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Gaza
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La vie
dans les ténèbres
Achraf Aboul-Hol
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Bande de
Gaza. Dans ce territoire
assiégé où règnent toutes sortes de pénuries et où la population
est à la merci de raids et de tirs continuels de la part
d’Israël, la nuit équivaut à un véritable enfer. Reportage.
Photo Al-Ahram
Mercredi 12 mars 2008
Noir et blanc ou toutes les
couleurs de l’arc-en-ciel ? Les images que l’on regarde sont
l’une ou l’autre. Mais désormais, il y a dans certains endroits
une seule couleur : c’est le noir et celle-ci est prédominante à
Gaza. On n’y peut observer que le noir de jour comme de nuit.
Et si l’on commençait par la
nuit, nous découvrirons que le secteur de Gaza est le seul
endroit du monde où la vie devient évanescente dès le coucher du
soleil. Une fois les citoyens ayant accompli la prière du
maghreb (crépuscule), on voit les différents aspects de la vie
disparaître. Le silence absolu s’impose quelque temps après :
c’est-à-dire dès que la dernière prière se termine. Tout le
monde rentre chez soi. Ils sont obligés. Le courant électrique
est coupé dans la ville du moins dans la majorité de ses
quartiers. Une autre raison aussi, la peur des spectres noirs
qui hantent le ciel et dont on entend le bruit terrifiant même
s’ils sont invisibles, c’est-à-dire ces avions israéliens de
tous types qui survolent la ville et qui semblent vouloir mettre
en garde les habitants contre toute présence dans la rue. Ces
avions menacent de bombarder et pour eux aucun objectif n’est
interdit : bâtiments, véhicules et même les personnes se
déplaçant à pied ...
Si l’on a le courage de sortir la
nuit, défiant l’obscurité et les bruits des avions qui semblent
interpréter un ballet funèbre dans le ciel, notamment les
appareils de reconnaissance qu’on appelle les « bourdonnantes »,
rien ne peut assurer le moindre plaisir. Tous les magasins sont
fermés. Pas de vente ni d’achat dans le noir. Si quelqu’un
s’aventure et ouvre sa boutique, ce sera pour échapper à
l’ennui. Il n’y aura pas de clients pour acheter. On fait face à
la coupure en se couchant tôt. Même le bruit des « bourdonnantes
» ne dérange plus. Les gens s’y sont habitués. Certains même ne
se préoccupent pas du son assourdissant des bombardements qui
fait partie du rituel quotidien de la nuit à Gaza. Ces tirs,
notamment ceux des canons, sur n’importe quelle partie du
secteur qui fait 40 km de long et 12 de large, résonnent partout
dans le secteur.
Concernant les voitures, elles
sont absentes. On peut circuler dans la rue les yeux fermés sans
rien craindre. Les voitures se couchent avant les hommes et pour
des raisons de force majeure. Israël a coupé, en grande partie,
les approvisionnements en essence depuis deux mois environ, tant
et si bien que les propriétaires des véhicules et les chauffeurs
rêvent d’obtenir 5 litres par jour, oui juste 5 litres.
Et si le promeneur de nuit tombe
sur un mouvement ou une circulation inhabituelle, des gens qui
se mettent en rang, c’est qu’il y a quelque chose d’insolite. Il
n’a qu’à dépasser les autres et se mettre en tête de la file
d’attente pour se rendre compte qu’il s’agit d’essence. Ce
liquide précieux n’arrive aux stations que de nuit. C’est alors
que l’on voit les gens se lever de leurs lits et affluer sur les
stations d’essence. La plupart reviennent malheureusement
bredouilles. La quantité est insuffisante. Et puis personne ne
peut faire le plein. 5 litres c’est le maximum. Et la plupart
des gens qui attendent ne sont pas des chauffeurs ou des
conducteurs de camions. Il y a une nouvelle catégorie de
personnes, celles qui possèdent des générateurs, dont le
commerce s’est épanoui suite à la destruction de l’unique
centrale électrique du secteur, suite aux bombardements
israéliens qui ont eu lieu après la capture du caporal israélien
Shalit en juin 2006. Même après la remise en état de la
centrale, cette catégorie a continué à s’enrichir puisqu’Israël
a réduit les approvisionnements d’essence de manière drastique
depuis la fin de l’année dernière pour punir la population de
Gaza et la pousser à vivre dans l’obscurité et lui interdire
l’usage des voitures.
