in Al-Quds Al-Arabiyy, 26 août 2009
Je m’étonne de tout ce bruit que l’on fait,
actuellement, en Grande-Bretagne et en Amérique, autour de
l’élargissement par les autorités écossaises de M. Abdel-Bâsit
al-Maqrahiyy, qui avait été condamné dans l’attentat à
l’explosif contre l’avion de la Pan-Am au-dessus du département
de Lockerbie, en Ecosse, qui avait fait 270 victimes. Et les
déclarations du porte-parole officiel de la Maison-Blanche,
qualifiant cette libération de « révoltante » m’étonne encore
davantage.
J’ai rencontré personnellement M. Al-Maqrahiyy
l’année dernière ; j’étais allé le voir dans sa prison de
Glasgow, en compagnie de l’avocat arabe Saad Jabbâr, et j’ai
passé trois heures en sa compagnie : je me suis trouvé en
présence d’un homme très en colère, non pas parce qu’il se
trouvait dans une prison écossaise glaciale, à l’extrême nord
des terres habitées, mais en raison de son sentiment lancinant
d’une injustice. Il m’a dit, mot pour mot : « Si j’avais commis
cela, je l’aurais dit, je l’aurais clamé, et puis je me serais
supprimé, car le remords aurait été insupportable ». Il éclata
alors en sanglots ; c’était pourtant un homme solide, plein de
dignité et de fierté.
M. Al-Maqrahiyy m’a présenté le dossier du
parquet, qui avait été exposé à un collège de juges du tribunal
écossais qui l’avait condamné : ce dossier était bourré de
paragraphes, que dis-je : de pages entières, qui avaient été
caviardés à l’encre noire afin de dissimuler des faits hautement
secrets au motif de la « protection de la sécurité nationale
américaine et britannique », mais surtout afin de mener les
juges en bateau de manière délibérée.
Plus important encore : l’homme d’affaires
helvétique qui a témoigné, devant le tribunal, avoir vendu des
missiles à la Libye, dont l’un avait été employé pour détruire
l’aéronef, était revenu sur sa déposition, évoquant des
pressions énormes auxquelles il avait été soumis afin qu’il
fasse ce faux témoignage, contre d’importantes rétributions
financières qu’on lui avait fait miroiter.
La libération de cet homme a des motifs
humanitaires, plusieurs experts médicaux ayant estimé qu’il ne
survivrait pas plus de trois mois à un cancer généralisé : il ne
vivrait pas assez longtemps, de toute manière, pour être à même
de monter un nouvel attentat du type de Lockerbie ! Pourquoi,
alors, tout ce bruit, et pourquoi ces pleurnicheries hautement
suspectes de certains responsables américains, qui « réclament
justice » et agitent la menace de déclencher un boycott contre
l’Ecosse et contre les produits « made in Scotland » ?!?
Je n’ai pas le moindre doute quant à
l’honnêteté de la justice écossaise et de la justice
britannique, mais je doute absolument de la déontologie des
services secrets américains et britanniques, qui ont apporté les
pièces à conviction sur lesquelles la justice s’est fondée dans
ses arrêts, de même que je doute des hommes politiques et des
responsables gouvernementaux dans ces deux pays, car je sais
combien est grande leur capacité de falsifier la réalité dans
l’intérêt de leurs buts parfois inavouables, ayant vécu plus de
trente ans en Occident.
J’irai encore plus loin, et je dirai qu’on
ne saurait écarter que ces responsables et leurs appareils, qui
ont « fabriqué » les indices et les preuves autour de la
soi-disant détention, par l’Irak, d’armes de destruction
massive, afin de justifier leur conquête et leur occupation de
ce pays pour des raisons purement pétrolières, aient
« fabriqué » également les « preuves » et les « indices » de
l’implication de M. Al-Maqrahiyy dans l’attentat de Lockerbie,
pour les mêmes raisons, et sans doute aussi en raison de la
haine que certains de ces responsables nourrissent à l’égard des
Arabes et/ou des musulmans.
Des ouvrages ont paru, récemment, en
Amérique, qui affirment que Tony Blair, le Premier ministre
britannique à l’époque, s’était mis d’accord avec son homologue
américain George Bush sur la détermination d’une date de
déclenchement de la guerre contre l’Irak, une fois qu’ils eurent
été certains que l’Irak ne possédait aucune arme de ce type, et
qu’ils ont précipité le déclenchement de la guerre afin de
couper l’herbe sous les pieds des inspecteurs en armements
internationaux et de les empêcher de découvrir cette réalité et
d’en administrer la preuve. Tout le monde se souvient encore du
« coup de gueule » de Blair, devant le Parlement britannique, et
des moulinets théâtraux qu’il fit avec le soi-disant « dossier »
des « armes de destruction massive irakiennes » : il avait alors
soutenu que le regretté président Saddâm Husseïn pouvait mettre
en état d’alerte ces armes, afin de frapper la Grande-Bretagne
et (bien entendu…) d’autres pays européens et, ce, en moins de
trois quarts d’heure…
L’assassinat de deux-cents soixante-dix
victimes à Lockerbie est un crime monstrueux dont ceux qui l’ont
perpétré et ceux qui l’ont préparé et en ont assuré la
logistique doivent être punis, quelle que soit leur identité ou
leur nationalité. Mais qu’en est-il de l’assassinat de deux
millions d’Irakiens, dont la moitié du fait du blocus imposé à
ce pays, l’autre moitié ayant été victimes des bombardements et
des opérations militaires de la conquête et de l’occupation de
l’Irak : ceux qui ont perpétré ce crime, et qui ont inventé de
toutes pièces des bobards pour le fomenter ne méritent-ils pas
un châtiment encore plus sévère ? Pourquoi sont-ils en liberté,
jouissant de toutes sortes de privilèges, tandis que l’on
déroule devant eux le tapis rouge partout où ils vont ?
