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Al-Ahram Hebdo
La contestation ne désarme pas
Abir Taleb

Photo Al-Ahram
Mercredi 24 juin 2009
Iran.
La crise née de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad se poursuit
toujours. Le candidat de l’opposition Mir Hossein Moussavi
appelle à maintenir le mouvement de protestation, Téhéran crie
au complot international. Si la
réélection du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, était
relativement inattendue, c’est surtout la contestation qui
s’ensuivit, et qui se poursuit encore, qui a créé une véritable
surprise. En effet, c’est la première fois depuis la Révolution
islamique de 1979 que l’Iran connaît des troubles politiques de
cette ampleur. Et l’issue de la crise reste incertaine. D’ores
et déjà, il n’est pas question pour le pouvoir de remettre en
cause les résultats des élections du 12 juin. L’organe, chargé
d’examiner les plaintes pour irrégularités déposées à la suite
du scrutin du 12 juin, a déclaré que l’examen des cas, où le
taux de participation s’est révélé supérieur à 100 %,
n’affecterait pas le résultat final. Pourtant, le porte-parole
du Conseil des gardiens, chargé d’examiner les plaintes pour
irrégularités de la présidentielle, a reconnu qu’il y avait eu
lors du scrutin plus de votes que d’électeurs potentiels dans
cinquante districts, a rapporté lundi la télévision d’Etat. «
Notre enquête préliminaire montre que le chiffre annoncé (170
districts, ndlr) n’est pas correct et que cela concerne 50
districts », a déclaré Abbas Ali Kadkhodaie. Et de conclure : «
Mais l’ensemble des voix de ces districts est de 3 millions de
votes et cela n’aura pas une influence importante sur les
résultats de l’élection ».
Une affirmation qui est loin de pousser les
opposants à M. Ahmadinejad à baisser les bras. Au contraire,
malgré le calme relatif de la journée de dimanche dernier, la
contestation n’a pas fléchi depuis l’annonce des résultats la
semaine dernière, et le candidat de l’opposition à la
présidentielle du 12 juin, Mir Hossein Moussavi, a de nouveau
appelé dimanche à la poursuite du mouvement de protestation,
tout en faisant preuve de modération. Et les tensions politiques
au sein du régime ont reçu une nouvelle illustration avec la
confirmation de l’arrestation de cinq proches de l’ex-président
Akbar Hachémi Rafsandjani, personnalité influente accusée par M.
Ahmadinejad de soutenir M. Moussavi. Même si les cinq personnes,
dont la propre fille de M. Rafsandjani, ont été ensuite
libérées, l’épisode n’a fait que compliquer davantage les
tensions politiques internes. Du côté du pouvoir, ces
arrestations ont été justifiées car nécessaires, selon le
régime, pour « protéger (les cinq membres de la famille de M.
Rafsandjani) d’éventuels projets d’assassinat de la part des
fauteurs de trouble ».
Peu convaincant, diront les opposants,
d’autant plus que la manière forte adoptée par les forces de
l’ordre est pointée du doigt, alors qu’au moins 17 personnes
sont mortes depuis le début du mouvement de contestation. «
J’attends, pour ma part, des forces armées qu’elles
s’abstiennent de tout acte dommageable. Protester contre le
mensonge et la fraude est votre droit », a dit M. Moussavi
dimanche soir, tout en invitant son « cher peuple à la retenue
». « Espérez obtenir vos droits et ne permettez pas que ceux qui
veulent vous mettre en colère réussissent », a déclaré le
candidat conservateur modéré, disant aussi souhaiter « que la
police et l’armée n’agissent pas de manière irréparable envers
le peuple ».
Cet appel est intervenu à la suite d’une
journée sanglante. Samedi, Téhéran a connu un déchaînement de
violence, dans lequel au moins dix personnes ont été tuées et
plus de 100 blessées, selon la télévision d’Etat. Des
participants aux manifestations ont mis en cause une réaction
disproportionnée des forces de sécurité avec l’usage de tirs à
balles réelles. Des sources policières ont fait état de
l’arrestation de 457 personnes dans les affrontements de samedi
soir autour de la place Azadi, dans le centre de Téhéran, selon
la radio d’Etat. Selon l’agence semi-officielle Fars, proche du
gouvernement, qui cite également des sources policières, 40
policiers ont été blessés et 34 bâtiments gouvernementaux
endommagés.
La main de l’Occident
Face à ces troubles, les autorités
iraniennes ont pointé du doigt l’Occident. Le porte-parole du
ministère des Affaires étrangères a jugé « inacceptable que les
puissances occidentales, ainsi que les médias occidentaux,
répandent l’anarchie et le vandalisme ». « Dans de nombreux pays
européens de même qu’en Amérique, on soutient une partie des
émeutiers au lieu d’inviter le peuple à s’en remettre aux
mécanismes de la démocratie », a ajouté Hassan Qashqavi cité par
Press TV, télévision publique iranienne en langue anglaise. La
veille, Mahmoud Ahmadinejad avait ouvertement demandé aux
Etats-Unis et à la Grande-Bretagne de cesser leurs ingérences
dans les affaires intérieures de l’Iran. Et le gouvernement
iranien a convoqué les ambassadeurs et représentants des 27 pays
européens en poste à Téhéran, selon le ministre tchèque des
Affaires étrangères, Jan Kohout, dont le pays assure la
présidence de l’Union européenne.
En effet, nombreuses sont les capitales
occidentales qui ont fermement réagi à la crise actuelle en
Iran. Le président français, Nicolas Sarkozy, et la chancelière
allemande, Angela Merkel, ont pris dimanche la tête des
critiques contre les autorités iraniennes, M. Sarkozy réclamant
« que la lumière soit faite » sur la présidentielle et Mme
Merkel appelant à « un nouveau décompte des voix ». Tous deux
ont par ailleurs réclamé la fin de la répression et des
violences contre les manifestants. Côté américain, le président
américain, Barack Obama, a lui aussi exhorté le gouvernement
iranien à « mettre fin aux violences et aux actions injustes
contre son propre peuple ». Et à Londres, le ministre
britannique des Affaires étrangères, David Miliband, a «
catégoriquement rejeté l’idée selon laquelle les manifestants
iraniens (seraient) manipulés ou inspirés par des pays étrangers
».
Ainsi, cette nouvelle crise vient envenimer
un peu plus les relations entre Téhéran et les capitales
occidentales, déjà tendues en raison notamment de la question
nucléaire et du soutien iranien au Hezbollah. D’où l’intérêt
général porté à la situation politique interne en Iran. Car une
chose est sûre aujourd’hui : ce qui se passe dans la République
islamique ne concerne pas que les Iraniens.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 25 juin 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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