Cette image de la nuit de Gaza ne
devient exhaustive si l’on ne cite pas les sirènes des
ambulances qui retentissent. Il n’y a pas une nuit sans que les
appareils israéliens n’expérimentent leurs missiles modernes sur
n’importe quelle cible palestinienne. D’habitude, il s’agit des
mourabitoun ou les vigiles, ces jeunes dont certains sont des
médecins, d’autres des enseignants, ou des fonctionnaires et
même des policiers. Ce sont des volontaires qui montent la garde
dans les zones proches des frontières israéliennes pour
surveiller toute incursion israélienne et alerter les
résistants. D’où le fait que ces vigiles sont une cible
privilégiée pour l’aviation et l’artillerie israéliennes qui les
traitent comme des combattants hostiles, alors qu’ils prennent
position à l’intérieur de Gaza et ne participent à aucune
offensive, n’étant d’ailleurs pas préparés à ce genre
d’opérations.
Avec la dissipation de
l’obscurité et l’apparition des lueurs de l’aube, la situation
commence à changer. Evidemment il y a des choses permanentes, le
survol par les avions israéliens dont le type change cependant.
Les hélicoptères remplacent les
appareils bourdonnants qui risquent de se trouver une proie
facile pour la défense antiaérienne, des canons de 14,5
millimètres qui sont entre les mains des résistants, une arme
capable d’abattre ces avions relativement lents, s’agissant
d’appareils de reconnaissance et de prises de vue et qui sont
sans pilote ? Toutefois, ils sont munis de lance-missiles et de
mitrailleuses. Leur travail reste compliqué parce qu’ils doivent
voler à basse altitude. Les hélicoptères et les F16 sont plus
opérationnels de jour grâce à leur capacité de manœuvres et de
survol à haute altitude. Cela dit, ces appareils opèrent aussi
de nuit pour cibler des objectifs précieux ou semer la terreur.
Leur simple apparition est synonyme de mort.
Le noir du deuil
De jour, la physionomie de Gaza
se modifie, mais le noir reste la couleur dominante, celle du
deuil notamment après les massacres collectifs commis par
l’armée israélienne et qui ont pris cette allure de holocauste
avec quelque 140 Palestiniens tués, dont la moitié est composée
d’enfants et de femmes, avec comme prétexte de mettre fin aux
tirs de roquettes. Au cours de la période entre le 28 février et
le 5 mars, Tsahal avait tué 110 citoyens, dont 51 civils, parmi
lesquels 27 enfants et 6 femmes. Il y a eu également 236
blessés, des civils pour plus de la moitié, dont 11 femmes et 58
enfants. Ce triste bilan ne comprend pas les dizaines de martyrs
tués le premier jour, c’est-à-dire le 27 février. Les rapports
des organisations des droits de l’homme relèvent que 69 de ces
tués étaient des civils, dont 20 enfants et 3 femmes. Ce
massacre s’est déroulé dans la ville de Jabalia et son
périmètre, suite à une offensive terrestre et aérienne précédée
de raids aériens sur des objectifs militaires et civils au nord
de cette localité. L’horreur des crimes commis par la machine de
guerre israélienne, où les civils ont été ciblés notamment les
enfants et ce de manière directe, est décrite dans ces rapports.
Les scènes d’horreur sont terribles. Le 28 février, par exemple,
quatre enfants ont été tués, dont 3 d’une même famille suite à
un tir de roquette dirigé contre eux alors qu’ils jouaient au
football dans un terrain situé près de leur maison à Jabalia. Un
cinquième enfant, visé par un missile, a été tué alors qu’il
gardait des moutons dans un pâturage à Beit-Lahia.
