Syrie
Nabil Antaki :
"Nous avons hâte que la guerre cesse"
Jeudi 17 octobre 2013
Nous voulons remercier tous les amis qui
nous soutiennent par leur amitié, leurs
messages, leurs prières et leurs dons.
Lettre d’Alep No 14
10 octobre 2013
Un
statu quo précaire règne à Alep depuis
quelques semaines, concomitamment avec
la décision de suspendre les frappes
aériennes qu’on devait nous infliger
pour « punir » le
régime d’avoir utilisé des armes
chimiques. Vouloir « punir »
le régime en tuant des jeunes conscrits
(se trouvant sur les sites visés) ou des
civils (par les bombes dites
intelligentes qui manquent souvent leurs
cibles comme on l’a vu ailleurs) et en
bombardant une infrastructure déjà
largement détruite par 2 années et demie
de guerre ! Quelle bêtise. Les Alépins
ont trouvé cette farce grotesque et, en
d’autres circonstances, en auraient ri.
Comme si la crise syrienne avait
commencé avec les armes chimiques et
prendrait fin avec leur destruction.
Heureusement que l‘accord, qui a permis
de sauver la face des va-t-en guerre
occidentaux, semble être l’amorce d’un
processus de paix négocié. Depuis donc
cet accord, il n’y a presque plus
d’action militaire en ville si ce n’est
le bruit continu mais lointain des
canons d’une part et les batailles à la
campagne entre les bandes armées
rebelles, le groupe islamiste le plus
extrémiste prenant le dessus et
exécutant les dirigeants de l’ASL.
Quant
à la vie de tous les jours à Alep, elle
est moins difficile qu’avant. Il y’a
toujours un rationnement de l’eau, de
l’électricité et du pain mais il semble
que les Alépins se soient habitués à cet
état et ont organisé leur vie en
conséquence. Les déplacés qui s’étaient
réfugiés dans les écoles, ont été
évacués et les écoles ont ouvert leurs
portes. Quant au blocus qui dure depuis
maintenant 3 mois, il est devenu moins
pénible grâce à un nouveau métier : le
« maabarji » = celui qui traverse le
maabar ou le point de passage entre les
2 zones. Les rebelles, qui ont imposé le
blocus, laissent passer les piétons (par
milliers tous les jours et dans les 2
sens). Ils leur permettent d’emporter
avec eux autant de petits sacs noirs en
plastique que peuvent porter leurs 2
mains (les marchandises en camion sont
interdites de rentrer). Alors chaque
personne rentre avec un sac de 1 kg de
tomates, un autre de concombres, un 3eme
de raisins etc.… Une fois dans Alep, le
maabarji remet ses sacs à un associé et
retraverse pour revenir avec d’autres
sacs. Et comme 1 kg plus 1 kg peuvent
faire des dizaines de kilo, tous les
trottoirs d’Alep sont envahis par les
étals de marchands, s’approvisionnant
chez les maabarjis, qui vendent leurs
produits à des prix exorbitants vu le
nombre d’intermédiaire et le bakchich
qu’on doit payer à ceux qui gardent le
point de passage. Le ravitaillement est
devenu, pour les bandes armées, un
business très lucratif. Mais les 2
millions d’Alépins, déjà très appauvris
par la guerre, payent les produits 5
fois plus chers que les mêmes produits
se trouvant de l’autre côte du maabar.
La majorité des habitants circulent à
pied. La circulation des voitures est
très difficile vu que les trottoirs sont
envahis par les marchands, la chaussée
par les piétons, et les voitures
slalomant entre eux.
L’essence, le fuel et la farine sont
toujours interdites de passage. J’ai pu
remplir le réservoir de mon générateur
de 1000 litres de fuel que le maabarji a
fait passer, en plusieurs passages, dans
100 sacs de plastique transparent de 10
litres chacun les faisant passer pour du
vinaigre !! Nous sommes restés sans
téléphone pendant 3 semaines et sommes
sans internet depuis 6 semaines et le
blocus des personnes est en vigueur
depuis 45 jours, personne ne peut entrer
ou sortir d’Alep sans risquer sa vie. On
nous promet une amélioration avec
l’ouverture d’une nouvelle route qui
contournerait les zones tenues par les
rebelles et par laquelle sera acheminé
tout ce qui manque et permettra le
voyage des habitants.
