Opinion
Libye : les
calculs qui fourvoient
Ahmed Halfaoui
Dimanche 17 avril 2011
Ce
n'était pas un sosie, c'était bien lui
qui a fait cette équipée triomphale à
travers les rues et ruelles de Tripoli,
acclamé par la population, sans
jalonnement policier, sans garde
rapprochée. Des images très fortes qui
ont dû provoquer pas mal de secrétions
d'acide gastrique chez les «démocratiseurs
aéroportés». Voilà un tyran, qui ne
laissait personne respirer, qui voit sa
popularité atteindre des sommets que
rares sont ceux à avoir pu ou pouvant y
prétendre. La résolution onusienne 1973
est vraiment dépassée, dans tous les
sens du terme. D'abord sur le terrain,
quand elle n'est pas respectée pour ce
qu'elle prévoyait, une «no fly zone», et
que les frappes détruisent le pays et
tuent au passage des «révolutionnaires».
Ensuite, par rapport à son objectif qui
devait affaiblir Kadhafi, mais qui s'est
transformé en son contraire, une
formidable mobilisation du peuple libyen
autour de son «guide». C'est peut-être
pour cela que les «révolutionnaires» de
Benghazi ne veulent pas de cessez-le-feu
avant le départ de Kadhafi (et de ses
fils). Drôle de radicalisme quand c'est
grâce au parapluie meurtrier de l'OTAN
qu'ils peuvent tenir. Drôle d'attitude
quand il faut saisir l'occasion de
demander un référendum démocratique sur
la question du pouvoir en Libye. Drôle
de position des Etats-Unis, de la
Grande- Bretagne et de la France qui
demandent le départ du chef de l'Etat
d'un pays, alors qu'il faut, en principe
et «démocratiquement» parlant,
laisser le peuple s'exprimer sur la
chose, y compris les habitants de
Benghazi.
A moins
que, comme de plus en plus de gens
commencent à le penser, il ne s'agisse
nullement de «démocratie», mais de
remplacer le système actuel par un
autre, celui qui a surgi sur les chaînes
satellitaires et sur le perron de
l'Elysée. Au tout début, Kadhafi avait
accepté de faire taire les armes et a
proposé d'envoyer des observateurs
internationaux pour vérifier le
cessez-le-feu, et tous les pays
d'Amérique latine ont proposé d'envoyer
une mission de médiation, présidée par
Lula. Les Occidentaux ont refusé de
répondre à cette invitation, préférant
ouvrir le feu, sous prétexte que le
Libyen n'est pas crédible, quitte à
aggraver la situation. A ce moment-là,
on croyait que le dictateur était sur le
point de tomber. Ils ont obtenu l'effet
contraire. Il faut peut-être regarder ce
qui se passe chez eux pour comprendre.
Pour effectuer des ponctions sur les
fonds du Trésor public, opérées en
faveur des banques et des entreprises,
on manque d'argent pour les retraites et
on pressure les services publics, et
comme cela ne suffit pas à endiguer la
crise financière, on va remodeler le
monde et en occuper la plus grande
part possible, contre l'appétit des
Chinois, Brésiliens, Russes et autres
prétendants aux dents longues. La Libye
est l'un des plus importants pays
pétroliers au monde, avec 3,5% des
réserves mondiales de pétrole, très
faiblement peuplé et se situant au cœur
d'une région dont l'importance
stratégique n'est pas à démontrer. Le
problème est qu'il est sous la coupe
d'un régime nationaliste, populiste et
très turbulent. Ce qui explique que le
remplacer par un pouvoir prêt à tous les
compromis est un enjeu de taille. C'est
cette opération qui piétine devant la
réaction imprévue du peuple libyen.
Copyright © Les
Débats : Ahmed Halfaoui
Publié sur Les Débats
Reçu de l'auteur pour publication le 15
août 2011
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