Palestine
« Les pressions exercées par
l’occupation ne peuvent briser la
volonté du peuple palestinien »
Ziad Nakhale
Lundi 21 avril 2014
Dans une interview accordée au
quotidien arabe « al-Quds al-Arabi »
publié à Londres, le secrétaire général
adjoint du Mouvement du Jihad islamique
en Palestine dénonce la « coordination »
sécuritaire entre l’Autorité
palestinienne et l’occupant.
Texte publié le 19 avril dernier :
Q. M. Ziad Nakhale, certains ont
jugé que l’ajout de votre nom sur la
« liste du terrorisme » au moment où les
mouvements islamistes affirment leur
présence dans la région vise le projet
de la résistance. Quelles sont les
conséquences d’une telle catégorisation
que certains régimes arabes adoptent,
comme c’est le cas récemment en Egypte
concernant le mouvement Hamas ?
R. Il n’est pas
étonnant que l’administration américaine
prenne de temps à autre des mesures
visant la résistance. Que ce soit sur le
plan moral ou pratique. Mais qu’une
grande puissance nomme un individu et le
classe dans ce qui est appelé « la liste
du terrorisme », cela a suscité
étonnement et surprise parmi les hommes
d’opinion et les observateurs. Ce qui
nous intéresse, c’est de savoir si une
telle décision aura un impact ou
modifiera quelque chose ? Je ne suis pas
le premier et ne serai pas le dernier
dans ce qu’ils appelle les listes du
terrorisme. Si nous allons plus loin, je
peux dire : les Etats-Unis considèrent
terroriste toute personne qui est en
désaccord avec elle ou avec sa
politique, et même des Etats et de
nombreuses organisations ont été mises
sur les listes des terroristes, et tout
cela pour servir « Israël ».
Q. La recrudescence des
assassinats commis par « Israël »,
est-ce que vous y voyez un lien avec les
tentatives américaines coordonnées avec
des parties palestiniennes pour imposer
une solution quelconque ?
R. l’intensification de
l’agression contre notre peuple
palestinien n’a jamais cessé, même pas
un jour, mais elle prend des formes
différences en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza, comme les meurtres, le
blocus, la destruction, les arrestations
et autres. Elle vise à plonger le peuple
palestinien dans le désespoir et à lui
dire que l’occupation est son sort
final, que la résistance est interdite
et illégale, et que le seul espoir qu’il
peut caresser est ce que Israël lui
propose à la table des négociations,
dans le cadre de l’équilibre de forces
actuel. Ce qui veut dire être soumis à
des directives israéliennes, avec une
collaboration américaine et un
parti-pris total envers Israël.
Les Etats-Unis oublient, ainsi que le
monde, que les pressions militaires,
politiques et économiques, ne peuvent
briser la volonté du peuple palestinien
et ne changeront rien à la réalité, et
ne pourront obliger personne à accepter
n’importe quelle solution. En réalité,
il n’y a rien pouvant être nommé
solution, car Israël ne veut pas de
solution, il veut tout.
Q. Gaza a pris une bouffée d’air
après l’arrivée du président Mohammad
Morsi au pouvoir, et après son
écartement, la question du blocus est
devenue une matière de chantage envers
les Palestiniens de Gaza. Que
pensez-vous du rôle égytien quant à la
levée du blocus contre Gaza ?
R. La situation
complexe en Egypte et les événements qui
se bousculent jusqu’à présent ont mis la
bande de Gaza en situation de victime à
tous les niveaux, mais il faut savoir
que la punition collective contre le
peuple palestinien à Gaza est injuste et
illégale, quelles qu’en soient les
raisons. Les frères égyptiens doivent
revoir les mesures prises qui
occasionnent des préjudices au peuple
palestinien, qui, de son côté, porte
beaucoup d’amour et de reconnaissance au
peuple d’Egypte.
Ne savent-ils pas qu’ils mènent un
blocus contre le sang des martyrs
égyptiens tombés pour défendre la
Palestine, et leurs tombes à Gaza
témoignent encore de l’histoire
grandiose qui lie le peuple d’Egypte au
peuple de Palestine ? Malgré cela, nous,
les organisations nationales et
islamiques à Gaza, nous sommes prêtes à
nous asseoir avec les frères en Egypte
et à ouvrir le dossier des relations,
sans limite aucune, pour mettre fin à ce
qui brouille la relation entre les deux
peuples frères.