Nos
activités, avec les Maristes bleus et
l’Oreille de Dieu continuent de plus
belle. Nous avons décidé, début
septembre, de loger en ville les
familles déplacées de Djabal Al Sayde
qui s’étaient réfugiées chez nous en
fuyant leur quartier envahi le vendredi
Saint par les rebelles. Et ce, pour 2
raisons : nous avons estimé qu’il était
temps, pour ces gens, de vivre en
famille alors qu’ils logeaient chez
nous, depuis 5 mois, dans des dortoirs
séparés et puis, la maison des Maristes
étant loin des écoles de leurs enfants,
nous avons jugé qu’avec la rentrée
scolaire, il serait préférable qu’ils
habitent près des écoles des enfants, le
ramassage scolaire n’existant plus. Nous
leur avons payé le loyer (pour 6 mois)
des petits appartements meublés (rudimentairement)
qu’ils avaient trouvés.
A
partir du 1er octobre, nous avons
organisé notre action et nos activités
autour de 2 axes :
Les activités de
secours :
Notre
programme d’aide aux déplacés de Djabal
Al Sayde se poursuit. Le 14ème Panier de
la Montagne (Sallet al Djabal =panier
alimentaire mensuel) a été distribué aux
300 familles vendredi 4 octobre. Une
distribution de vêtements d’hiver (nos
déplacés avaient quitté fin mars leurs
appartement n’emportant avec eux que les
habits de printemps qu’ils portaient)
est prévue pour fin octobre. Début
novembre, nous leur donnerons des
chaussures et des bombonnes de gaz
(indispensables pour la cuisine). Nous
avons offert les fournitures ainsi que
les livres scolaires aux enfants. Nous
n’oublions pas nos protégés du quartier
Midane qui reçoivent aussi un panier
alimentaire mensuel. Nous distribuons
tous les midis un repas chaud à 250
personnes dans le besoin. Et nous
poursuivons notre projet des « Blessés
de Guerre » pour traiter gratuitement
les civils atteints par des actes de
guerre et qui n’ont pas les moyens de se
faire traiter à leurs frais.
Les activités
pédagogiques
Maintenant que nos locaux sont redevenus
disponibles avec le départ de nos
déplacés et pour revenir à la principale
mission des Maristes qui est l’éducation
des enfants, surtout les plus
défavorisés, nous avons développé nos
activités pédagogiques pour répondre aux
immenses besoins créés par la guerre. « Apprendre
à Grandir » s’est agrandi et a
maintenant un frère jumeau. Il s’occupe
des enfants d’âge préscolaire, de 3 à 6
ans, par l’éducation, l’instruction et
la santé. Le projet initial continue
toutes les après-midi de 15h à 19h avec
55 enfants des familles pauvres ou
déplacées. Le nouveau projet a lieu tous
les matins de 9h à 12h30 avec 100
enfants des familles des déplacés des
écoles. En parallèle, le matin, un
nouveau projet « Je veux
Apprendre » va démarrer et qui
visera 50 enfants déplacés en âge
scolaire de 7 à 13 ans, mais qui ne vont
pas à l’école, pour leur apprendre au
moins à lire, écrire et compter. Le
programme « Tawassol » continue 4
matinées par semaine et vise à donner
aux mamans, de 20 à 35 ans, des cours
d’anglais, d’informatique, de pédagogie
et de travaux manuels pour leur
permettre, en plus de s’épanouir, de
suivre les enfants dans leurs leçons ;
L’anglais et l’ordinateur sont
maintenant dans le programme scolaire
depuis la 1ère classe. Enfin, le
programme « Skills
School » est poursuivi certains
après-midi pour les adolescents (tes).
Leur nombre dépasse maintenant la
cinquantaine.
J’aimerai souligner que nos différents
programmes sont tous destinés aux
familles défavorisées et/ou déplacées et
sont entièrement gratuits. Nous avons
encore d’autres projets que nous
aimerions réaliser ; Mais, malgré les 42
bénévoles, les 6 salariés (chauffeur,
responsable des achats…) et les neuf
membres de notre équipe (3 frères
maristes, 6 laïcs : 4 femmes et 2
hommes), nous manquons de moyens
humains.
Voilà
où on en est. Nous sommes un peu plus
optimistes qu’il y a 2 mois mais nous
avons hâte que la guerre cesse. Avec les
Maristes du monde entier, notre devise
pour cette année est : sème espérance.
En terminant, nous voulons remercier
tous les amis qui nous soutiennent par
leur amitié, leurs messages, leurs
prières et leurs dons.
Nabil Antaki
Pour les Maristes Bleus
Alep, le 10 octobre 2013
Source : Anis el Abed
Le
dossier Syrie
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