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Gaza

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Des
manoeuvres cousues de fil blanc
Samar Al-Gamal
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Gaza.
Le drame des réfugiés et des points de passage avec l’Egypte
met en relief un plan israélien visant à une réinstallation
d’une grande partie des Palestiniens dans le Sinaï.

Photo Al-Ahram
Mercredi 6 février 2008
Le bulldozer avance
sans discontinuer, défonce le mur et la frontière tombe. Les
Palestiniens se ruent en territoire égyptien. Le Caire, pris de
court, demande à ses soldats de les laisser passer. Les quelque
700 policiers postés à Rafah ne pouvaient pas en tout cas faire
grand-chose devant cet afflux sans précédent des Gazaouis. En
une semaine, environ la moitié des habitants de la bande de Gaza,
soit 750 000 personnes, se sont précipités dans le Sinaï fuyant
le blocus israélien. Des matelas, des couvertures, des enfants,
de la nourriture ... la scène rappelle bien d’autres, celles
des Palestiniens condamnés à l’exode en 1948 ou en 1967. Même
si du côté de Gaza ou du Sinaï personne ne pensait à un tel scénario
: des réfugiés palestiniens en Egypte, à l’instar de ceux du
Liban ou de Jordanie, pas très loin d’ici, ils y avaient bien
ceux qui, depuis longtemps, montaient un tel plan. En Israël,
plus personne ne cache cette volonté de se débarrasser de Gaza
et jeter sa clé ailleurs, et pourquoi pas à l’Egypte ? Au
moins, ce pays administrait ce territoire palestinien de 1948 à
1967. Des responsables israéliens n’ont pas caché cette
intention comme Ehud Barak, le ministre de la Défense, qui dit ne
pas comprendre pourquoi Israël devrait continuer à fournir électricité
et nourriture à Gaza, alors que Tsahal s’est retiré de cette
zone depuis 3 ans ?! « Il est temps que l’Egypte assume sa part
de responsabilité », affirme-t-il. Dans la presse et dans les
milieux intellectuels israéliens, mais aussi américains, presque
tout le monde fait développer la même idée. Le bulletin
politique de l’Université de Harvard précise ainsi que « les
responsables à Tel-aviv voient ce qui se passe à Rafah comme un
véritable don pour l’Etat d’Israël. Cet afflux irrégulier,
mais continu des Palestiniens vers l’Egypte pourrait se
transformer en un désengagement total d’Israël par rapport à
la bande de Gaza ».
L’idée est bien
là et ne fait pas partie de la théorie du complot, chère aux
Arabes, comme le prétend Israël. Elle date d’il y a longtemps
même. « Les Américains ont lancé cette idée d’un transfert
des Palestiniens dans le Sinaï pour la première fois en 1955,
avec le plan Johnston, du nom de l’envoyé spécial américain
au Proche-Orient », précise Hassan Asfour, ancien ministre
palestinien des Négociations. Lui-même, en 1995, le temps des négociations
sur le statut final, a entendu Yossi Belin, alors ministre israélien
de l’Economie, développer une idée d’un échange de
territoire. « Il proposait aux Palestiniens de prendre une partie
du désert du Néguev en contrepartie de territoires en
Cisjordanie. Dans le même contexte, il voulait que l’Egypte cède
une partie du Sinaï aux Israéliens pour y installer les
Palestiniens », raconte Asfour. Cinq ans plus tard, Shlomo Ben
Ami, ministre israélien de la Police, parle à Stockholm, lors de
pourparlers avec les Palestiniens, du « casse-tête » de la
bande de Gaza, il la qualifie de « bombe à retardement » à
laquelle il faudrait trouver une solution. « Ben Ami, dit Asfour,
était rusé. Il a évoqué le problème du point de vue
humanitaire et non sécuritaire comme ce fut toujours le cas avec
les Israéliens ». C’est ce qui s’est d’ailleurs passé
dans la bande de Gaza, une véritable crise humanitaire, à
laquelle Israël a délibérément incité. Une punition
collective qui « pousserait les Palestiniens à un départ
volontaire », comme l’avait déclaré Ytzhak Rabin, l’ancien
premier ministre israélien.
La « question
» du Sinaï

