Opinion
Henri Alleg
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 20 juillet 2013
En 1940, à 19 ans, un petit rouquin,
Henri Salem, fait un voyage qui va, sans
qu’il le sache, être celui de sa vie. Il
ne s’est pas posé trop de questions
quand il a débarqué à Alger. Il lui a
suffi de regarder le colonialisme qui
étalait ses « bienfaits civilisateurs »,
de reconnaître ceux qui doivent être les
siens. Tout simplement. Il a tout de
suite choisi, parmi les deux camps qu’il
a observés, celui de l’Humanité contre
la barbarie. Venu par hasard, de
passage, il se fond dans le décor et
devient communiste, décidé à combattre
le crime. Son nom de clandestinité sera
Alleg. Il le gardera jusqu’à sa mort à
91 ans, ce 18 juillet 2013. Quand les
Algériens ont décidé de se libérer, il
ne s’est encore pas posé de questions.
Il était,déjà, l’un d’entre eux, et leur
combat était déjà le sien. Quand les
parachutistes l’ont arrêté, ils n’ont
pas vu la différence, parce qu’il n’y en
avait pas. Il était leur ennemi tout
comme le peuple qu’il avait adopté et
qui les bravait. Avant d’être « l’Auteur
de ‘La Question’ », il a dû la subir
dans toute sa cruauté entre les mains
des bourreaux. C’est en prison qu’il va
l’écrire, dans des conditions que seule
une détermination à toutes épreuves, que
seule la foi en un idéal
transcendantale, pouvaient pousser à
surmonter. L’objectif, ne pas cesser de
se battre, même derrière les murs et les
grilles, même dans l’angoisse
existentielle que peut susciter le fait
d’être à la merci des assassins, même
face aux risques vitaux que le geste
peut coûter. Un bout de crayon, des
astuces pour tromper la vigilance des
gardiens,du papier de fortune et le
brûlot va prendre forme. Transmis en
France, il va constituer une arme
redoutable dont s’emparent d’autres
justes, tel Jean-Paul Sartre, pour
porter des coups à la bête colonialiste
et à son appareil sanguinaire. Interdit,
le livre volait de ses propres ailes, à
des dizaines de milliers d’exemplaires,
à travers les mailles de la répression,
impuissante à étouffer la vérité évadée.
La bête n’avait pas eu raison d’Henri,
qui venait de lui faire un pied-de-nez
insupportable. Lorsque la victoire fut
acquise,lorsque les douleurs ont été
rangées dans les casiers de la mémoire,
en 1965, Bachir Hadj-Ali, l’un de ses
frères d’armes lui a adressé ces vers,
que m’a aimablement transmis Smaïl le
fils du poète : « Tu as dit un mot
plus percutant qu'une balle/Tu as dit un
mot plus vivant que nous/Tu as limé
l'outil pour éviter la rouille/Je t'ai
appelé et l'amande m'a livré/Trois
lettres et comme toi j'ai dit NON/Et
comme toi j'ai vaincu les monstres ». Le
NON qui a dû résonner dans tout son être
quand il a foulé le sol algérien. Pour
sa première grande épreuve de
conscience, il a répondu à l’appel de
justice. Comme seuls en sont capables
ceux qui ont pu accéder au statut de
« faiseur d’humanité », échappant au
moule dominant et se construisant contre
son emprise. Henri Alleg vient,
peut-être, de mourir mais sa vie aura
servi les combats en cours et ceux à
venir, pour un monde qui aura restitué
aux femmes et aux hommes leur dignité,
avec la disparition de la dernière
injustice.
Article publié sur
Les Débats
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