BDS
Sodastream : Lettre de François
Dubuisson, professeur de droit aux
organisateurs du festival de BD
d’Angoulême
Ma'aleh
Adumim
Samedi 1er février 2014
« Aux organisateurs du Festival
d’Angoulême,
J’ai constaté avec consternation que le
Festival d’Angoulême a noué pour son
édition 2014 un partenariat privilégié
avec la firme israélienne SodaStream,
désignée « boisson officielle du
festival » (http://www.bdangouleme.com/439,l-espace-sodastream).
En tant que professeur de droit
international, j’ai été particulièrement
interpellé par l’argumentaire que vous
avez avancé pour justifier ce
partenariat, en réponse aux critiques
émises notamment par un collectif de
dessinateurs. En résumé, vous prétendez
qu’aucun problème ne se pose puisque
SodaStream est installée dans une
colonie « ancienne » située en zone C,
ce qui lui donnerait le droit d’y être
implantée et d’y persister. Ce point de
vue est pour le moins surprenant, et
correspond en réalité à la position
défendue par la droite nationaliste
israélienne pour justifier la poursuite
continue de la colonisation du
territoire palestinien.
Contrairement à ce que vous semblez
croire, TOUTES les colonies
israéliennes, en ce compris la
municipalité de Ma’aleh Adumim où est
située la principale usine de SodaStream,
sont installées illégalement, en
violation du droit international. Dans
sa résolution 465 (1980), le Conseil de
sécurité des Nations Unies a qualifié «
la politique et les pratiques d’Israël
consistant à installer des éléments de
sa population et de nouveaux immigrants
dans les territoires occupés » de «
violation flagrante » du droit
international. C’est la position
officielle constante de l’Union
européenne et de ses Etat membres, y
compris la France. Dans son avis du 9
juillet 2004 concernant le Mur
(intervenu bien après la conclusion des
Accords d’Oslo, auxquels vous vous
référez), la Cour internationale de
Justice a encore confirmé le fait que «
que les colonies de peuplement
installées par Israël dans le territoire
palestinien occupé (y compris
Jérusalem-Est) l’ont été en
méconnaissance du droit international ».
En particulier, l’installation des
colonies viole l’article 49 § 6 de la 4e
Convention de Genève. Ce fait est
également constitutif de crime de guerre
au regard du Statut de la Cour pénale
internationale. De plus, les terres sur
lesquelles le parc industriel de Mishor
Adumim a été implanté ont été
confisquées illégalement par le
gouvernement israélien.
La promotion d’activités économiques
dans les colonies participe directement
du maintien de cette situation illégale
et se fait au détriment des possibilités
de développement de l’économie
palestinienne, comme le constatent de
nombreux rapports internationaux. Est
particulièrement visé l’accaparement par
Israël de la « Zone C », qui empêche
toute viabilité économique de la
Palestine. Ainsi, un rapport de la
Banque mondiale constate :
« Plus de la moitié des terres de
Cisjordanie, dont une bonne partie est
riche en ressources et arable, sont hors
d’accès pour les Palestiniens. La Banque
mondiale publie aujourd’hui la toute
première étude approfondie de l’impact
potentiel de cette « zone réglementée »
dont le manque à gagner s’évalue
actuellement à environ 3,4 milliards de
dollars pour l’économie palestinienne.
La zone C représente 61 % de la
superficie de la Cisjordanie. C’est la
seule zone contigüe reliant 227
localités de plus petite taille, mais
densément habitées. Les Accords de paix
d’Oslo de 1993 stipulaient que la Zone C
serait progressivement transférée à
l’Autorité palestinienne d’ici 1998. Ce
transfert n’a jamais eu lieu. » (http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/10/07/palestinians-access-area-c-economic-recovery-sustainable-growth).
Le récent Rapport de la mission
internationale des Nations Unies chargée
d’étudier les effets des colonies de
peuplement israéliennes sur les droits
des Palestiniens dans le territoire
palestinien occupé (Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies, 7 février
2013) souligne à cet égard : « C’est en
étant pleinement informées de la
situation actuelle et des risques
associés en matière de responsabilité
que les entreprises commerciales
établissent leurs activités dans les
colonies de peuplement, contribuant
ainsi au maintien, au développement et à
la consolidation de ces colonies ».
La société SodaStream est l’une des
sociétés à être tout particulièrement
mise en cause pour la contribution de
ses activités à la politique
d’occupation et de colonisation mise en
œuvre par le gouvernement israélien.
