Opinion
50 ans après, ça
ne désarme pas (suite)
Ahmed
Halfaoui

© Ahmed
Halfaoui
Lundi 6
février
2012
Est-il plus
juste ou plus raisonnable d'appeler «à
moins de mémoire», de «modérer la
mémoire» ou, selon une formule récente,
faire en sorte qu'«aucune mémoire ne
puisse se sentir lésée», ou de dire,
simplement, la vérité ? La réponse coule
de source : la vérité suit son cours,
selon les lois de l'Histoire. Tant pis
pour les infâmes. C'est un soldat
français qui voulait même devancer
l'appel et qui se rongeait les sangs de
ne pas être appelé, quand «toutes ses
connaissances partaient». Il aurait été
«vexé» de ne pas y aller. Il a fini par
être incorporé le 1er mars 1958. Un peu
plus tard, son régiment débarque à
Skikda (Philippeville à l'époque). A Oum Toub, il a vu des choses auxquelles il
ne s'attendait pas, pour ce qu'il
pensait être un département français :
«Tout de suite, les enfants
m'interpellent. Ils vivaient dans une
extrême pauvreté et étaient à peine
habillés. Les familles n'avaient pas de
table pour manger, pas de lit pour
dormir. Si l'Algérie était française, on
peut se demander ce que la France avait
fait depuis la colonisation en 1830». Il
s'appelle Robert Létang et avait 19 ans
quand il a fait connaissance avec les
«bienfaits» de la colonisation. Ces
généreuses prodigalités qui ont fait se
soulever un peuple ingrat, qui a préféré
se faire torturer et massacrer plutôt
que de vivre dans la félicité coloniale,
dans le paradis civilisé qui leur était
offert. Ce n'était ni un objecteur de
conscience forcé à l'uniforme, ni un
trotskyste, ni un pacifiste, tout juste
un Français qui aimait servir son pays.
Il n'a pas, non plus, déserté. Il a
continué à servir, jusqu'à sa
démobilisation. Mais il a vu ce que
refusent de reconnaître, à ce jour, les
gardiens du mensonge historique. Un
autre témoin, lui-aussi, loin d'être un
partisan de l'Algérie indépendante, a
aussi vu des choses qui l'ont révulsé.
Albert Camus, journaliste à Alger
Républicain, rapporte ceci de Kabylie :
«Dans la commune d'El-Kseur, sur 2 500
habitants kabyles, on compte 2 000
indigents. Les ouvriers agricoles
emportent avec eux, pour la nourriture
de toute la journée : un quart de
galette d'orge et un petit flacon
d'huile. Les familles, aux racines et
aux herbes, ajoutent les orties». Malgré
cela, quand les Algériens prirent les
armes, ce fut un malentendu diraient
encore certains. On continue, parce
qu'il y avait quand même cette charité
des maîtres qui se laissaient aller,
parfois, à l'aumône : «Quatre vieilles
femmes sont mortes de froid dans la
neige alors qu'elles se rendaient dans
un autre village pour la distribution
d'orge». C'est toujours Camus qui
raconte. Une suite manque au drame. On
ne sait pas ce qu'il est advenu des
familles des vieilles, qui attendaient
leur retour et qui avait préparé leurs
meules, dans une fébrile appréhension de
la galette providentielle. Sauf à se
projeter dans le fabuleux, à convoquer
une fée bienfaitrice pour conjurer
l'horrible dénouement, il est difficile
de «modérer» cette mémoire, quitte à
«léser» toutes les «mémoires» qui s'y
prêtent. N'est-il donc pas plus
raisonnable que les «bienfaiteurs» se
taisent ? Tout simplement.
Article publié sur
Les Débats
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