|
Opinion
Le Liban au bord de
la guerre
Abdel-Bari Atwân
Abdel-Bari Atwân
in Al-Quds al-Arabi, 20 janvier 2011
L’observateur désireux d’entrevoir la carte
des événements (proches et plus lointains) vraisemblables au
Liban doit suivre les informations en provenance d’Arabie, et
plus particulièrement les prises de position et les déclarations
de son ministre des Affaires étrangères, le prince Saûd
al-Fayçal, cela en raison de la grande influence qui est la
sienne et de son alliance avec les Etats-Unis, d’où découle sa
connaissance dans les moindres détails, des plans que l’on y
concocte contre ce malheureux pays.
Ainsi, lorsque ce prince affirme lors d’une
interview à la chaîne télévisée Al-Arabiyya que la situation au
Liban est « grave » et que son pays a renoncé à la médiation
qu’il menait avec la Syrie en vue d’une solution de la crise
relative au Tribunal Spécial sur le Liban (TSL) mis sur pied
afin d’examiner l’assassinat du président libanais Rafiq
Al-Hariri et ses conséquences, nous devons, en nous fondant sur
ces déclarations très claires venues d’un homme proche du camp
des faucons dans la famille régnante, nous attendre au pire. Ce
pire peut se cristalliser selon trois possibilités :
1) l’explosion d’une guerre confessionnelle
opposant les chiites et les sunnites au Liban, prenant l’ampleur
d’une guerre civile et offrant des prétextes à des interventions
militaires étrangères, ainsi qu’à des opérations de polarisation
internes ;
2) une agression israélienne de grande
envergure contre le Liban prenant pour prétexte la dégradation
de la situation sécuritaire et l’exploitation du verdict supposé
du tribunal international pour incriminer le Hezbollah
via l’accusation
lancée contre certains de ses éléments d’être responsables de
l’assassinat de Hariri, ce qui donnerait le feu vert et
servirait de prétexte à l’élimination de toute résistance au
Liban par la voie armée ; enfin,
3) le partage du Liban entre cantons isolés
indépendants ou quasi indépendants, ou en micro-états type Monte
Carlo, Liechtenstein ou Île de Mann…
Le prince Fayçal ne parle pas en l’air
lorsqu’il dit : « Si les choses en arrivent jusqu’à la sécession
et au partage du Liban, c’en sera fini du Liban en tant qu’Etat
caractérisé par son mode de coexistence pacifique » : cela
signifie tout simplement qu’un tel plan de partage existe bien
et qu’il est envisagé comme une solution parmi d’autres,
conformément aux frontières posées par les deux camps opposés,
le Courant du 14 mars (dirigé par Saad Al-Hariri) et le courant
de la résistance et de l’opposition emmené par le Hezbollah.
Nous ne savons pas sur quelles bases le
prince Fayçal a évoqué une partition du Liban dans ses
déclarations : entend-il, par là, la séparation du Sud
(majoritairement peuplé de chiites) du Nord (où vit une majorité
sunnite et maronite= ? Dans ce cas, il est permis de
s’interroger, par exemple sur le sort des poches chrétiennes,
druzes et sunnites (au Sud) : assistera-t-on à des opérations
d’épuration ethnique et au départ forcé des indésirables, dans
le cadre de la flambée de confessionnalisme qui montre sa tête
et reçoit les encouragements de l’extérieur, tant arabe
qu’occidental ?
La carte politique actuelle du Liban
diffère du tout au tout de celle des années 1970, au moment où
la guerre civile a éclaté. Il y avait alors deux camps opposés,
un camp islamiste « progressiste » soutenu par la Résistance
palestinienne et regroupant les sunnites, les chiites et les
druzes, et un camp purement chrétien, avec l’existence de
quelques poches, très limitées, « neutres » ou « opposées à la
guerre ».
Aujourd’hui, rien de tel : nous avons des
sunnites avec Hariri et des sunnites contre Hariri, nous avons
un courant chrétien maronite puissant allié au camp de la
Résistance, sous la direction du général Michel Aoun, regroupant
M. Suleïman Franjiéh et d’autres personnalités, de même que nous
avons des chiites réunis sous la bannière du Courant du 14 mars,
opposé au Hezbollah et au courant Amal que dirige M. Nabîh
Berri, qui est le président de l’Assemblée nationale libanaise.
