Mercredi 21 avril 2010
Nucléaire.
Braqué surtout sur l’Iran en dépit d’un
ordre du jour différent, le sommet de Washington a été marqué
par la confirmation de l’influence de l’Etat hébreu dont les
armes échappent à tout contrôle.
La
sécurité nucléaire est-elle entre les mains des grandes
puissances uniquement ? Elles étaient toutes réunies lors du
sommet de Washington qui vient de prendre fin et qui fut marqué
par l’annonce d’une nouvelle doctrine nucléaire du président
américain Barack Obama, s’ajoutant à ses succès politiques de
ces dernières semaines. Prélude à cette conférence de
Washington, l’accord entre l’Amérique et la Russie pour la
réduction de leurs armes stratégiques. Il s’agit finalement de
réduire le rôle des armes nucléaires dans les stratégies de
défense nationale.
Certes, le nucléaire est loin d’être
totalement domestiqué. Malgré certaines avancées, cette nouvelle
doctrine américaine reste très en retrait et ne renonce pas à
utiliser en premier l’arme atomique, y compris contre un pays
qui n’en dispose pas. Qu’est-ce que cela veut dire ? Lors de la
conférence, Obama n’a pas manqué, ainsi que les différents
participants, mais à de degrés divers, de montrer du doigt
l’Iran en tant que principale source de terreur nucléaire bien
plus que la Corée du Nord. Toute une liste d’accusations contre
Téhéran avec en filigrane des menaces à peine voilées d’un
possible usage de la force si les sanctions n’aboutissent pas.
Et aussi on a vu désigné, comme source de danger plus récent, le
terrorisme nucléaire que pratiqueraient certaines organisations,
notamment Al-Qaëda (lire page 5). Ainsi, c’est quasiment dans le
cercle moyen-oriental que cette notion d’un danger nucléaire
trouve son terrain. Mais l’acteur principal, lui, veut rester
dans les coulisses ou même jouer le rôle de souffleur. Pas
besoin de tenter d’aller chercher trop loin pour deviner de qui
il s’agit. C’est Israël, cette puissance nucléaire avérée. La
sixième du monde à avoir acquis l’arme nucléaire. La politique
du secret, un secret de polichinelle somme toute, qu’il pratique
est en premier lieu une arme d’intimidation à l’égard des
Arabes.
Ces dernières années d’ailleurs, les
allusions concernant ce dossier se sont faites de plus en plus
transparentes, notamment de la part de Shimon Pérès, l’actuel
président, considéré comme le « père » du programme nucléaire
israélien, lancé en très étroite coopération avec la France à la
fin des années 1950. En novembre 2001, Shimon Pérès a reconnu,
dans un documentaire diffusé par la télévision publique
israélienne, que la France avait accepté, en 1956, de doter
Israël d’une « capacité nucléaire ». « Des quatre pays qui
avaient à l’époque des capacités nucléaires, les Etats-Unis,
l’Union soviétique et la Grande Bretagne, la France était seule
susceptible de nous aider », avait admis Pérès.
La politique du flou
Aujourd’hui, selon les experts militaires,
l’Etat hébreu dispose d’un arsenal nucléaire comprenant plus de
deux cents bombes atomiques. « Nous continuons à dire qu’Israël
ne sera pas le premier pays à dévoiler l’arme nucléaire au
Moyen-Orient. Cette politique va continuer et aucune pression
d’un quelconque pays ne la fera changer », a déclaré la
vice-ministre israélienne des Affaires étrangères, Dany Ayalon.
La politique du « flou » constitue la
position officielle israélienne depuis son adoption en 1965,
date de l’inauguration de la centrale nucléaire de Dimona dans
le Néguev au sud d’Israël. Or, dans le contexte nouveau-né de
cette conférence de Washington, si l’Amérique a tenté de faire
pression sur Israël, elle a tout de suite fait marche arrière. «
En ce qui concerne Israël, je ne vais pas m’exprimer sur leur
programme. Nous avons encouragé tous les pays à devenir membres
du TNP, donc, il n’y a pas de contradiction », a affirmé le
président Obama, qui poursuit : « Que nous parlions d’Israël ou
de tout autre pays, nous pensons que devenir un membre du TNP
est important. Ce n’est pas une nouvelle prise de position,
c’était l’avis du gouvernement américain, même avant mon
administration ».