L’ONG israélienne WhoProfits lui a
consacré en 2011 un rapport spécifique,
qui conclut : « SodaStream et les
industries similaires installées dans le
parc industriel de Mishor Adumim
soutiennent directement la colonie de
Ma’aleh Adumim à différents égards. Tout
d’abord, par les taxes municipales que
la société verse à la municipalité de
Maale Adumim, qui sont utilisés
exclusivement pour soutenir la
croissance et le développement de la
colonie. [...] Ainsi, lorsque l’on
achète un produit de SodaStream, on
contribue au maintien de la colonie de
Maale Adumim » (http://www.whoprofits.org/sites/default/files/WhoProfits-ProductioninSettlements-SodaStream.pdf).
Vous avancez que « SodaStream crée
plutôt des passerelles. Elle emploie 500
travailleurs palestiniens qui
travaillent dans de bonnes conditions ».
Cette affirmation, dont on se demande
bien quelle est la source, ne va pas
dans le sens des investigations opérées
par les ONG de terrain. Dans son rapport
précité, l’association israélienne
WhoProfits opère un constat très
différent :
«Selon les rapports de trois années
consécutives (2008 à 2010) de Kav LaOved
(une ONG de protection des droits des
travailleurs employés par des
entreprises israéliennes), les
travailleurs de l’usine de SodaStream
souffrent de conditions de travail
difficiles. C’est particulièrement vrai
pour les travailleurs palestiniens. Au
cours des dernières années, en plusieurs
occasions, les travailleurs se sont
plaints de bas salaires et de mauvaises
conditions de travail [...]. Les
travailleurs palestiniens disent qu’ils
sont victimes de discrimination, ils ne
gagnent même pas la moitié du salaire
minimum et les conditions de travail
sont terribles. S’ils exigent le respect
de leurs droits, ils seront licenciés.
C’est la situation dans beaucoup
d’usines dans ce domaine, mais l’usine
de Soda Club est l’un des pires ».
Et si certains Palestiniens se trouvent
contraints de gagner leur vie dans les
entreprises des colonies, c’est parce
qu’ils n’ont pas d’autres choix, la zone
C étant quasiment interdite d’accès aux
investisseur palestiniens.
Les activités de SodaStream sont
dénoncées par de nombreuses
organisations des droits de l’homme, peu
suspectes d’« anti-israélisme ». Dans le
contexte de la récente controverse
concernant l’association de l’actrice
Scarlette Johansson à la campagne
marketing de SodaStream, la directrice
pour le Moyen-Orient de Human Rights
Watch (HRW), Sarah Leah Whitson, a
souligné: « SodaStream opère dans une
colonie israélienne, dont la seule
existence constitue une grave violation
du droit international. Il est
impossible d’ignorer le système
israélien de discrimination illégale, de
confiscation de terres, de vol des
ressources naturelles et de déplacement
forcé des Palestiniens en Cisjordanie
occupée, où SodaStream est situé ». Et
l’ONG Oxfam, dont l’actrice était
l’ambassadrice, a déclaré « que les
entreprises qui, comme SodaStream,
exercent leurs activités dans les
colonies contribuent à y perpétuer la
pauvreté et le non-respect des droits
des communautés palestiniennes que nous
nous attachons à soutenir. Oxfam
s’oppose à toute forme de commerce avec
les colonies israéliennes, lesquelles
sont illégales au regard du droit
international ».
Vous concluez en déclarant que « rejeter
[SodaStream] reviendrait à la condamner
: ce serait une injustice à l’envers».
Voici une position fort surprenante et
peu cohérente. Par un curieux
renversement logique, vous considérez
que s’associer à des produits des
colonies israéliennes contribue à
construire des « passerelles », alors
que choisir de ne pas en faire la
promotion deviendrait une « injustice ».
En réalité, c’est bien tout le contraire
: en décidant délibérément et en pleine
connaissance de cause d’établir un tel
partenariat, vous faites un choix
politique en faveur de la «
normalisation » de la colonisation et du
développement économique des colonies
illégales, au détriment des populations
palestiniennes.
Vous comprendrez qu’il apparaît dès lors
choquant qu’un festival comme celui
d’Angoulême puisse s’associer à une
firme comme SodaStream et faire la
promotion de ses produits, comme un
soutien de la politique de colonisation
du gouvernement israélien.
Très cordialement »
François Dubuisson
Professeur de droit international à
l’Université libre de Bruxelles (ULB)
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