Témoignage
Retour à Lyon après la « Marche pour la Liberté de
Gaza »
Pierre Thivend
Vendredi 12 février 2010
L’an dernier, je vous
ai adressé une lettre « Pourquoi je vais passer le jour de l’an
à Gaza » ; parti le 27 décembre, je
suis resté bloqué au Caire sans pouvoir rejoindre Gaza.
Que s’est-il donc passé ?
En quittant Lyon, je savais que les
délégations étaient bloquées au Caire, bien que les modalités
d’entrée à Gaza aient été définies préalablement avec remise de
nos identités au Ministère de l’Intérieur égyptien.
Ma motivation restait intacte ; j’étais
persuadé qu’avec le nombre d’inscrits à cette marche l'Égypte
finirait par nous laisser passer ; nous étions en effet 1 362 de
43 nationalités à avoir remis copie de nos passeports, sans
compter bien d’autres venus officiellement comme touristes, mais
en fait pour se joindre à nous. Relativement confiant, je suis
donc parti comme prévu.
Nous ne venions pas pour dénoncer l'Égypte,
malgré son régime dictatorial ; nous ne voulions pas faire ce
cadeau à Israël : mettre en avant le valet plutôt que le
maître ; nous ne voulions pas non plus nous présenter en
donneurs de leçons, nous, originaires de pays anciens
colonisateurs de cette région. Pourtant au Caire, pendant les
négociations, la question se posait : que faire ? rester
inactifs ? peser sur ces négociations par des actions à même
d’attirer les médias ?
La décision, maintenue coûte que coûte par
les autorités égyptiennes, ne nous a pas laissé beaucoup de
choix.
Du 27 décembre au 1er
janvier, chaque jour, avec des approches et des stratégies
différentes, avec une immense difficulté à se concerter (nous
étions dispersés dans les hôtels de cette immense mégapole du
Caire), toutes les organisations, seules ou dans l’unité
d’action, ont manifesté leur solidarité avec les Gazaouis et
leur refus de l'impunité d’Israël
avec un mot d’ordre commun :
« Laissez-nous aller à Gaza – Ouvrez Gaza – Free Gaza ».
Parmi la quinzaine d’actions collectives
organisées durant cette semaine au Caire, je vous mentionne
celles qui m’ont semblé les plus significatives :
-
la marche aux bougies
le long du Nil :
4 à 500 "marcheurs" (après l'interdiction de louer des felouques
pour remonter le Nil) ont pu manifester en soirée le long du
fleuve ; ce fut la 1ère action visible de la
"Marche" ;
-
le campement des
français du groupe EuroPalestine
[il y avait deux groupes de français : 300 avec EuroPalestine,
150 avec l’AFPS et les Missions Civiles – j’étais dans ce 2e
groupe] : nos compatriotes sont restés, réclamant leurs bus
payés d’avance, du 27 décembre au 1er janvier sur le
trottoir de l’ambassade de France, malgré le froid, la
pollution, et la surveillance étroite 24h/24 d’un double, voire
triple, cordon de gardes mobiles. Ce fut l’action la plus
spectaculaire et médiatique qui a permis aux français de
devenir, pour la plupart des autres délégations, les "héros" de
la Marche !!!;
-
la tentative de
sortie du Caire en car : les
français du groupe AFPS-Missions Civiles avec les belges ont pu
quitter le Caire dans 5 cars loués à une autre compagnie ; 3 ont
été bloqués à une trentaine de Kms du Caire, les 2 autres à
l’entrée d’Ismaïlia à quelques 80 Kms ; notre retour forcé au
Caire s’est fait sous escorte policière. Par la suite, plusieurs
ont tenté, seuls ou en petits groupes, de partir en bus, taxis,
chemin de fer, voitures particulières ; 30 à 40 seulement ont
réussi à atteindre El Arish où ils sont restés bloqués ;
-
la grève de la faim
d’une trentaine de personnes,
dont Hety Epstein, vieille dame de 85 ans, rescapée de la Shoah, toute en détermination
et en apaisement ;
-
le rassemblement
unitaire devant le siège du syndicat des journalistes :
à 5 ou 600 de toutes nationalités, dont les grévistes de la
faim, nous avons occupé, un après-midi, les marches de
l’immeuble avec banderoles, slogans et chants ; le rassemblement
s’est prolongé le soir, au même endroit, à l’appel des juristes
égyptiens et avec des égyptiens, pour dénoncer la visite de
Netanyahu au Caire ;
-
le déploiement sur
l’une des pyramides de Gizeh d’un immense drapeau palestinien :
photographié, filmé, reprographié, il est paru dans les
principaux médias égyptiens ;
-
la tentative de
détournement de la "Marche" :
les
autorités égyptiennes ont donné l’autorisation à 2 cars d’aller
à Gaza, sous le patronage de Mme Moubarak et pour une mission
strictement humanitaire ; certains "marcheurs" se sont laissés
prendre au piège : 80 personnes sont ainsi entrées à Gaza.