Q. Est-ce que la décision prise
en Egypte considérant les frères
musulmans comme une « organisation
terroriste » sort l’Egypte de sa crise ?
R. L’Egypte est le plus
vaste des Etats arabes et vit des
problèmes complexes qui touchent tout le
peuple égyptien, et le fait d’éloigner
un groupe et notamment un groupe de
l’importance des Frères musulmans, de la
vie politique, accentue les problèmes et
installe l’Egypte dans une situation
instable. Cela accentue sa crise et son
état mouvementé qui caractérise l’Egypte
depuis quelques années, qui a par
ailleurs entraîné la suppression d’une
partie aussi importante que les Frères.
Je ne pense pas que ce soit la voie la
plus sûre pour sortir l’Egypte de sa
crise et pour qu’elle puisse reprendre
son rôle et sa place, que tout le monde
attend.
Q. Comment voyez-vous
l’affrontement des tentatives
américaines, sur le plan palestinien,
visant à faire admettre le projet de la
« reconnaissance de la judéité » de
l’Etat « israélien » ?
R. Les tentatives
américaines pour imposer une solution
pro-israélienne au peuple palestinien et
à la région ne se sont jamais arrêtées.
Ces tentatives ont toujours échoué, et
elles reprennent à nouveau. A présent,
les Etats-Unis essaient, dans le cadre
de ce qui est appelé « le printemps
arabe » de profiter de l’état de
dispersion généralisée dans la région
pour imposer une solution faisant
d’Israël un Etat religieux dans tout le
sens du terme. Mais cela n’est qu’une
introduction à la dislocation de la
région sur une base confessionnelle et
religieuse, et instaurer le droit de
chaque confession ou religion ou
nationale de réclamer un Etat
spécifique. C’est le projet de
dislocation de ce qui fut appelé la
patrie arabe. De plus, l’Etat juif en
tant que tel sera la bombe qui mettra
fin et pour toujours au projet ou l’idée
d’instaurer un Etat palestinien. Sera
expulsé de la terre historique de
Palestine tout ce qui n’est pas juif,
d’autant plus que nous remarquons la
masse imposante de la colonisation qui
se répand comme un cancer en Cisjordanie
et qui pille la terre au vu et au su de
« la légalité internationale », y
compris les Nations-Unies et le conseil
de sécurité.
L’Etat juif signifie en fin de compte
que la Palestine, toute la Palestine,
est une patrie pour les juifs du monde,
et qu’il n’y a pas de peuple palestinien
sur la terre de Palestine. De là vient
l’idée de la patrie alternative proposée
par « Israël » à l’Est de la rive du
Jourdain pour le peuple palestinien.
Q. La campagne de judaïsation
d’al-Quds s’intensifie alors que
l’Autorité palestinienne continue à
parler d’occasions pour parvenir à un
accord ou semi-accord. Ne faut-il pas
plutôt réclamer l’unité palestinienne
pour affronter un tel projet ?
R. Non seulement al-Quds
est en train d’être judaïsé, mais tout
est devenu sous la domination
« israélienne », le cancer de la
colonisation se répand comme des
champignons tout au long de la
Cisjordanie et il ne reste aux
Palestiniens que les villes peuplées,
qui sont toutes encerclées par les
colonies et séparées les unes des
autres. La politique du fait accompli se
poursuit. Les négociations et leur
prolongement ne sont que des moyens pour
gagner du temps pour que l’on arrive à
l’étape du fait accompli. Que
ferons-nous des juifs qui se sont
installés et qui ont colonisé, qui ont
leurs villes, leurs écoles, leurs
hôpitaux et leurs usines ? Pouvons-nous
les expulser ?
