Depuis le 15 mai 1948, la souffrance devient
un pain quotidien des habitants du camp de Tulkarem. Mais pas un
jour ne passe sans qu'ils ne rêvent de l'aube d'un jour où ils
retourneront à leurs villes, villages et localités d'où ils
avaient été chassés il y a soixante ans, lors de la création de
l'Entité Sioniste sur leurs terrains.
Hadj Abou Khaled At-Tanja n'a jamais pensé
qu'il vivrait soixante ans dans un camp de réfugiés. Il était
très jeune quand il avait été chassé de son village de Tartoura,
sous-préfet de Jaffa. En effet, les Sionistes l'avaient enfermé
pendant un an, avant qu'il puisse fuir la prison avec une
vingtaine de camarades. Ils croyaient qu'ils seraient de retour
dans au plus tard une semaine.
Les années passent. Abou Khaled se marie. Six
garçons et quatre filles remplissent sa vie. Cependant, à
quatre-vingt dix ans, le rêve du retour ne le quitte pas. Et
lorsqu'il entend quelqu'un parler de quelconques négociations
destinées à annuler le droit au retour, il crie :
Avec un regard méfiant et un ton triste, le
vieux ajoute : « Toutes ces accords, toutes ces négociations ne
pourront jamais nous rendre aucun droit. Tous les dirigeants
arabes sont assujettis aux Américains et aux Sionistes ».
C'est en 1949 que les travaux de construction
du camp ont commencé, à l'Est de la ville de Tulkarem. Depuis le
début, les habitants sont obligés de s’habituer à une vie le
moins qu'on puisse dire difficile. Seize mille âmes n'ont qu'un
cabinet médical, un médecin, un dentiste...
Le camp, par ailleurs, ne possède que des
écoles primaires et quelques écoles de l'UNRWA. Les écoles de ce
dernier ferment souvent leurs portes suivant ses conditions. Les
conditions difficiles de l'agence n'arrêtent pas d’affecter le
rendement de ses services dans tous les domaines : éducationnel,
social et sanitaire.
La rue Al-Awda, le retour, coupe le camp en
deux. La mairie du camp essaie de présenter ses services, le
mieux qu'elle puisse faire avec les moyens du bord.
Et le chômage fait rage dans le camp. Les
jeunes qui travaillaient ne peuvent plus bouger, surtout à
cause du mur de séparation discriminatoire, entre autres.
Photo CPI
Résistance
Malgré leurs
souffrances, les habitants ne vivent pas si tranquilles que
cela. Le camp est le sujet d'invasions à répétition de la
part des forces d'occupation israélienne, surtout durant les
Intifadas, la première et celle d'Al-Aqsa.
Le camp a donné trente-cinq martyrs. Le
plus grand nombre en Cisjordanie. Mohammed Abou Hachim est
le plus connu d’entre eux.
Et le camp connaît également un nombre
considérable de jours chômés, de jours placés sous un
couvre-feu, imposé par l'occupation israélienne. Une moyenne
élevée, plus de cent jours par an, durant la bénie Intifada.
Tout prétexte est bon pour que les forces
de l'occupation israélienne mettent la pagaille dans le
camp. Pendant l'Intifada, elles prenaient la liberté
d’endommager les maisons et les biens des réfugiés, déjà
maigres. Elles mettent aussi la main sur les jeunes pour les
enfermer dans leurs prisons. Plusieurs y passent leur vie.
Et ces forces laissent derrière elles
beaucoup de blessés, beaucoup d'handicapés. Plusieurs ont
perdu leurs membres !
Le professeur Monir Abou Tammam a passé
plus d'un quart de siècle comme instituteur dans le camp. Il
confirme que le camp est un camp de résistance. Il a
participé à l'Intifada d'Al-Aqsa, dès son premier jour, et a
donné un martyr : Mohammed Al-Qalaq.
Des dizaines de milliers de personnes,
habitants du camp et de la ville de Tulkarem, ont participé
au cortège funèbre du martyr Al-Qalaq. Ce cortège a
réchauffé les sentiments de tout le monde dans le camp. Et
la participation effective dans l'Intifada a débuté, les
invasions israéliennes avec. La première était en janvier
2001. La deuxième en avril 2001. La plus sanguinaire reste
l'invasion donnée en 2004. En un jour seulement, dix-sept
Palestiniens sont tombés en martyre. Il y a aussi eu un
grand nombre de blessés et de prisonniers. Plus de deux
cents prisonniers dont plusieurs ont été condamnés à
perpétuité.