-
la manifestation
unitaire du 31 décembre [ce jour-là
nous aurions dû marcher dans la bande de Gaza] : nous avons
tenté une marche sur une grande avenue, en plein cœur du Caire ;
l’information n’était pas passée auprès de tous et certains sont
restés bloqués par la police dans leurs hôtels ; nous étions
malgré tout plus de 500, vite bloqués par les forces de police,
extirpés de façon musclée et refoulés sur le trottoir. De toutes
nationalités, avec beaucoup de chaleur fraternelle, nous sommes
restés bloqués sur ce trottoir 5 à 6 heures, banderoles et
drapeaux déployés, avec force slogans et prises de parole, bien
visibles des passants.
Ce jour-là décédait d’une crise cardiaque une
militante de notre groupe, originaire de Brest –moment grave,
douloureux et plein de fraternelle attention pour son compagnon,
présent à cette "Marche pour Gaza".
La "Gaza Freedom March"
s’est conclue par un acte majeur : la
"Déclaration du Caire"
appelant à développer mondialement la campagne Boycott,
Désinvestissement, Sanctions (BDS), lancée en 2005 par la
société civile palestinienne.
Ces actions n’ont été
que peu ou pas du tout relatées par les médias "grand public" de
France (j’ignore ce qu’il en a été en Europe et dans le reste du
monde), malgré une forte pression par le Net de beaucoup d’entre
vous , par contre en Égypte et dans le Monde arabe l’impact a
été immense : tous les jours, la Marche a fait
la Une des
journaux égyptiens en arabe et en anglais ; tous les jours, elle
a donné lieu à des reportages des télévisions égyptiennes et du
monde arabe, notamment "El Jazzera".
Qu’en penser ?
Mon grand regret est,
bien sûr, de n’avoir pas été autorisé à traverser la frontière
et à entrer à Gaza, mais regret
surtout de ne pas pouvoir témoigner, à mon retour, de la vie à
Gaza, comme je m’y étais engagé.
Cependant :
Cette expérience m’a permis de mesurer
l’ampleur du blocus de Gaza par Israël (ça, je le savais), mais
aussi par l'Égypte (je ne me doutais pas d’un tel degré de
participation à ce blocus malgré la désapprobation massive de
son opinion publique), et par notre pays qui, bien hypocritement
en discours, demande la levée du blocus mais qui, dans les
faits, y contribue en s’impliquant même dans le chantier du mur
souterrain égyptien d'enfermement de Gaza !!!