Photo Al-Ahram
Dans son 61e
rapport, l’International Crisis Group, qui en principe travaille
sur la prévention des conflits, soulève de nouveau l’affaire.
Le rapport intitulé « La question du Sinaï égyptien » affirme
que « le Sinaï représente une importance stratégique tant aux
yeux de l’Egypte que d’Israël et se trouve affecté par l’évolution
du conflit israélo-palestinien ». Le texte s’attaque entre
autres à « la problématique intégration du Sinaï à
l’Egypte » et s’efforce de prouver que cette péninsule est
« une région à part, dont l’identité est loin d’être
complètement assurée », que sa population « est différente du
reste de la population égyptienne, avec une minorité d’origine
palestinienne, des Bédouins, originaires de la péninsule, et des
Bosniaques arrivés à l’époque ottomane ».
Du coup, ces 360
000 habitants du Sinaï « sont, comme les Palestiniens,
naturellement tournés vers l’Est plutôt que vers le reste de
l’Egypte ». Impossible de croire qu’une telle hypothèse est
mise en exergue de manière gratuite même si le document long de
37 pages tente de cadrer l’affaire dans un contexte socio-économique.
Plus précis, voire plus dangereux, sont les rapports israéliens
eux-mêmes. Depuis au moins 3 ans, le « Herzliya Conference »,
cette réunion annuelle débattant de la stratégie israélienne
avance des plans qui ne parlent pas uniquement d’installation de
Palestiniens dans les pays arabes, mais d’un échange de
territoires avec les pays de la région.
Il faut juste
savoir qu’il ne s’agit pas de simples propositions ou idées,
mais le Herzliya Conference est devenu un centre d’éclosion de
la politique israélienne. C’est cette conférence qui a par
exemple présenté pour la première fois le plan de désengagement
de Gaza. Herzliya a ainsi fourni deux études d’une importance
majeure, qui parle d’« d’échanges de territoires pour la fin
du conflit palestino-israélien ». On est vraiment loin de
l’ancienne proposition d’un territoire dans le Néguev pour un
autre en Cisjordanie. Les Israéliens vont plus loin, ils veulent
redessiner la carte de la région pour créer « une homogénéité
ethnique ». Les textes partent du principe que sous mandat
britannique, des terres ont été divisées et qu’aujourd’hui,
Palestiniens et Israéliens sont tout à fait d’accord pour une
division de la Palestine. L’étude établie par le chercheur Uzi
Arad estime pourtant que les frontières géo-démographiques
actuelles vont transformer probablement la notion en cours dans le
cadre du processus de paix « deux Etats pour deux peuples » en
« deux Etats pour un seul peuple ». C’est l’idée qu’avait
soulevée Gideopn Biger de l’Université de Tel-Aviv en 1996
avec un Etat pour les juifs, un autre pour les Arabes. Pour ce,
Israël cédera aux Palestiniens le triangle de Kafr Kassem et les
Palestiniens lâcheront des zones dans la vallée du Jourdain.
Ainsi, les Arabes d’Israël seront placés sous souveraineté
palestinienne. Ce genre de propositions ne manquent pas, la plus
dangereuse reste celle concernant les autres pays de la région
entourant Israël : l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban.
Tel-Aviv veut, selon ce plan appuyé par une nouvelle carte, échanger
des territoires avec eux pour aboutir à « l’Etat d’Israël
».
L’art du
marchandage

Photo Al-Ahram
Ainsi, Israël
donnera à l’Egypte entre 200 et 500 km2 dans le Néguev,
limitrophe de la péninsule du Sinaï, avec un corridor dans ce même
désert créant une sorte de pont entre l’Egypte et la Jordanie.
Et le prix que payeront les Egyptiens, un territoire d’environ
1000 km2 (soit le double de ce que va obtenir l’Egypte), sera
coupé du Sinaï et attaché à la bande de Gaza. Ce n’est
certes pas un cadeau gratuit pour les Palestiniens, ces derniers
devraient abandonner des terres en Cisjordanie non seulement les
alentours de Jérusalem et les colonies, mais le long du Jourdain,
dans les réserves naturelles dans le désert de Judée et sur la
mer Morte.
La terre prise à
la Jordanie, le Royaume la récupéra à la Syrie et cette dernière
prendra une partie du Liban qui se procurera une bande dans le
nord d’Israël ! Et pourquoi l’Egypte accepterait-elle ? car,
comme prétend le texte, « elle aura ainsi contribué
effectivement au règlement du conflit israélo-arabe en échange
d’un territoire qu’elle ne perd rien en l’échangeant ». Et
pour les autres pays arabes, « il faudrait plus de travail et de
temps mais aussi l’espoir qu’ils seront flexibles comme ils
l’ont fait entre eux ». Pour les Egyptiens et les Palestiniens,
ceci « fait partie du grand rêve d’Israël et il le sera
toujours ». Une déclaration jugée faible. Mais ne serait-elle
pas là la solution ? Ne pas prendre ce genre d’études au sérieux
et donc les discréditer. Sur les frontières, des mesures plus
strictes sont prises. Il est sûr que jusqu’à présent si les
Arabes ont maintenu le statut de réfugiés pour les Palestiniens
au lieu de les accueillir comme le préconisent les vues
faussement philanthropiques de certains Occidentaux, c’est pour
éviter justement ce genre de scénarios.
Droits de
reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 6 février 2008
avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo

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