Quiconque le réclamera sera taxé
d’inhumain. Les accusations sont prêtes,
celui qui refuse sera accusé de
terrorisme et poursuivi, à commencer par
l’Autorité palestinienne, et pour finir
les Etats-Unis et entre les deux, les
Arabes et les non-Arabes. Il est
regrettable que l’Autorité palestinienne
soit associée directement à ce qui se
passe, elle brouille les cartes en
acceptant sans cesse de poursuivre les
négociations, qui n’amènent à rien,
sinon un surplus de négociation et de
division interne. A propos, je ne dis
pas que la fin de la division interne
mettra fin à la colonisation, mais je
dis que l’unité palestinienne véritable
sera un pas pour affronter à nouveau et
avec sérieux les projets illusoires et
pour rechercher les moyens et les
possibilités qui permettent de dévoiler
les illusions de règlement ou de paix
avec cette entité, et pour commencer à
bâtir un projet de résistance qui
s’étend pour inclure tout le monde
arabo-musulman et les êtres libres de ce
monde, et remettre les droits à leurs
possesseurs légaux.
Q. Les positions arabes semblent
indifférentes envers la situation
palestinienne. Quels sont les leviers
pouvant être utilisés par les Arabes
pour soutenir le peuple palestinien et
renforcer sa résilience ?
R. Oui, il y a à
présent une indifférence arabe
manifeste, qui n’a pas besoin de
preuves. Mais je pense que nous, les
Palestiniens, pouvons changer cette
réalité, en nous unissant et en
agissant, et en empêchant quiconque de
prendre pour prétexte la situation
palestinienne pacifique ou attentiste
pour justifier son attitude en disant
« nous sommes avec ce que décide le
peuple palestinien ». Décidons
nous-mêmes et nous verrons si les
peuples arabes et les peuples du monde
seront à nos côtés et soutiendront nos
droits.
Q. Comment jugez-vous les
répercussions de la coordination
sécuritaire sur l’action palestinienne,
et notamment sur le Jihad islamique ?
R. Ce qui se passe en
Cisjordanie, et la pratique de
l’Autorité, les arrestations et la
répression qui vise les activités
estudiantines, et même les actions
humanitaires en direction des familles
des prisonniers et des martyrs, non
seulement envers le Jihad islamique,
bien qu’il soit le plus visé, tout cela
est affligeant et dégradant lorsque ceci
se déroule sous le chapitre de la
coordination sécuritaire avec les forces
de l’occupation et au profit total
d’Israël, et sans aucune compensation,
au contraire. « Israël » pratique ce
qu’il veut, sans aucun frein, il
confisque les terres, mène des
incursions dans les villes, assassine et
arrête toute personne qu’il juge
menaçante pour sa sécurité. La question
n’est pas seulement liée au Jihad
islamique, mais c’est le rôle assigné à
l’Autorité par les accords d’Oslo, où
elle a accepté d’être le gendarme qui
protège « Israël », en situation
d’occupation.
Q. Où en est le dossier de la
réconciliation palestinienne, et que
rôle joue le mouvement du Jihad
islamique pour rassembler la maison
palestinienne ?
R. Malgré la blessure
dont souffre le peuple palestinien du
fait de la division interne, je refuse
de comparer entre l’Autorité de Ramallah
et ce qui se dit à propos de l’Autorité
à Gaza, par principe. Nous avons de
grandes divergences avec l ’Autorité de
Ramallah, nous lui sommes opposés
concernant les accords d’Oslo, qui a
fait une concession historique au
détriment du droit du peuple palestinien
sur la Palestine, et nous sommes en
désaccord avec elle sur la gestion de sa
politique avec l’ennemi, à tous les
niveaux, et notamment en ce qui concerne
la coordination sécuritaire au détriment
de la résistance et du peuple
palestinien. Quant à l’Autorité de Gaza,
si nous pouvons ainsi l’appeler, nous
sommes d’accord avec elle sur le plan
stratégique, mais en désaccord en ce qui
concerne les relations
inter-palestiniennes et sa gestion. Nous
avons essayé et essayons toujours de
réunifier la société palestinienne, de
manière à préserver l’unanimité et
l’unité de la position politique,
l’unité des forces de notre peuple pour
affronter le projet sioniste, par tous
les moyens possibles, de manière à
poursuivre la résistance et ne pas
reconnaître « Israël ».