Il convient sans doute de rappeler aux
Britanniques et aux Ecossais qui protestent contre la libération
d’Al-Maqrahiyy l’affaire des deux infirmières britanniques qui
avaient été condamnées pour avoir assassiné une collègue
australienne à Al-Khabar, dans l’Est de l’Arabie Saoudite, et de
quelle manière le Premier ministre britannique s’était rendu à
Riyadh afin d’obtenir sa libération, dans le contexte d’une
campagne de chantage éhonté des médias britanniques à l’encontre
de l’Arabie Saoudite, une campagne qui n’avait cessé qu’après
que l’infirmière et le Premier ministre eurent posé le pied sur
le tarmac de l’aéroport londonien d’Heathrow, au milieu d’un
accueil populaire et officiel délirant…
C’est évident… L’élargissement d’Al-Maqrahiyy
n’a pas eu seulement des motifs humanitaires : étaient en cause,
aussi, des contrats commerciaux que des sociétés britanniques
décrocheront incessamment.
En Libye, il y a 45 milliards de barils de réserves pétrolières,
un revenu annuel dépassant les quarante milliards de dollars :
cette richesse fait saliver les responsables occidentaux, en
particulier dans le contexte actuel d’effondrement des
économies.
Les droits de l’homme sont le dernier des
soucis des gouvernements et des responsables occidentaux, en
particulier s’ils concernent des gens du tiers-monde. Où sont
les droits de l’homme irakien, que violent quotidiennement les
forces armées américaines et britanniques, voire les compagnies
de sécurité privées, telles que « Black Water », dont il a été
établi qu’elle a tué et violé des Irakiens en coopération avec
la CIA, voire sous ses ordres ?
Je me souviens de ma participation à une
célèbre émission de la télévision britannique, appelée News
Night, sur la deuxième chaîne de la BBC. L’autre invité était le
ministre des Affaires étrangères britannique, et l’émission
avait pour thème le rétablissement des relations diplomatiques
anglo-libyennes après le démantèlement, par le dirigeant libyen
Moammar Al-Qaddhafiyy, de ses armes chimiques et biologiques,
ainsi que des installations qui en produisaient, dans le cadre
d’un accord mettant fin au blocus imposé à son pays. Je demandai
au ministre britannique s’il avait soulevé la question des
droits de l’homme en Libye lors de sa visite à Tripoli, ainsi
que la question de la démocratie, ou plutôt de l’absence de
démocratie ? Je lui demandai aussi si l’engagement de la Libye à
respecter les droits de l’homme avait été une des conditions de
la levée de l’embargo qui frappait ce pays, ainsi que du
rétablissement des relations diplomatiques avec lui ? Le
ministre m’avait répond qu’il n’avait absolument pas abordé ce
dossier. Il me stupéfia encore plus, lorsqu’il dit : « Il y a,
en Libye, un genre de démocratie qui diffère de la démocratie
occidentale, et nous, nous comprenons et nous respectons leur
forme de démocratie… »
Dans ce cas, l’on comprend aisément les
excuses présentées par la Suisse à la Libye, et le déplacement
d’un président helvétique la queue entre les jambes à Tripoli
afin d’y présenter ses « excuses » après qu’un policier suisse
eut osé incarcérer Monsieur Hanibal Qaddhafiyy, le fils du
leader libyen, officiellement accusé, ainsi que son épouse, de
voies de fait sur la personne d’une femme de chambre et d’un
majordome qui les accompagnaient durant leur déplacement en
Suisse. Vous imaginez : si les victimes avaient été suisses, et
si la Libye n’avait pas enlevé deux hommes d’affaires suisses
afin de les prendre en otages et si elle n’avait pas retiré
treize milliards de dollars de ses dépôts dans les banques
suisses, celle-ci se serait-elle excusée de cette manière
humiliante, comme nous l’avons vue le faire ?
Al-Maqrahiyy a été victime du « jeu entre
les grands pays », qui a fait de lui un pion dans un marchandage
honteux entre son pays et la Grande-Bretagne. Autrement dit : il
a été le bouc émissaire, et des contrats commerciaux juteux
continuent à être conclus en coulisses, sur son cadavre qui
renferme encore quelques pauvres restes de vie.
J’espérais que M. Al-Maqrahiyy ne
renoncerait pas à faire appel de son jugement, et qu’il
exigerait un nouveau procès, car de nombreuses réalités auraient
fait surface et en auraient surpris plus d’un. Mais il a choisi
de renoncer à cet appel, d’abord en raison de sa maladie,
ensuite en raison de marchandages au plus haut niveau, et il a
décidé de passer le reste de ses jours dans sa famille, entouré
de ses enfants, car il savait qu’il n’aurait déjà plus été de ce
monde, lorsque ces vérités se seraient manifestées…
Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