Ma détermination à agir
pour la Palestine en est
renforcée, d’autant plus que :
-
La trentaine de
lyonnaises et lyonnais, dont de nombreux jeunes, qui ont
participé à cette "Marche", représente un formidable atout pour
les actions de soutien à la Palestine dans notre
agglomération lyonnaise ;
-
Entre les 43 nationalités présentes au Caire des liens se sont
noués, des coordinations se sont affermies, des actions
concertées au plan européen et mondial se mettent en place et
s’organisent principalement autour de la campagne BDS, à la
suite de la "Déclaration du Caire",
lancée par la délégation sud africaine ;
-
En France la "Marche" n’est pas passée inaperçue :
grâce à vous tous qui avez interpellé
élus, gouvernement, ambassades…, vous qui avez cherché des
informations et les avez transmises dans vos réseaux par
téléphone, courriels, blogs…, on a parlé du scandaleux blocus de
Gaza et des sanctions nécessaires contre les criminels de guerre.
Les grands médias et nos gouvernants ne pourront pas
éternellement soutenir avec autant d’impudence la politique
criminelle d’Israël, du moins je l’espère.
-
En Égypte aussi, les
associations et certaines organisations politiques d’opposition,
que nous avons rencontrées nous ont dit « heureusement que vous
n’êtes pas allés à Gaza : ce que vous avez fait est
extraordinaire pour la société égyptienne » ; le peuple
égyptien, y compris les policiers en uniforme, par mille signes,
nous a témoigné sa solidarité ; on a parlé du blocus de Gaza, en
Égypte et dans le monde arabe ; on a parlé de la participation
du régime égyptien à cette sale besogne, notamment de la
construction de son mur d’acier souterrain qui vise à parachever
l’agonie de Gaza ; cela ne pourra pas rester sans conséquences
dans un avenir plus ou moins lointain pour les régimes arabes
dictatoriaux et pour nos pays occidentaux qui les soutiennent.
Mais que pouvons-nous faire ?
Ma réflexion, cette
expérience et le soutien que vous m’avez massivement exprimé me
portent à vous inviter à rejoindre la campagne Boycott,
Désinvestissement, Sanctions (BDS), dans la foulée de la
"Déclaration du Caire".
Il y a mille manières permettant à tous, à
des niveaux d’engagement différents, d’entrer dans cette
dynamique, « en sachant qu’il s’agit d’une course de fond, de
longue haleine », comme nous le disait récemment un israélien.
-
Il y a l’action toute simple qui consiste à refuser d’acheter
les produits israéliens, non pas parce qu’ils sont israéliens,
mais parce qu’Israël refuse de faire la distinction entre les
produits des colonies et les autres ;
c’est une infraction au regard des traités
internationaux qu’il a signés (des
plaintes commencent à être déposées par des États, des
associations). Les produits les plus courants sont les agrumes
"Jaffa", "Carmel" …, les médicaments génériques "Teva"…, les
produits de beauté "Ahava"…, les appareils à gazéifier l’eau
"Soda Club"… (ce ne sont là que quelques exemples) ;
-
Regardez, lorsque vous achetez des produits, si l’origine
apparaît ou pas sur les gondoles,
c’est aussi une obligation pour les vendeurs ;
faites-leur savoir, de vive voix, par courrier ou par les fiches
idées souvent mises à la disposition de la clientèle, qu’ils
sont en infraction ; vous pouvez aussi le signaler à
la Direction
Générale de la Concurrence, de la Consommation et de
la Répression
des Fraudes (DGCCRF) –on trouve ses coordonnées dans l’annuaire
téléphonique- ou menacer de le faire ; signalez-le aussi aux
associations de défense des consommateurs (60 million de
consommateurs, Que choisir…) ;
-
Nous organisons des
actions collectives d’information sur des marchés, devant les
grandes surfaces, parfois même à l’intérieur ; vous pouvez vous
joindre à nous lorsque vous êtes disponibles ; faites-vous
connaître si vous souhaitez y participer (mes cordonnées : 06 19
50 66 67 ou
thivend.pierre@orange.fr ) ; consultez aussi le site de la
campagne en France :
http://www.bdsfrance.org/
Plus que jamais rempli d’espoir dans nos
capacités, ensemble, par mille petites actions, à faire bouger
les lignes, je vous transmets toutes mes amitiés.
Pierre Thivend
Dossier Marche internationale pour Gaza
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