Le Grand Soir
Rétrospective française sur Gaza
Abd Raouf Chouikha
Mardi 20 janvier 2009 « Ne pas
importer chez nous le conflit du Proche Orient » est devenu
un leitmotiv répété en chœur par les ministres, les hommes
politiques différents, les médias des grands journaux télévisés…
arguant bien entendu la complexité du problème et la difficulté
à être objectif. Pour ne pas importer le conflit, il faudrait
être « neutre » afin de ne pas « heurter les sensibilités » de
tout bord ; ce qui signifie pour certains médias renvoyer dos à
dos l’agresseur et ses victimes ou à la limite ne pas trop
s’étaler sur le sujet et évoquer encore moins le drame
humanitaire ni le calvaire quotidien de ces malheureux
palestiniens.
Le débat organisé à l’Assemblée nationale sur le
conflit à Gaza a réuni moins de quarante députés dans
l’hémicycle où les leaders sont restés muets et où seuls trois
ministres étaient présents. C’est croire que l’actualité est
somme toute terne et banale !
Dans ce débat Bernard Kouchner, ministre des
Affaires étrangères, a assuré que « les contours
d’un cessez-le-feu commencent à se dessiner » à Gaza. « Une
dynamique est lancée, des contacts se poursuivent
quotidiennement… J’ai la conviction que nos efforts vont
aboutir… » a insisté l’hôte du Quai d’Orsay. Le ministre a
distingué « les manifestations légitimes »,
qui « témoignent d’une vitalité démocratique »
tout en réprouvant les propos et les actes « antisémites »
ou « racistes ». Pourtant ce promoteur du « droit
d’ingérence » s’était engagé à l’appliquer partout. Après la
Somalie et le Kosovo, Bernard Kouchner appelle de toutes ses
forces à une intervention au Darfour « aux côtés
de ceux qui souffrent ». Mais on ne nous dit pas que ce « droit
d’ingérence » a un caractère très sélectif, qu’il ne
s’applique qu’en fonction d’intérêts et d’objectifs bien précis…
« Je veux mettre en garde contre toute
importation du conflit en France », a-t-il conclu.
Au nom des députés socialistes, Jean-Christophe
Cambadélis (Paris) a rappelé que « ce n’est pas
en proposant au peuple juif le cercueil ou les valises que les
Palestiniens obtiendront un État ». Il a toutefois ajouté
que le Hamas « croit pouvoir réactiver Septembre
noir ».
Martine Billard (Verts, Paris) a eu le courage
de qualifier Gaza de « camp d’internement à ciel
ouvert » puisque « la population n’a aucune
possibilité de fuir l’horreur des bombardements ».
Pour l’orateur du groupe (qualifiée de virulente
par Le Figaro ) qui réunit les députés communistes et Verts,
Israël veut créer des « bantoustans » pour
les Palestiniens. Et ces députés ont ajouté dans un communiqué
qu’une action judiciaire était possible en France pour
sanctionner « les violations du droit
humanitaire perpétrées par l’armée israélienne ». Les
députés communistes et Verts ont estimé que « les
Palestiniens de Gaza de nationalité française ont le droit de
saisir un juge français » à cet effet.
Le président de la commission des Affaires
étrangères, Axel Poniatowski (UMP, Val d’Oise), a affirmé que « les
torts sont incontestablement partagés » entre le Hamas et
Israël dans cette crise. Et il a appelé de ses vœux « l’envoi
d’une force internationale » à Gaza, comparable à la Finul
au Liban. Puis le débat fut clos, et aucune suite ne sera
envisagée.
Quant aux journaux, on qualifie souvent de « conflit
du Proche Orient », de « crise du Proche
Orient » ou pire d’ « opérations
israéliennes » pour décrire la situation à Gaza (le nombre
de morts et de blessés est rapidement évoqué). Les massacres
sont communément étiquetés « dommages
collatéraux ». L’information est donnée de manière furtive
et bien sûr laconique, afin bien entendu de… « Ne
pas importer chez nous le conflit du Proche Orient » !
Mais le plus inquiétant, sont les éditoriaux des
grands hebdomadaires de cette semaine qui interprètent de
manière bien singulière ce leitmotiv en couvrant les exactions
et les atrocités commises à Gaza. Ils utilisent pour justifier
l’agression, des arguments racistes puisés dans leur fond de
commerce : l’islamophobie.