Dans l'Intifada d'Al-Aqsa, chaque famille
a donné quelque chose, dit le professeur Sohaïl Abou Alfih.
Un martyr. Un blessé. Un prisonnier. Une maison, totalement
ou partiellement détruite.
Après ces événements, les écoliers ne
dessinaient plus que des scènes de martyrs, de blessés,
d'affrontements, confirme Monir Abou Tammam.
Et pour ce qui est de ces accords et
négociations qui ne parlent plus du droit au retour et de
l'avenir des réfugiés, Abou Tammam remarque que l'accord
d'Oslo en a enrichi et gonflé quelques-uns, sur le dos du
peuple. Cet accord a poussé d'autres gens vers plus de
pauvreté et de chômage. Parmi ces derniers se trouvent
évidemment les habitants du camp de Tulkarem. Et quant aux
négociations actuelles, ce ne sont que des illusions. On ne
parle pas de l'avenir des réfugiés et de leur droit au
retour, dit Suhaïl.
Personne, petit ou grand, ne voit et ne
veut une alternative au droit au retour. Le retour au pays
est une affaire évidente, autant le temps passe. Malgré
cette bonne conscience, il faut éduquer les nouvelles
générations à l'attachement à leurs droits et aux efforts
pour les obtenir, dit le professeur Massoud.
Le
camp et ses institutions
Le camp possède un
centre pour les femmes. Il essaie de leur offrir quelques
services, autant que possible. Il essaie également
d'améliorer la condition de la femme palestinienne, au
niveau social, économique et culturel. Des stages de
couture, d'informatique ou d'autres métiers, afin de
renforcer son rôle à l'intérieur du camp et à l'extérieur.
Le club de la jeunesse du camp de
Tulkarem travaille à attirer les jeunes vers le sport, la
culture, l'art, pour pousser le niveau du camp vers le haut.
En ce qui concerne le droit au retour, le
directeur administratif du club Rachid Karsou' croit qu'en
observant les événements en cours, on remarque facilement
l'atermoiement de l'adversaire sioniste à rendre au peuple
palestinien ses droits. On ne lui fait aucune confiance.
Tous les pactes signés ne sont plus que paperasses, sans
aucune utilité.
« Depuis l'accord d'Oslo et jusqu'à nos
jours, aucun accord n'a pas été respecté », dit Rachid. Il
croit à l'importance du dossier des réfugiés et de leur
droit au retour. Il s'agit d'un droit concernant un peuple
qui a été chassé de sa terre, qui a perdu ses biens et ses
maisons. Les initiatives qu'on voit de nos jours et qui
veulent laisser tomber le droit au retour, à l'image de
celle de Genève, ne sont point acceptables, dit Rachid.
Endurance
Malgré toutes les douleurs et les
souffrances que les réfugiés palestiniens subissent, dont
les habitants du camp de Tulkarem, ils restent attachés au
droit au retour. Un habitant exprime bien le sentiment
général : « Si nous avions voulu faire une concession de
notre droit au retour, nous n'aurions pas donné tous ces
sacrifices, tous ces martyrs et blessés, dans tous ces
combats, pendant toutes ces dures années. Il y a rien qui
puisse remplacer le droit au retour; c'est notre vie... ».
Le
camp en quelques mots
- 16 à 17 mille
sont le nombre d'habitants du camp.
- Ils sont tous des déportés de la Nakba,
la catastrophe de 1948.
- L'origine des habitants est très variée
et complexe. Ils viennent de différentes villes et de
différents villages occupés en 1948, du nord au sud de la
Palestine.
- Les quartiers et les ruelles du camp
ont pris les noms des familles qui y habitent. Ils prennent
parfois les noms de batailles. Il y a le quartier du cheikh
Ali, ceux d’Al-Ghanim, des Martyrs, d’Al-Qadissiyya, d’Al-Anssar.
- Le camp de Tulkarem comporte deux
écoles pour les garçons, trois pour les filles, et un
collège.
- Le camp se trouve du côté
oriental de la ville de Tulkarem. Il sépare aussi cette
ville du village de Thanaba. La rue principale reliant
Tulkarem à Naplouse le côtoie également.
Photo CPI