient signer au Caire l’accord auquel elles
sont parvenues. Cette cérémonie fait suite à l’entente entre le
Hamas et le Fatah survenue quelques jours plus tôt, sous l’égide
de l’Egypte.
Le texte prévoit la formation d’un gouvernement de
technocrates ou d’indépendants ; la tenue d’élections
présidentielle et législative d’ici un an ; la réforme de
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et une
solution à la division des organes de sécurité. Comme il est
prévu par les accords d’Oslo, c’est l’OLP et elle seule qui est
habilitée à négocier des solutions de paix avec le gouvernement
israélien (lire « Palestinian
factions sign reconciliation deal », Al-Jazeera English,
3 mai.)
Ce texte facilitera sans aucun doute la campagne de
l’Autorité en faveur de la reconnaissance par l’Assemblée
générale des Nations unies d’un Etat palestinien indépendant
dans les frontières de juin 1967, avec Jérusalem-Est comme
capitale. Il a donc suscité un rejet immédiat de la part des
Israéliens — qui ont déjà commencé à prendre des mesures de
rétorsion, notamment en arrêtant les paiements de taxes qu’ils
collectent au nom de l’Autorité palestinienne — et a reçu un
accueil très froid de l’administration américaine. Il est encore
difficile de savoir comment il sera appliqué, mais le texte
reflète les profonds changements qui affectent la région.
L’accord entre le Fatah et le Hamas a pris par surprise tous
les observateurs qui regardaient les deux parties négocier
depuis des années, sans jamais aboutir. Les raisons de cette
entente sont nombreuses, certaines tenant à la situation
palestinienne, d’autres à l’évolution régionale du fait,
notamment, des changements en Egypte.
Les raisons du Fatah et du Hamas
Les deux partis ont été confrontés, depuis les révolutions
dans le monde arabe, à la montée d’un mouvement de contestation,
certes limité, mais
réel. Ici, le but n’était pas « la chute du régime » mais
« la chute (la fin) de la division ». Les deux y ont répondu par
un mélange de pressions et de répression, mais aussi en
reprenant à leur compte les demandes populaires.
Plus largement, les deux organisations sont dans une impasse
stratégique. Le processus de paix est mort et toute la politique
de négociations du Fatah et de l’Autorité palestinienne se
heurte à un refus sans faille du gouvernement israélien. Celle
du Hamas aussi, qui parle de résistance, mais cherche à
maintenir un cessez-le-feu avec Israël et même à l’imposer aux
autres forces palestiniennes.
La frustration de Mahmoud Abbas est bien illustrée par
l’article de Newsweek (Dan Ephron, 24 avril) « The
Wrath of Abbas ». Il y raconte notamment sa conversation
avec Barack Obama, qui lui demandait de retirer de la discussion
du Conseil de sécurité de l’ONU la résolution condamnant la
colonisation israélienne. Il dénonce les pressions et même les
menaces du président américain. Rappelons que cette résolution a
été rejetée par une voix (prépondérante), celle des Etats-Unis,
contre quatorze voix de tous les autres Etats. Il est aussi
évident que le président palestinien a dû tenir compte des
évolutions en Egypte — j’y reviens plus bas.
Le Hamas est aussi en difficulté sur le terrain. En plus de
l’impasse stratégique, il doit faire face à des groupes
salafistes, certains liés à Al-Qaida, qui lui reprochent à la
fois de ne pas résister et de ne pas assez islamiser la société.
D’autre part, la poursuite du blocus israélien et les
difficultés quotidiennes de la population érodent en partie son
influence à Gaza.
Mais d’autres raisons, liées aussi à la révolte arabe, le
poussent au compromis.
Les manifestations en Syrie et leur violente répression par
le régime affaiblissent un de leurs alliés principaux, un allié
qui abrite la direction extérieure du Hamas depuis son expulsion
de Jordanie. Le fait que le cheikh Youssef Al-Qardhawi, un des
prêcheurs les plus populaires de l’islam sunnite, considéré
comme lié aux Frères musulmans (dont le Hamas est issu),
ait fortement condamné Assad ne peut qu’amener
l’organisation à prendre quelque distance, même si elle a
démenti toute intention de s’installer ailleurs (sur la
situation en Syrie, on lira dans Le Monde diplomatique de
mai l’article de Patrick Seale,
« Fatal aveuglement de la famille Al-Assad en Syrie »).
D’autre part, les événements du
Bahreïn, la violente propagande anti-chiite menée par les
pays du Golfe, ont aggravé les tensions entre chiites et
sunnites dans la région. Or le Hamas est non seulement partie
prenante de la mouvance des Frères musulmans, mais une partie de
ses fonds vient des riches hommes d’affaire du Golfe, qui ne
voient pas d’un bon œil son alliance avec l’Iran. Dans ces
conditions, un rapprochement avec le Fatah et surtout avec
l’Egypte est une nécessité pour le Hamas.
Changements en Egypte
L’accord entre le Hamas et le Fatah reflète aussi et
surtout la nouvelle politique extérieure égyptienne. Le
Caire, sans rompre avec les Etats-Unis, sans remettre en
cause le traité de paix avec Israël, se dégage de la
politique de soumission aux intérêts israéliens et
américains. Moubarak s’opposait à l’unité entre le Fatah
et le Hamas, notamment parce qu’il craignait l’influence
des Frères musulmans dans son pays ; il considérait Gaza
comme un problème sécuritaire et participait à son
blocus. Alors que les Frères musulmans s’apprêtent à
participer aux élections de septembre en Egypte, et
peut-être même au gouvernement, ces craintes ne sont
plus de mise. D’autant que le climat démocratique en
Egypte permet l’expression plus forte de la solidarité
avec les Palestiniens et du refus massif du blocus, dont
le gouvernement doit tenir compte.
Le ministre des affaires étrangères égyptien a
affirmé avec force que le point de passage de Rafah
serait ouvert, qualifiant de « honteux » le
blocus israélien (lire « Egypt
to throw open Rafah border crossing with Gaza »,
Ahram online, 29 avril). Presque plus importante est la
déclaration du chef d’état-major égyptien Sami Anan :
celui-ci a mis en garde Israël contre toute tentative
d’interférer dans la décision prise par Le Caire (« Egypt
warns Israel : Don’t interfere with opening of Gaza
border crossing », Haaretz, 30 avril). Une
autre source israélienne lui fait dire : « Le
gouvernement israélien doit faire preuve de retenue
quand il discute des pourparlers de paix. Il doit
s’abstenir de s’ingérer dans les affaires intérieures
palestiniennes. » (« Egypt
to open Rafah crossing », Y-net, 29 avril).
Cette inflexion se traduit dans les relations de
l’Egypte avec l’Iran, puisque l’on parle de reprise des
relations diplomatiques entre les deux pays. Téhéran,
comme Damas, a d’ailleurs salué l’accord
interpalestinien. « Il y a un nouveau sentiment en
Egypte, que l’Egypte doit être respectée comme une
puissance régionale », explique un spécialiste
égyptien de relations internationales, cité par David
Kirkpatrick, « In
Shift, Egypt Warms to Iran and Hamas, Israel’s Foes »,
New York Times, 28 avril 2011.
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