A vous de juger…
Claude Imbert, dans Le Point du 16/01, avec le
titre choquant : « L’horreur et après ? »
parle d’un « escadron des sorcières (qui) attise
contre Israël un autre peuple errant… Souvenez-vous que
l’Autorité palestinienne – celle jadis d’Arafat et qui donna
l’espérance fallacieuse d’un pouvoir apte à négocier- s’est
trouvée débordée, dévaluée, puis combattue par la dissidence de
ses jusqu’au-boutistes. Contre elle, le Hamas … veut la mort
d’Israël, … le Hezbollah se rengorge (de lui) avoir résisté en
2006 … Enfin le président iranien Ahmadinejad jette de l’huile
sur le feu en appelant, lui aussi, à la fin de l’Etat juif »,
poursuit l’éditorialiste. « En France, les quartiers sensibles
bougent. Des juifs cachent leur kippa et certains, déjà,
déménagent. Une foule de plus de cent mille personnes
s’exaltait, à Paris, l’autre jour, contre Israël… l’antisionisme
se mue en antisémitisme déclaré. Une très sale pente ! »
Jusqu’à quand tous ces mensonges ?
Christophe Barbier, dans l’Express du 16/01,
défend Israël qui « a raison de mener cette
guerre et (qui) le fait aussi pour notre tranquillité ». « Le
Hamas est un mouvement terroriste », explique-t-il. « …
le nimber de nationalisme et l’oindre de
démocratie, c’est ruser avec le vrai : il n’y a pas de
terrorisme légitime … Affirmer que la chute du Hamas laisserait
la place à des mouvements plus intégristes encore, et qu’il vaut
mieux traiter avec celui-ci qu’affronter ceux-là, c’est
raisonner comme un poltron. Au grand jeu de la reculade et du
marchandage, l’Occident a perdu trop gros. En matière
d’islamisme, si elles acceptent le choléra pour éviter la peste,
les démocraties mourront du choléra, tout simplement »,
prévient-il enfin.
Jean Daniel dans le Nouvel Observateur titre
pour sa part son éditorial : « La contagion de
la haine ». Il dit « L’idée que (la France),
pays d’Europe où communautés juives et musulmanes sont les plus
importantes, pût rester à l’abri des retombées du conflit au
Proche-Orient était tout simplement absurde. Et le fait de
n’avoir pas pensé à cette éventualité est simplement
irresponsable….. Les représentants des grandes religions, de
leur côté, viennent de prendre enfin l’initiative d’inciter
ensemble leurs fidèles à renoncer à toute violence. Les
intellectuels ont un rôle considérable à jouer dans cette
épreuve. Ce rôle est clair : il s’agit de montrer à l’opinion
arabe qu’il y a de très nombreux Français juifs hostiles à
l’intervention israélienne à Gaza et de montrer à ces derniers
qu’il y a de nombreux Français musulmans qui exècrent le Hamas. »
Quant à l’inamovible B.H. Levy, il veut
simplement « Libérer les Palestiniens du Hamas »
dans le même Le Point. Il dit « Aucun
gouvernement au monde, aucun autre pays que cet Israël
vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé, ne tolérerait de voir
des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes :
le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement,
ce n’est pas la “brutalité” d’Israël — c’est, à la lettre, sa
longue retenue. » Si la longue retenue se limite par un
massacre de 1300 gazaouis et de 5500 bléssés. Faudrait-t il en
plus remercier Israël que le massacre soit si insignifiant et
que le drame humanitaire soit si anodin ? Il poursuit « N’étant
pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les
bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés,
moins intenses. » Faut il vraiment être expert pour
constater l’ampleur des dégâts, de dénombrer les morts et
blessés et, de voir que les cibles sont essentiellement des
civils (habitations, écoles, hôpital, sièges de l’URNWA,…). Quel
cynisme de la part de ce grand penseur !
Maintenant le sujet tendrait-il à devenir tabou
au point que celui qui ose exprimer une opinion différente,
dénoncer les crimes atroces commis à Gaza, et au minimum oser
s’apitoyer sur le sort des malheureux serait vite accusé
d’anathème : « vouloir importer le conflit chez
nous » !
En agissant de cette sorte, les valeurs de
droits et de justice s’en trouvent aujourd’hui fort altérées.
On est en droit de s’inquiéter : ou est passée
la conscience de la patrie des droits de l’homme ? Emile Zola,
René Cassin et tous les autres : au secours !
Abd Raouf Chouikha
Maitre de conferences
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