Des appels bien timides comme on le constate
alors que pour l’Iran, ce sont quasiment des déclarations de
guerre. On rappelle d’ailleurs que l’Etat hébreu a conclu une «
entente » en 1969 avec les Etats-Unis aux termes de laquelle les
dirigeants israéliens s’abstiennent de toute déclaration
publique sur le potentiel nucléaire de leur pays et ne procèdent
à aucun test nucléaire. En échange, Washington s’est engagé à
s’abstenir d’exercer des pressions sur ce dossier.
De toute façon, Israël n’est pas signataire
du TNP et ce ne sont les douces invitations d’Obama qui
l’obligeront à le faire. 190 Etats ont adhéré à ce traité, en
dépit de certaines réserves, y compris tous les Etats du
Moyen-Orient. Dans ce contexte, on ne peut que constater que
c’est Tel-Aviv qui est le gagnant. « On pourrait penser que le
TNP a été doublement profitable à Israël : d’une part, parce que
sa non-adhésion lui a permis de garder ses options ouvertes et
d’autre part, et inversement, parce que l’adhésion des Etats
voisins lui a permis de bénéficier des contraintes que le TNP
impose à ces Etats », relève le politologue Camille Mansour,
professeur à l’Université de Versailles.
Or, il est clair que, vu du Proche-Orient,
c’est Israël qui représente donc le principal danger au
Proche-Orient. En fait, il se sert du nucléaire pour asseoir sa
suprématie militaire, et puis joue le jeu contraire, celui de la
crainte d’un nucléaire qui viendrait de l’Iran, par exemple,
pour continuer à jouer ce double rôle. Oter un masque pour
placer un autre, mais le visage réel est celui de Mars, le dieu
de la guerre. Le bombardement de la centrale nucléaire iraqienne
Osirak en 1981 est bien un exemple. Le danger vient donc
d’Israël. Mais cet Etat parvient toujours à se dérober.
Selon le chercheur Mohamad Abdel-Salam, du
Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram,
« il ne faut pas ignorer que le sommet de Washington avait pour
chapitre principal dans son agenda de traiter avec les matériaux
nucléaires qui pourraient s’infiltrer vers l’extérieur,
c’est-à-dire des organisations terroristes par exemple.
Contrôler les matières et non les armes était l’objectif du
sommet. Mais il était entendu que cette question d’armes
s’imposera, et c’est ce qui est arrivé. Certains ont fait
campagne contre l’Iran tandis que les Arabes se sont mobilisés
contre Israël ». Tout s’est déroulé selon les capacités de
chaque partie. « Mais, ajoute-t-il, Israël arrive toujours à se
dérober, parce que les pays occidentaux sont en majorité
convaincus de ce que fait l’Etat hébreu. Obama n’a même pas
commenté le programme nucléaire israélien. Ce sont les
équilibres politiques qui ont prévalu et non l’ordre du jour ».
Israël ne trouve pas de peine à se dérober. Ceci remonte à trois
raisons, selon Mohamad Abdel-Salam. « Tout d’abord parce qu’il
n’est pas signataire du TNP (Traité sur la Non-Prolifération des
armes nucléaires), donc aucune règle de ce traité ne s’applique
à lui. Ensuite, Israël n’a pas jusqu’à présent déclaré
officiellement qu’il détient des armes atomiques. Et enfin, les
liens très solides qui existent avec les Etats-Unis. Il y a une
compréhension américaine à l’égard de ce que fait Tel-Aviv
concernant les armes nucléaires. Ceci d’autant plus qu’Israël a
su promouvoir l’idée qu’il n’utilisera l’arme nucléaire que pour
se défendre. D’ailleurs, l’Europe adopte la même attitude ».
Sources de menaces multiples
Par contre, les pays arabes n’ont pas, à ce
jour, trouvé le moyen effectif de traiter cet état des choses.
