Reportage d'Alter-Echos
Quand l'agroécologie
enrichit les femmes
des quartiers populaires
Jeudi 27 septembre
2012
Dans une
banlieue populaire au nord de Rio de
Janeiro, une coopérative a bouleversé la
vie des habitantes. Des terres en friche
sont cultivées par une vingtaine de
familles volontaires. Rotation des
cultures, diversité biologique, compost,
économies d’eau, banque de semences,
refus des engrais chimiques et des OGM
sont autant de pratiques désormais
partagées. Les femmes à l’initiative du
projet ont reconquis leur autonomie.
Reportage vidéo.
Un reportage
photos a initialement été publié sur le
site d’infos indépendant
Basta!
« Respecter les
sols, pour nous, c’est très important
parce qu’il faut prendre en compte que
c’est de là qu’on tire nos aliments, qui
nous permettent de nourrir nos enfants.
» Suelia, une jeune femme de 38 ans,
arpente avec fierté sa parcelle, où de
très belles salades voisinent avec des
aubergines, du gombo ou encore des
pommes de terre. Elle explique avoir
semé quelques graines de fleurs afin que
la terre puisse se reposer, être
humidifiée et attirer plus tard les
insectes pollinisateurs.
Mère de six enfants
en bas âge, Suelia a participé à la
création de la coopérative Univerde en
2008, dont l’objectif est d’améliorer
les conditions de vie des familles. «
Quand j’ai commencé à cultiver ma
parcelle, mon mari était atteint d’un
ulcère. Je suis très reconnaissante
envers la coopérative car, grâce à ses
produits, mon mari a une meilleure
alimentation et son état de santé s’est
amélioré. »
Nous sommes à Nova
Iguaçu, une banlieue populaire à 40 km
au nord de Rio de Janeiro. Pendant des
années, les ordures ménagères ont
recouvert les terres en friche. Mais,
depuis 2008, le paysage a changé
laissant la place à une vaste zone de
maraîchage agroécologique. « Ici, on
trouve salades, tomates, persil,
coriandre, roquette, aubergines, choux,
toute la production maraîchère »,
lance avec enthousiasme Alzeni, la
présidente de la coopérative Univerde.
Production
individuelle, ventes collectives
L’initiative est
partie du programme « Faim zéro »
impulsé par le gouvernement Lula. Les
terres appartiennent à la compagnie
Transpetro, une filiale de Petrobras, la
compagnie pétrolière publique
brésilienne. L’un de ses pipelines
longent le quartier populaire, à un
mètre de profondeur. L’entreprise a
accepté que ses terres soient cultivées.
Un geste pas totalement philanthropique
: dans cette zone délaissée par les
services de l’État, où se côtoient
violence et narcotrafic, la compagnie
attend des riverains qu’ils maintiennent
les zones des oléoducs propres et
empêchent toute construction
d’habitations sauvages. À raison d’une
parcelle de 1 000 m2 par foyer, une
vingtaine de lots ont ainsi été
attribués à des familles volontaires de
Nova Iguaçu.
Sur le bord d’une
parcelle, des sacs d’engrais sont
entassés. « Ce n’est pas chimique,
c’est du phosphate naturel de roche,
précise d’emblée Alzeni. L’industrie
agroalimentaire veut nous vendre ses
produits chimiques. Mais nous n’avons
besoin ni d’engrais chimiques fortement
consommateurs en eau, ni de pesticides,
seulement d’un bon compost. » Même
si chaque parcelle dispose d’un puits
équipé d’une pompe, les membres de la
coopérative s’emploient à économiser
l’eau en protégeant les sols par une
couverture végétale. « Pour éviter
que les sols se fatiguent, on pratique
également une rotation régulière des
cultures », ajoute Alzeni.
Autonomie des
femmes et projets d’avenir
Bien qu’elle
travaille seule, Laudicéia, une ancienne
employée agricole, fait de tout sur sa
parcelle. L’agroécologie implique en
effet une diversité des cultures. En
évitant la spécialisation et la
monoculture intensive, les familles
s’assurent une diversité de revenus,
indépendants des variations du marché
sur tel ou tel produit. Mais si la
production est réalisée sur une base
individuelle, tout le reste, y compris
les ventes de produits, se fait
collectivement. Les membres de la
coopérative bénéficient de l’appui
technique de
l’AS-PTA, l’association brésilienne
pour l’agriculture familiale et
agroécologique, soutenue financièrement
côté français par le
CCFD-terre solidaire.
Une fois par mois,
une réunion de planification permet
d’ajuster la production à la demande.