Q. Concernant la dernière
confrontation à Gaza que vous avez
nommée « Briser le silence », quel est
le message que vous avez voulu envoyer à
l’occupation ?
R. Tout le long de
l’année qui a suivi la guerre
d’agression sur la bande de Gaza en
2012, « Israël » n’a pas cessé les
agressions et les assassinats en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza,
malgré l’accord de cessez-le-feu qui a
suivi cette guerre, qui a eu lieu sous
l’égide de l’Egypte, et qui a obligé
« Israël » à cesser les assassinats.
Mais comme d’habitude, « Israël » n’a
pas respecté l’accord. La résistance a
dû envoyer un message fort à l’ennemi
lui disant que nous n’acceptons pas ces
agressions. Ce fut l’opération « Briser
le silence », qui a été choquante à plus
d’un titre. C’est ce qu’ont affirmé les
responsables politiques et les médias en
« Israël », ce ne fut pas seulement une
opération qui a brisé le silence mais un
choc et une surprise.
Q. Comment jugez-vous votre
attitude envers la crise syrienne ?
R. La Syrie est la
grande blessure, qui devient au fur et à
mesure que les jours passent le souci
quotidien de tout Palestinien et arabe.
La Syrie, qui était un axe essentiel
dans la confrontation au projet
sioniste, et une base essentielle pour
la résistance tout au long de son
histoire, est devenue aujourd’hui une
réelle menace pour tout ce qui est beau
et prometteur pour la nation, à cause
des dangers qui guettent. Personne ne
peut affirmer aujourd’hui que la future
Syrie ne représente pas, au moins, un
danger pour l’unité de la nation. Nous
sommes très inquiets et l’avenir de la
Syrie nous préoccupe incessamment, tout
comme nous préoccupe ceux qui la
poussent vers l’inconnu. C’est pourquoi
nous avons dit dès le début que l’avenir
de la Syrie doit être déterùiné par son
peuple, dans toutes ses composantes, de
manière à ce qu’elle reste unie et
forte, et assure les intérêts du peuple
syriens, sa liberté et sa dignité, et
maintient sa situation exceptionnelle
dans l’axe de la résistance. Ce sont les
constantes de notre position concernant
la crise syrienne, et nous pensons
qu’elles sont assez équilibrées pour
protéger notre peuple dans ce cher pays,
et assurer que la Syrie demeure
puissante pour affronter le projet
sioniste qui vise son démantèlement et
le démantèlement de toute la région.
Q. Certains jugent que votre
alliance avec l’Iran n’est pas dans
l’intérêt de la résistance. Comment
jugez-vous cette alliance ?
R. Ma cause principale
et centrale est la Palestine, ma patrie
perdue et envahie. Quant à ceux qui
considèrent l’Iran comme une menace
concernant d’autres dossiers, la
solution à notre avis n’est pas la
guerre mais le dialogue et l’entente.
Qui doit être prioritaire pour réaliser
une réconciliation et la paix ?
« Israël » ou l’Iran ?
La relation historique avec l’Iran se
transforme parfois en accusation, et
parfois en atout, et la question devient
de plus en plus urgente du fait de
nombreux éléments. Mais ce qui
m’intéresse en cet instant est une autre
question : est-ce que l’Iran représente
une menace ou une chance pour la
nation ? Cela réclame de nombreuses
questions, telles que : la relation avec
« Israël » qui occupe la partie la plus
importante de notre région arabe
constitue-t-elle une menace ou une
chance ? la relation avec les alliés
d’Israël est-elle une chance ou une
menace ? C’est pourquoi j’affirme que
notre relation avec l’Iran est une
chance pour la nation, en vue de
renforcer et consolider sa position pour
affronter le projet sioniste qui occupe
la Palestine. Ceux qui critiquent notre
relation avec l’Iran doivent nous dire
si leurs relations avec les Etats-Unis
et « Israël » qui occupe notre terre et
domine nos lieux saints sont au profit
de la nation ou du peuple palestinien ?
Ou bien ce n’est qu’une légalisation de
l’occupation, afin que la Palestine
demeure à tout jamais « Israël ».
Ziad Nakhale, secrétaire général
adjoint du mouvement du Jihad islamique
en Palestine
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