Opinion
Egypte, Tunisie :
Derrière le factuel
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mardi 20 août 2013
L’épisode agité des Frères musulmans au
pouvoir en Egypte et en Tunisie est très
riche en enseignements, même si le
spectacle prend le pas sur la réalité de
la dynamique en cours. De bonne guerre
les propriétaires mondiaux de la parole
et de l’image ne la traitent pas. A la
une des médias, sur les plateaux de
télévisions, dans les analyses, dominent
le factuel, le formel et l’émotionnel.
Rien sur les facteurs profonds qui ont
fait que les Frères se soient retrouvés
la cible de la furia populaire, en
dehors du confortable cliché qui met au
cœur de la problématique la
confrontation entre religion et laïcité.
Les Frères eux-mêmes crient au complot
anti-islamiste et entretiennent au sein
de leurs partisans le sentiment d’une
« croisade » contre l’Islam. Une
démarche très peu opérationnelle, si
nous considérons l’attitude des
protestataires qui ne se laissent pas
prendre à ce type d’accusation, au point
de ne plus même y répondre. Car en
arrière fond les déterminants de
l’ascension des Frères n’ont jamais
ressemblé à une revendication
religieuse. L’arithmétique électorale
aurait même pu être inversée au profit
des tendances porteuses de projets
économiques et sociaux alternatifs,
puisque les victoires obtenues n’étaient
pas aussi significatives que cela est
revendiqué. Il faut dire que les Frères
semblaient correspondre au
« changement » attendu, qui mettrait fin
à l’iniquité, à l’injustice et à
l’exclusion. Dans leur discours qui
porte la notion de justice immanente
tout concordait avec la compréhension
populaire. Les Frères à la « longue
marche » de plusieurs dizaines d’années
allaient bouleverser l’ordre des choses.
C’est ce qu’ont cru les quelques
dizaines de pour cent qui ont voté pour
la confrérie, qui sortait d’une longue
période de marginalisation comme en
Egypte ou de clandestinité comme en
Tunisie. Si la parole avait été donnée à
ceux qui font le torrent, personne
n’aurait entendu parler de ces concepts
intellectualisés que sont la
« démocratie », les « droits de
l’homme », les « libertés publiques »,
mais de leur contenu réel avec des mots
vrais et du sens qui disent la
souffrance quotidienne de dizaines de
millions d’enfants, de femmes et
d’hommes. Mais ce ne fut pas le cas et
ce n’est toujours pas le cas. Puisque
pendant que les masses populaires crient
leur colère, contre la poursuite de
l’oppression censée avoir été balayée,
les Frères et leurs soutiens
atlantistes, sourds comme jamais,
revendiquent la « légalité » et le
« respect de la démocratie des urnes ».
Autant dire que l’affrontement n’est pas
près de connaître une issue. En Egypte,
l’armée qui « a répondu à l’appel du
peuple », en disqualifiant le président
des Frères, répond de même à cette
« légalité » en interdisant les
« comités populaires », en qualifiant
leur existence d’ « illégale ». Alors
qu’en Tunisie vient de se révéler une
entrevue secrète, jeudi 15 juillet à
Paris, entre Béji Caïd Essebsi, le
représentant patenté du système, et
Rached Ghanouchi le chef des Frères
tunisiens. Dans les deux cas, il ne faut
pas voir autre chose que la question de
la gestion du grondement populaire. Même
si en Egypte la situation semble plus
avancée vers une confrontation
post-Frères.
Article publié sur
Les Débats
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