Opinion
Les détails qui
tuent
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 18 mars
2012
Il est des faits, des petits riens
parfois, que personne ne remarque, qui
ne paraissent pas pour ce qu'ils sont en
réalité. Les symptômes d'une grave
atteinte à quelque chose d'essentiel. On
peut citer un cas particulier, que tout
le monde peut vérifier et en évaluer la
teneur. Tous les soirs, au même moment,
selon la ponctualité des programmes de
la télévision nationale, le présentateur
de la météo, mécaniquement, nous donne
le temps qu'il fera à «Ain» Guezzam.
Tous les jours, le petit coup de marteau
médiatique enfonce dans la tête des
générations futures l'appellation qu'il
faut de cette localité que ses habitants
appellent In Guezzam. Comme il l'a
appris à l'école et comme il croit que
cela s'écrit et se lit. Un détail
peut-on penser, tant il existe de
lacunes et de problèmes plus pressants,
plus importants que la déclinaison du
toponyme de cette bourgade perdue au
fond de l'Algérie, là-bas tout en bas de
la carte, vers nulle part. Un détail si
ce n'était, à l'origine, une action d'un
plan mûrement réfléchi de laminage de la
mémoire ancestrale, sur fond de misère
intellectuelle et de désertification
culturelle. Car entre In Guezzam et Ain
Guezzam il n'y a pas seulement une
dénaturation d'un nom, il y a un passage
à l'acte éradicateur de ce qui n'est pas
l'arabité décrétée, avec toute la
tragédie qui accompagne la mise à mort
de l'Histoire d'un lieu de vie. Ce qui
signifie que tout reste à faire en
termes de défense et de réhabilitation
du patrimoine national. Passe encore que
le quidam ne relève pas l'importance de
la chose, mais le fait que le ministère
de la Culture et toutes les instances
qui sont officiellement chargées de
l'amazighité ne semblent pas du tout
développer leurs prérogatives, pose un
vrai problème de gouvernance. De quoi
s'interroger sur leurs emplois du temps
et sur la destination des budgets
consacrés à la promotion de la culture
amazighe et de tamazight. De quoi douter
fortement de la sincérité de cet article
3 bis de la Constitution, qui ne semble
pas influer du tout, fusse-t-il sur les
espaces les plus faciles à contrôler,
sur le comportement de l'ENTV, organe
public et vitrine de la politique
officielle, qui piétine quotidiennement
les composantes identitaire du peuple
algérien. Dire qu'il existe un
Observatoire catalan de la langue
amazighe (Observatoire Linguamón de la
Langue Amazighe, OLILA) qui vise à
atteindre une «grande visibilité de la
langue et de la culture amazighes dans
la société catalane» ! Et qui planche
sur la toponymie amazighe !! Alors que
même nos chaînes berbérophones y vont de
leur Ain Amenas, Ain Salah et autres
déformations, jusqu'à Wikipedia qui,
confiante en ces sources, indique qu'en
arabe on dit Ain (pour In). Heureusement
que nos «gardiens de l'authenticité»
voient leur seuil de compétence
s'arrêter devant le poids des réalités
et du passé, sinon ils seraient en train
de tenter de formater à leur convenance
l'anthropologie de la région, aussi loin
qu'elle puisse remonter, de façon à ne
rien laisser saillir qui puisse
perturber le ronron ambiant. C'est dire
qu'avant que de pouvoir faire comme les
Catalans, s'intéresser à la culture et à
la langue des autres, il y a un long
combat à mener contre la bêtise d'abord,
l'incompétence ensuite, le cynisme
enfin.
Article publié sur
Les Débats
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