Le Liban est trop petit et trop compliqué
pour pouvoir ainsi éclater en de multiples Etats, cités,
confessions ou
obédiences. A moins qu’il n’existe un plan américain dont nous
ignorerions l’existence ? En effet, ceux qui ont divisé le
Soudan, dispersé l’Irak et déchiqueté les territoires
palestiniens occupés entre deux fronts rivaux sont capables de
plonger leur couteau dans le corps libanais et de dépecer ce
pays avec des complicités internes et un soutien arabe en
profitant de l’état de décrépitude humiliante que traverse
actuellement la nation arabe.
Mais, en réalité, la médiation
syro-saoudienne dont le prince Fayçal vient d’annoncer la fin
n’existait pas. S’il y en a eu une, celle-ci n’était sans doute
pas sérieuse. Et si, sérieuse, elle l’était, c’était uniquement
dû à la bonne volonté de ses initiateurs et non pas au désir de
Washington de la voir réussir, ni à son soutien. Si Washington a
soutenu cette médiation, ce fut uniquement pour l’utiliser à la
manière d’une sorte d’injection d’anesthésiant ou d’une sorte
d’allaitement artificiel visant à distraire les Libanais et à
calmer le jeu dans leur pays afin de gagne un maximum de temps,
jusqu’à ce que soient réunies les conditions favorables à la
publication du verdict présumé du tribunal international dans
les délais prévus.
Le fait que l’annonce de la fin de la
médiation saoudo-syrienne soit aussi brutale et intervienne au
lendemain des fêtes de Noël ne doit rien au hasard. De même que
ne doit rien au hasard non plus le fait que ce ‘divorce’
syro-saoudien ait été officialisé à la fin d’une réunion
quadripartite tenue dans la suite du souverain saoudien, le roi
Abdullah Ibn Abdel- Aziz à New York et ce, en présence du
président français Nicolas Sarkozy et de la Secrétaire d’Etat
américaine Mme Hillary Clinton, en sus de M. Saad Hariri,
président du Rassemblement du 14 mars et alors Premier ministre.
De même que ne relève pas de la coïncidence
le fait qu’Ehud Barak, ministre israélien de la Défense,
démissionne du parti travailliste pour constituer un nouveau
regroupement politique visant à renforcer son alliance avec le
Premier ministre Benjamin Netanyahu et avec Avigdor Lieberman,
ministre des Affaires étrangères, en vue de la constitution d’un
« cabinet de guerre » en Israël.
Ce qui réunit Netanyahu et Barak, c’est le
fait qu’ils sont convaincus du caractère inéluctable d’une
guerre visant à détruire le Hezbollah au Liban et servant de
piège pour entraîner la Syrie ou l’Iran (voire les deux) dans la
guerre, ce qui permettrait d’avoir des prétextes pour étendre ce
conflit et y impliquer les Etats-Unis et l’Union européenne aux
côtés d’Israël et de ses alliés (directs et indirects) au Liban.
C’est à notre grand regret que nous devons
dire que le Liban s’achemine à grands pas vers la guerre. Les
possibilités de paix reculent, si elles ne se sont pas déjà
totalement évaporées, ce qui signifie que les patients efforts
déployés actuellement par le triangle syro-turco-qatari sont
confrontés à de multiples difficultés. Nous n’exagérons
nullement en disant que les déclarations du prince Saoud
Al-Fayçal, qui son tombées juste au moment de la réunion du
sommet tripartite de Damas, visaient
à faire avorter cet effort tripartite (ou tout au moins,
dans le meilleur des cas, à en réduire les chances de succès).
Ce qui nous rassure quelque peu, dans ce contexte de sombres
intrigues, c’est le fait que la Résistance a choisi de tenir
bon ; elle a opté pour le ‘çumûd’. Elle a décidé de défendre le
Liban et son arabité dans la confrontation de toute agression
israélienne éventuelle avec la même fermeté à laquelle nous
avons assisté durant la guerre de l’été 2006. Les guerres
israéliennes ne sont plus des promenades de santé, ni des
incursions à sens unique face à des régimes corrompus et
croulants bien que vociférant. Non, ce sont désormais des
guerres qui doivent faire face à des peuples dont les enfants
sont prêts, aujourd’hui, à s’immoler par le feu afin d’allumer
la mèche des révolutions qui feront sauter ces régimes
répressifs, pourris et obscurantistes.
Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
Le sommaire d'Abdel-Bari Atwân
Le dossier
Liban
Dernières mises à
jour
|