Les deux premiers jours de mars,
toujours à Jabalia et son périmètre, 7 enfants ont trouvé la
mort, également visés par un missile alors qu’ils se trouvaient
à proximité d’une voiture que l’aviation israélienne venait de
bombarder. Un frère et une sœur ont été tués dans le
bombardement de leur maison, alors qu’ils se trouvaient dans
leur chambre. Une fillette de deux ans a péri, elle aussi, suite
à un tir de missile alors qu’elle était dans le jardin de sa
maison en train de jouer avec ses frères et sœurs.
Ces deux jours aussi, 3 enfants
ont été tués suite à un tir d’obus. Deux frères ont trouvé la
mort chez eux suite à un tir délibéré de la part de snipers
israéliens postés sur les toits des maisons. Leur père a été
blessé.
Le drame de Mounir
Il faut avoir beaucoup de courage
pour se rendre à Jabalia. Une fois là-bas, vous ne serez plus la
même personne. La tragédie de Gaza vous marquera à jamais
surtout si vous rendez visite à la famille Dourdouné et
rencontré le citoyen Mounir Dourdouné qui est sourd-muet. Il a
vu mourir devant lui son enfant unique Ali, déchiqueté par le
tir d’un missile lancé par un avion. Mounir n’arrive pas à
croire ce qui se passe. Il ne fait maintenant qu’aller chercher
son enfant dans les différents lieux, où il avait l’habitude de
se rendre, sa quête impossible se termine toujours par un
évanouissement.
Le choc subi par Mounir, qui
habite la région de Jabal Al-Kachef, est allé plus loin,
au-dessus de ses capacités. Il crie à tout moment en portant les
restes de la chemise de son petit déchiqueté par les missiles
israéliens. Il ne cesse de porter à ses lèvres ces lambeaux et
pleurer, tentant de prononcer un mot ou une phrase : « Pourquoi
m’ont-ils pris mon enfant ? C’était l’unique cause de mon
bonheur ».
Le terrorisme israélien ne s’est
pas limité à l’assassinat de Ali. Voire, les Israéliens ont
détruit la demeure avec un missile lors d’un raid qui a fait des
centaines de morts et de blessés. Mounir n’a plus de maison, ni
de source de subsistance. Il vit avec des parents mais n’arrive
pas à dormir ni à se calmer, sortant toujours à la recherche de
son enfant.
Ce drame, celui du père qui tient
en permanence les lambeaux de la chemise de son enfant a été la
principale cause qui a poussé un jeune Arabe de Jérusalem qui
menait une vie tranquille, Alaa Abou-Dhaim, à exécuter cet
attentat contre un centre talmudique à Jérusalem-Est jeudi
dernier et qui a fait huit morts et 35 blessés, suscitant des
tirs de joie de la part des Palestiniens meurtris et blessés.
Voici le résultat de cette sanglante opération israélienne.
Si la nuit s’enveloppe
normalement de noir, le jour à Gaza est la noirceur même
poussant au désespoir. Les gens ne sont pas seulement privés
d’électricité, d’essence, poussés ainsi à se coucher tôt, mais
ils subissent aussi cet étranglement pendant le jour. Sortir
pour chercher une voiture pour vous accompagner au travail est
quasiment impossible. Il n’y aura pas d’essence ? Il n’y a pas
aussi d’argent à retirer d’une banque. On vous dira qu’il y a un
manque de liquidités, même si la somme a été transférée de
l’étranger. Aller au marché pour s’approvisionner est une autre
source de déception, il faut accepter ce que l’on vous propose.
Même les produits que les commerçants ont introduits à Gaza au
moment de l’ouverture de la frontière avec Rafah sont en rupture
de stock.
Dernière image faite de noir,
l’absence d’eau potable. La mort vous attend parce qu’il
n’existe pas de produit d’épuration. Il faut donc bouillir
l’eau. Comment donc tendre la main vers l’autre qui n’attend que
l’occasion de vous la couper ?
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 12 mars 2008 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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