Des contrats ont été passés avec des
marchés locaux mais aussi avec la
municipalité pour les cantines
scolaires. « Il nous faut prendre en
compte le temps pour l’achat des
semences, pour la production, ainsi que
les soucis familiaux de chacun,
relate Alzeni. On redistribue les
semences et les plants entre membres de
la coopérative disposés à produire
durant une période donnée. » Deux
tonnes de fruits et de légumes sont
récoltées mensuellement de façon
collective. 70 % des produits sont
vendus, le reste est destiné à
l’autoconsommation. Une fois les
produits vendus, un registre de la
production est mis à jour, où chaque
agriculteur doit laisser 5 % de son
résultat pour les dépenses communes.
« Protéger les
sols et la santé de nos enfants »
Avec l’argent gagné
grâce au maraîchage, Joice, associée
fondatrice, a pu construire sa maison
pour abriter ses 4 enfants et s’occuper
d’eux. Avant, elle était cuisinière à
Rio et ne pouvait voir ses enfants que
le week-end. Suelia met une partie de
son revenu de côté afin de pouvoir
envoyer plus tard son fils à
l’université. La grande fierté pour
Alzeni, c’est d’avoir contribué avec
cette coopérative à l’amélioration de la
vie du quartier. La municipalité a, par
exemple, commencé à goudronner les
routes, à créer un réseau
d’assainissement et a édifié une crèche
pour les enfants.
« Notre travail
a débuté par le nettoyage des parcelles,
de l’environnement dans lequel nous
vivons, explique Alzeni. Et à
partir de là, nos pratiques ont évolué
afin de protéger les sols et la santé de
nos enfants. Notre conscientisation
s’est accompagnée d’échanges avec les
voisins, qui nous encouragent à
poursuivre notre travail. Ce qui a
changé, c’est surtout la vision qu’ont
l’ensemble des habitants de leur propre
quartier. » Le regard des femmes sur
leur propre vie a aussi changé. Après
avoir reconquis leur autonomie, chacune
d’elles affiche une grande détermination
et une estime retrouvée.
80 banques de
semences communautaires
Les projets de la
coopérative sont encore nombreux, à
l’image de la serre qui attend encore
ses semences et ses plants. Le
producteur qui les livre a pris du
retard, ce qui a causé quelques
problèmes pour la commercialisation.
« Nous allons dédier une partie de nos
parcelles à la sélection et à la
multiplication des semences,
explique Alzeni. Nous ne voulons plus
dépendre de fournisseurs extérieurs pour
nos semis mais au contraire développer
des semences locales adaptées au milieu.
» Ce jour-là, les femmes d’Univerde
rencontrent Maria, venue de Borborema,
une municipalité de l’État de São Paulo.
Le pôle syndical qu’elle coordonne est
impliqué dans un réseau de 80 banques de
semences communautaires auquel
participent 2 000 familles. Pour Alzeni,
c’est ce type de rencontres et
d’échanges d’expériences qui fait la
force de leur coopérative et de l’agroécologie.
Renforcer les
réseaux d’échanges et ces expériences
dans l’agroécologie, c’est tout l’enjeu
du travail mené par l’AS-PTA. « Nous
n’avons rien inventé, nous avons
simplement repéré là où ça existait et
donné une visibilité à une pratique
sociale très répandue », témoigne
Marcio, coordinateur du programme
d’agriculture urbaine de l’association.
Selon une étude réalisée par la
Fondation de recherches économiques (Fundação
Instituto de Pesquisas Econômicas),
l’agriculture familiale générait 27 % du
PIB de l’État de Rio Grande do Sul en
2003, contre 23 % pour
l’agroalimentaire. « On sait que
l’agriculture familiale fournit 70 % de
la consommation au Brésil et 75 à 85 %
des emplois en milieu rural »,
précise Luciano, de l’AS-PTA.
Aujourd’hui, les programmes
d’agriculture urbaine s’étendent dans
plusieurs municipalités de l’État de Rio
via les coopératives et les associations
de quartier. Autant d’expériences
réelles et concrètes porteuses d’un
projet politique transformateur.
Dans la coopérative
Univerde, Josyane, 20 ans, se bat pour
associer les jeunes à ce projet. «
Nous ne sommes pas que le futur, nous
sommes aussi le présent et nous savons
que l’agriculture ne peut pas survivre
sans son environnement. Tout est lié et
il nous faut penser ces inter-relations.
» Sa mère, Alzeni, est bien
consciente de la difficulté à trouver
des gens ayant la capacité et l’envie de
travailler la terre en zone urbaine.
« Les gens qui sont partis sont ceux qui
n’avaient pas cet amour du travail
agricole, explique-t-elle.
Pourtant, sans un certain amour de la
terre, nous ne serions pas allés aussi
loin.
Crédit photos :
Alter-Echos
Publié sur
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