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Al-Ahram Hebdo
Un scrutin sous
haute tension
Maha Al-Cherbini

Photo Al-Ahram
Mercredi 19 août 2009
Afghanistan.
Avec la menace grandissante des talibans
qui ont juré de saboter les présidentielles et provinciales du
20 août, le bon déroulement du scrutin semble être un enjeu
majeur. Le jeudi 20 août, quelque
17 millions d’Afghans sont appelés à élire leur président pour
la seconde fois de leur histoire après l’élection de 2004, et
leurs représentants au sein des 34 conseils provinciaux, sous la
surveillance de 200 000 soldats afghans et 100 000 soldats
étrangers pour assurer la sécurité d’un scrutin « sous haute
tension ».
Il y a plusieurs semaines, les talibans ont
promis de saboter ces élections, les considérant comme « une
imposture orchestrée par les Américains » et ont sommé les
Afghans de ne pas se présenter aux bureaux de vote, les appelant
à prendre les armes contre les « envahisseurs » étrangers.
Dimanche, les insurgés ont menacé, pour la première fois,
d’attaquer directement les bureaux de vote lors des élections.
La menace, inscrite sur des tracts affichés et déposés dans des
villages du sud, a été authentifiée par le porte-parole rebelle,
Yousuf Ahmadi. « Les Afghans ne doivent pas participer aux
élections pour ne pas devenir victimes de nos opérations, parce
que nous allons utiliser de nouvelles tactiques », a souligné le
chef taliban, jurant que ses hommes vont couper les routes
menant aux urnes.
Selon les analystes, ces menaces talibanes
pourraient bien saboter le scrutin car cette ambiance
d’insécurité fait craindre une forte abstention des électeurs. «
Une participation élevée est primordiale pour que les
élections soient considérées comme légitimes. Mais le peuple,
déjà déçu par le gouvernement de Hamid Karzaï, qu’il juge
corrompu et incompétent, pourrait bien s’abstenir, surtout sous
cette ambiance d’insécurité », analysent les experts.
En effet, le peuple afghan a plein de raisons
de penser mille et une fois avant de se diriger aux urnes jeudi,
car les violences ont atteint, ces dernières semaines, un niveau
inédit depuis l’intervention internationale qui a chassé les
talibans du pouvoir fin 2001. Dans une nouvelle démonstration de
force des insurgés, un attentat majeur a secoué le cœur de
Kaboul samedi, à 5 jours du scrutin, quand un kamikaze a fait
sauter sa voiture bourrée d’explosifs près du quartier général
des forces de l’Otan, l’Isaf, et de l’ambassade des Etats-Unis.
Selon un dernier bilan du ministère afghan de la Défense, 7
civils ont été tués et une centaine de personnes blessées, lors
de l’attaque qui a été rapidement revendiquée par les
islamistes.
Dimanche, 3 soldats britanniques, 2
militaires américains ainsi que 14 civils afghans ont été
également tués dans le sud de l’Afghanistan. Avec 76 morts le
mois dernier seulement, les pertes des troupes étrangères
avaient atteint un record absolu depuis que les talibans avaient
été chassés du pouvoir, fin 2001. Cet état de choses a poussé le
commandant des forces américaines en Afghanistan, le général
Stanley McChrystal, à avouer que les talibans ont pris le dessus
dans le pays et ont gagné du terrain au-delà de leurs bastions
dans le sud. « C’est un ennemi très agressif », avoue M.
McChrystal.
Manifestant son inquiétude, la Commission
électorale indépendante afghane a affirmé que plus de 12 % des
bureaux de vote pourraient rester fermés le jour des élections
en raison des menaces de violences. « Il ne pourrait y avoir que
6 200 bureaux de vote ouverts dans le pays le 20 août, au lieu
des quelque 7 000 prévus au départ, faute de pouvoir assurer la
sécurité des électeurs », a déclaré l’un des responsables de la
Commission, Zekria Barakzai, ajoutant que les conditions de
sécurité seraient évaluées jusqu’à la dernière minute.
Des observateurs prédisent aussi que des
manœuvres frauduleuses marqueront sans doute les élections et
s’attendent à des actes d’escroquerie dans des bureaux de vote
situés dans des secteurs isolés et dangereux. Déjà, 67
observateurs européens sont arrivés en Afghanistan cette semaine
pour superviser les élections, mais leur mission « assez
difficile » sera conditionnée par la sécurité, a annoncé la
Commission européenne.