Comme le dit le politologue, les Arabes peuvent soulever un
débat sur la question, mais pas la traiter. Or il semble qu’ils
n’ont pas beaucoup de choix. Soit ils acceptent la réalité, et
c’est ce qu’ils rejettent totalement. Soit ils tentent d’être à
égalité avec Israël en se dotant d’armes nucléaires, ce qu’ils
n’ont pas réussi à faire. La dernière option est l’élimination
des armes nucléaires de toute la région. Mais là aussi, il
s’agirait d’un discours plutôt médiatique. « Ce ne sont pas des
propos négociables. Même le sommet arabe de Riyad 2007 a gelé un
projet de résolution de la Ligue arabe pour l’élimination totale
des armes de destruction massive, sous couvert de la nécessité
de réviser le texte ». Or la question est d’autant plus complexe
que pour les pays arabes en général, les sources de menaces sont
considérées comme multiples. « Le danger provient d’Israël et de
l’Iran. Tout est donc relatif. Le degré de danger est associé
pour chaque Etat à sa proximité avec la source et leurs intérêts
communs », poursuit-il.
Mais un fait est sûr, le vrai risque provient
d’Israël et cela ne date pas d’hier. Camille Mansour rappelle
que dès la fin des années 1950, l’Egypte n’ignorait pas que le
réacteur de Dimona était susceptible de servir à un usage
militaire et le président Nasser lui-même évoqua la question
dans un discours en décembre 1960. Quand en 1963, les émissaires
du président américain John Kennedy proposèrent que Washington
œuvre en vue d’un contrôle du programme nucléaire israélien, en
contrepartie du gel de l’effort égyptien visant à développer des
missiles balistiques, Nasser répondit que la politique de
l’Egypte à l’égard d’Israël était une politique défensive et que
la production par Israël de matières fissiles à usage militaire
conduirait l’Egypte à une anticipation par une guerre de
protection. D’ailleurs, Mohamad Saïd Idriss relève qu’Israël
agit dans le même esprit et cite même Nasser. Un écrivain
israélien, Alof Ban, a aussi écrit dans le journal Haaretz que
cette vision d’une guerre préventive, les Israéliens la tirent
d’une déclaration de Nasser et qu’Israël se l’est appropriée en
faisant sa vraie doctrine. En fait, Israël joue la même rengaine
depuis toujours, celle de l’Etat en danger. Une vision que
soutiennent les Occidentaux.
Sentiment d’avoir été « abusés »
Or, s’il en est ainsi, il faudrait que l’Etat
hébreu et l’Occident s’attachent principalement à la recherche
de la paix. Il est important de rompre le cercle vicieux
concernant la relation entre la bombe et la prétendue situation
spécifique d’Israël. Mais comme on le voit dans le contexte
politique actuel, Israël ne fait pas le moindre effort pour
résoudre la question du Proche-Orient, en plus de son rejet du
TNP. De quoi rendre le rendez-vous de mai prochain à New York,
du Congrès de révision du traité, très important. Il déterminera
dans quelle mesure les participants adopteront leur attitude au
sujet d’Israël. Les pays du Moyen-Orient ont eu le sentiment
d’avoir été « abusés » par le TNP pour lequel les puissances
nucléaires n’ont pas tenu leurs engagements. C’est ce que
d’ailleurs avait mis en relief un diplomate égyptien. « Nous,
pays du Moyen-Orient, avons le sentiment d’avoir été abusés en
faisant des concessions pour des promesses qui ne se sont jamais
concrétisées », a expliqué Hicham Badr, représentant de l’Egypte
auprès de l’Onu à Genève, lors de la Conférence du désarmement,
organisée dans cette ville en mars dernier. « Il y a un
ressentiment répandu dans la région contre le TNP, ses
objectifs, sa partialité et son manque de volonté politique »,
a-t-il insisté. L’ambassadeur égyptien estime que les pays dotés
de l’arme nucléaire n’ont pas tenu leurs engagements, alors que
les tentatives de faire du Moyen-Orient une zone exempte d’armes
nucléaires ont toujours été repoussées. Il a prévenu que les
pays du Moyen-Orient pourraient jouer un rôle « central » dans
le succès de la conférence de mai destinée à renforcer le
traité. Les conférences de suivi du TNP se déroulent tous les
cinq ans depuis l’adoption, en 1970, de l’accord. La dernière,
en mai 2005, s’est terminée sur un échec. La prochaine
sera-t-elle plus efficace ? Difficile à prévoir. Mais une chose
est sûre : pour le Proche-Orient, les risques nucléaires et un
Iran diabolisé sont les principaux alibis d’Israël.
Droits de reproduction et de diffusion
réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 21 avril 2010 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
Sommaire Al-Ahram Hebdo
Les dernières mises à
jour