Interview
«Tant que les
régimes arabes ne sont pas
démocratiques,
les chrétiens restent menacés»
Michel Aoun
Photo:
Tayyar
Vendredi 8 novembre 2013
Le
général Aoun surprend toujours ses
interlocuteurs. Il peut parfois réagir
au quart de tour à une question anodine
et être d’un calme olympien face à
toutes les provocations. Avec «
L’Orient-Le Jour », il a choisi d’être
serein, attentif aux réactions des
lecteurs.
Comment faut-il interpréter la
visite d’une délégation des Kataëb à
Rabieh aujourd’hui (hier) ?
Elle est destinée à me remettre une
invitation pour l’anniversaire du parti.
Nous avons évoqué rapidement les sujets
de l’heure. Mais il ne faut pas aller
plus loin dans l’interprétation.
Et votre réunion demain
(aujourd’hui) avec le courant du Futur ?
Nous avons décidé d’établir un dialogue
avec toutes les parties pour tenter de
trouver une issue à la paralysie
actuelle des institutions, surtout au
niveau du législatif. Les dossiers
politiques peuvent donc rester en
suspens, mais cela ne devrait pas nous
empêcher de légiférer sur des questions
non conflictuelles. Nous avons entamé
notre série de rencontres avec le
président de la Chambre et nous voulons
continuer avec toutes les autres
parties. D’abord pour tenter de
faciliter la formation du gouvernement,
et ensuite pour légiférer. Notre
objectif premier est de sortir de la
paralysie institutionnelle. Nous pensons
aussi que le dialogue peut briser le mur
de l’hostilité et aboutir à l’équation
suivante : avoir des divergences ne
signifie pas être ennemis. Nous
commençons donc avec de bonnes
intentions. Nous espérons aboutir à des
résultats concrets car ce serait dans
l’intérêt du Liban.
Certains estiment que vous avez
l’art de tendre la main au mauvais
moment. Vous avez ainsi conclu un accord
avec le Hezbollah quand ce dernier s’est
engagé dans un processus régional et ne
peut plus vous aider sur le plan
interne. Vous avez établi un dialogue
avec le régime syrien à la veille de son
déclin et, enfin, vous avez entrepris
une ouverture en direction de l’Arabie
au moment où elle est opposée à presque
tout le monde et avec les parties
internes quand tout est bloqué...
Commençons par le Hezbollah.
Notre relation avec la résistance a
véritablement commencé en 2006 et s’est
consolidée pendant la guerre de juillet
contre Israël. À ce moment-là, tout le
monde croyait que la résistance serait
écrasée, mais j’avais dit le contraire.
Les déclarations de sayyed Nasrallah par
la suite ont montré la valeur qu’il
attache à cette position et les chiites
en général nous prouvent chaque jour
l’importance de notre relation avec le
Hezbollah.
Mais vous, quel bénéfice
avez-vous tiré de cette entente, surtout
maintenant ?
Je ne cherche pas les bénéfices pour
moi, mais pour la patrie. Je pense que
la stabilité actuelle dans le
Mont-Liban, au Sud et dans la Békaa est
en grande partie due à cette entente et
bénéficie à tous les Libanais, qu’ils
nous appuient ou non.
Mais êtes-vous pour ou contre la
participation du Hezbollah aux combats
en Syrie ?
Ce n’est pas là la question. Le
Hezbollah a été obligé de se rendre en
Syrie parce que les combats commençaient
à s’étendre au Liban, à Ersal et à
Laboué. Il se devait donc de les
repousser au-delà de la frontière
libanaise. Il a utilisé pour cela une
stratégie préventive et il a maintenu
ainsi la guerre sur le territoire
syrien. L’issue finale de la bataille
dira s’il a eu raison ou non.
Sayyed Nasrallah et les cadres
du Hezbollah se posent aujourd’hui en
vainqueurs. Pensez-vous qu’ils ont
raison ou bien qu’ils font ces
déclarations pour leur opinion publique
?
La participation du Hezbollah à la
guerre en Syrie fait de lui une partie
intégrante de la solution à venir. Mais
cela ne signifie pas qu’il se retournera
contre ses partenaires au Liban. Je
crois au contraire que la solution à
venir sera dans l’intérêt de l’entité
libanaise.
Si vous pensez que la solution
sera dans l’intérêt du Liban, pourquoi
dans ce cas mettez-vous en avant les
dangers qui pèsent sur la présence
chrétienne dans la région ?
Nous traversons une période
particulière, au cours de laquelle
l’histoire peut avoir des ratés. Depuis
des décennies, nous lisons des livres
sur les chrétiens d’Orient. La question
se pose et je suis convaincu que si les
pays arabes ne deviennent pas des
démocraties respectueuses des droits de
l’homme, le danger continuera à peser
sur les chrétiens d’Orient. En parlant
du rôle des chrétiens dans le monde
arabe, j’ai voulu servir les intérêts
des musulmans et des chrétiens. Pour
résumer, je dirais que les extrémistes
musulmans élimineront rapidement les
chrétiens alors que les dictatures le
feront plus lentement.