Karzaï reste grand favori du scrutin
Malgré tout ce tourbillon d’insécurité et de
tension, le président sortant, Hamid Karzaï reste toujours grand
favori du scrutin. Selon tous les sondages, il briguera un
second mandat de 5 ans bien que le scrutin s’annonce cette fois
beaucoup plus « serré » que celui de 2004. Tout au long de cette
semaine, Karzaï est apparu très sûr de l’emporter, au point
qu’il a déjà offert des postes au sein de son éventuelle
administration à ses deux principaux opposants, Abdullah
Abdullah et Ashraf Ghani, respectivement ex-ministre des
Affaires étrangères et ex-ministre des Finances. Ces derniers
ont pourtant répliqué qu’ils allaient d’abord attendre le
résultat de l’élection.
Selon les analystes, maints facteurs placent
Karzaï, favori du scrutin, entre autres le soutien farouche que
lui procurent les Occidentaux, le fait qu’il ait déjà occupé ce
poste pour 5 ans et, plus important aussi, l’absence d’un
opposant de poids devant lui parmi les 39 candidats au scrutin.
Bien que Karzaï reste le favori du scrutin,
un seul adversaire lui semble plus ou moins redoutable, c’est
son ancien ministre des Affaires étrangères Abdullah Abdullah
qui a adressé cette semaine au président des critiques
virulentes, l’accusant de ne pas être en mesure d’assurer une
sécurité suffisante pour le scrutin. Optimiste, Abdullah pense
que ce scrutin sera porteur d’un nouveau départ pour le peuple
afghan. « Le 20 août sera un jour de gloire pour le peuple
afghan. Il signifiera la fin de l’ombre et le début de la
lumière, l’arrivée de l’espoir et le changement dans la vie des
Afghans », a espéré Abdullah, promettant au peuple afghan le
changement, et notamment l’introduction du suffrage direct pour
l’élection des gouverneurs de provinces, aujourd’hui nommés par
le président. « Ne pensez pas que c’est terminé. Cette élection
sera très serrée », a juré l’ancien ministre des Affaires
étrangères.
Sûr pourtant de l’emporter, M. Karzaï a
intensifié cette semaine sa campagne électorale, demandant aux
militants d’éviter de « créer des problèmes aux gens qui
voudront exercer leur droit de vote ». Pour Ahmad Wali Karzaï,
frère du président, qui dirige sa campagne électorale, les
violences talibanes n’empêcheront pas son frère de gagner, la
plupart des électeurs — jusqu’à 70 %, selon lui — votant
dans des zones urbaines où les talibans ont une influence
limitée.
Le frère du président a, bien plus, affirmé
que des chefs talibans du sud du pays avaient accepté de ne pas
mener d’attaques menaçant la sécurité des Afghans lors des
élections. « Certains accords sont déjà conclus entre le
gouvernement et des talibans, mais pas avec les talibans
appartenant à Al-Qaëda », a-t-il ajouté, refusant de dévoiler
les détails de cet accord. Cette annonce a cependant été
démentie par le porte-parole des talibans qui a rejeté tout
accord avec les autorités. « Nous n’avons parlé à personne. Ni
nos commandants locaux, ni nos chefs n’ont parlé à quiconque et
ils ne le feront pas », a-t-il déclaré. Les talibans ont refusé
de manière répétée d’engager des pourparlers de paix
régulièrement proposés ces dernières années par le gouvernement
Karzaï, posant comme condition préalable le retrait des troupes
étrangères du pays.
Deux scénarios prévus
A l’heure actuelle, deux scénarios sont sur
la table. Le premier est l’organisation d’un second tour si
Karzaï ne réunit pas les 50 % des suffrages requis à cause d’un
faible taux de participation. Un scénario déjà prédit par
certains sondages qui pronostiquent que Karzaï ne remporterait
que 45 % des voix et il serait contraint à un second tour face à
Abdullah Abdullah, crédité, lui, de 25 %. Second scénario : au
cas où Karzaï emporterait le scrutin dès le premier tour, une
large vague de manifestations post-électorales secouera le pays
à l’instar de l’Iran, car les candidats défaits et leurs
militants n’accepteront pas les résultats. Un tel dénouement
pourrait mener à une grave crise politique dans un pays où le
gouvernement central a déjà du mal à contrôler la situation.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 19 août 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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