Au cours du congrès des
chrétiens d’Orient, il a été question de
l’élection d’un président fort. C’est
comme si vous disiez que tout ce
problème sera résolu si vous êtes élu à
la présidence de la République ?
Chacun des pays participant à ce congrès
a ses problèmes spécifiques et les
différentes délégations les ont exposés.
Au Liban, l’élection présidentielle pose
un problème. En fait, le problème est
dans la construction d’un État fort. À
mon avis, un président fort peut
contribuer à l’édification d’un État
fort. De plus, la force libère le
président qui pourra parler en position
de force et rallier tout le monde autour
de lui. S’il est faible, les autres
partenaires seront plus forts que lui.
La faiblesse mène à la soumission, et la
force mène à la liberté.
L’ouverture sur le président
syrien a-t-elle été faite au mauvais
moment, lorsqu’il ne pouvait plus rien
vous donner en échange ?
Je me suis rendu en Syrie en 2008. Entre
2008 et 2011, il y a eu une détente
entre les deux pays et les maronites ont
pu retrouver leurs racines. Les
relations entre les deux peuples se sont
approfondies. Il y a eu une véritable
normalisation des relations entre les
deux peuples, même si les problèmes
politiques n’étaient pas réglés. Des
négociations avaient d’ailleurs été
entamées par le Premier ministre Saad
Hariri pour les régler. Ensuite, il y a
eu la guerre, mais elle n’est pas la
responsabilité du régime. Elle a été
lancée dans l’intérêt d’Israël par des
pays soit alliés à Israël, soit alliés
aux États-Unis qui, eux, ont deux soucis
dans la région, Israël et le pétrole.
Que restera-t-il de cette relation si le
président Assad tombe ?
DDepuis le début, j’ai dit que le
président Bachar ne partira pas et la
solution de la crise est dans le
dialogue. Nous y arrivons et mon conseil
aux Syriens est de venir au dialogue le
plus vite possible.
Quid de votre ouverture sur
l’Arabie saoudite ?
Tous les ambassadeurs accrédités au
Liban viennent me voir. Les divergences
politiques n’excluent pas la courtoisie
diplomatique. Si nous voulons la
stabilité et si l’Arabie veut contribuer
à cette stabilité, c’est une valeur
ajoutée à nos relations.
Comptez-vous retirer vos
ministres du gouvernement chargé des
affaires courantes s’il ne tient pas une
réunion pour le dossier du pétrole ?
Le gouvernement est comme un poulet
désossé. On ne peut plus lui retirer les
os. Nous ne pouvons pas ajouter un vide
à un autre. Le ministre chargé des
affaires courantes peut régler quelques
dossiers. C’est toujours mieux que rien.
Si nous arrivons à l’échéance
présidentielle sans pouvoir élire un
président, serez-vous contre la
prorogation du mandat de l’actuel
président ?
Je suis contre la prorogation dans
l’absolu. Nous avons commencé avec le
général Rifi. Mais nous n’avons pas
réussi avec les autres échéances. Nous
restons sur nos positions.
Ne pensez-vous pas que la
prorogation serait préférable au vide ?
Le fait de ne pas pouvoir élire un
président, c’est déjà le vide. En
d’autres termes, la prorogation est une
autre forme de vide. C’est comme si on
gardait le plat chaud pour le consommer
le moment venu.
Vous qui êtes le chef du bloc du
Changement et de la Réforme, comment
n’avez-vous pas encore réussi à
transformer le CPL en institution ?
Si, c’est fait. Vous serez surprise par
la rapidité avec laquelle les structures
du parti prennent forme. Nous sommes
certes un parti naissant, avec les
maladies propres à l’enfance. Mais notre
croissance est rapide et nous faisons au
fur et à mesure les rectifications
nécessaires.
Vous avez réglé votre problème
d’héritage politique ?
Je n’ai pas d’héritier politique.
Mais les personnalités les plus
en vue du CPL sont soit vos gendres,
soit votre neveu...
Y a-t-il parmi eux un médiocre ou un
incompétent ? Ce sont tous des militants
du ayyar, qui ont une grande
légitimité, un passé de lutte, et même
ils ont fait de la prison. Vous parlez
de mes gendres : Gebran Bassil a prouvé
ses compétences, ainsi que Roy Hachem.
Alors que le général Chamel Roukoz a un
passé glorieux dans l’armée. Quant à mon
neveu Alain Aoun, tous les sondages ont
montré qu’il était le plus populaire
dans la région de Baabda. Le fait d’être
mes proches ne doit pas non plus être un
handicap. Ils ont tous fait leurs
preuves...
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